De Jacques Chirac à François Hollande : 20 ans de fracture sociale

  • Par Natacha Polony…

Jacques Chirac était élu il y a tout juste vingt ans. Natacha Polony se souvient.

Natacha Polony

Natacha Polony

Autant on peut s’agacer de la propension d’un président de la République à commémorer les grandes pages de l’histoire pour faire oublier qu’il ne devrait y laisser que quelques lignes, autant il ne faudrait pas en conclure que tout retour sur le passé est inutile. Bien au contraire, c’est l’absence totale de mémoire politique qui nous prive de toute vision et nous interdit de comprendre les grands mouvements qui travaillent le pays. La fracture entre les élites et le peuple ? Le désastre de l’Éducation nationale ? Les crispations d’une société qui sent venir la mort de son modèle social ? Tout était déjà en germe dans cette élection de 1995 dont on célèbre aujourd’hui les 20 ans. Jacques Chirac, président «le plus sympathique de la Ve République» ? Merveille des sondages, qui font passer les Français pour des benêts sans conscience.

Osons un souvenir personnel. J’appartiens à cette génération qui a accédé au droit de vote avec l’élection présidentielle de 1995. Les législatives de 1993 m’avaient échappé pour trois petites semaines. Vinrent ensuite les européennes de 1994, qui avaient vu Philippe de Villiers et Bernard Tapie talonner le PS. Mais, pour qui avait suivi avec passion les débats de 1992 sur le traité de Maastricht, pour qui avait entendu les accents prophétiques de Philippe Séguin, aucun choix ne semblait réellement satisfaisant. Alors, 1995. Emmanuel Todd, à l’époque, ne théorisait pas une France à l’inconscient vichyste qui masquerait sa haine de l’autre, du faible, sous une défense de la laïcité. Non, à l’époque, Emmanuel Todd avait eu l’intuition qu’entre un Lionel Jospin, incarnation d’un Parti socialiste qui avait habillé son acceptation de la financiarisation de l’économie d’un discours religieux sur la nouvelle frontière européenne, et un Édouard Balladur, héraut de la droite libérale historique, il existait une place pour un candidat qui aurait retrouvé le peuple et l’idée de souveraineté, qui aurait appelé à réduire cette «fracture sociale» qui se creusait.

Mon premier vote fut ma première expérience de la trahison en politique. J’avais voté Jacques Chirac pour avoir Philippe Séguin, et je me retrouvais avec Alain Juppé. J’avais cru à la volonté du nouveau président de ne pas sacrifier un million de chômeurs au dogme monétariste imposé par l’idéologie allemande du mark fort. J’avais cru à la promesse d’un référendum sur l’école, si peu honorée qu’elle devait ressurgir en 2002… pour être une nouvelle fois enterrée. J’avais cru, aussi, qu’il restait, notamment chez ceux qui se disaient gaullistes, une certaine idée de la France. Ne soyons pas injuste, elle se manifesta, magnifique queue de comète, lors d’un discours à l’Assemblée des Nations unies en 2003.

On a le droit de considérer qu’il était «raisonnable» (au sens le plus précis de ce terme : conforme au fameux «cercle de la raison» si cher à Alain Minc) de respecter les critères d’une gestion saine plutôt que de laisser filer les déficits. On peut d’ailleurs regretter que le bilan des réformes de l’année 1995 et des immenses grèves qu’elles ont suscitées n’ait été que la ponction imposée aux professionnels de santé et absolument pas la remise en cause des régimes spéciaux de retraite. Mais il en aurait sans doute été autrement si la philosophie générale de ce nouveau gouvernement était restée fidèle à ce qu’avait été la campagne, plutôt que d’adopter immédiatement la forme d’un diktat d’experts absolument persuadés d’avoir raison contre le peuple.

Ce qui devait conduire la France sur le chemin de la lente décrépitude était déjà présent: désindustrialisation progressive sous les coups de boutoir d’une concurrence internationale non maîtrisée, dérégulation de l’économie au profit d’une libéralisation des échanges, choix du chômage de masse pour lutter contre l’inflation et préserver les épargnants plutôt que les salariés, destruction de l’école par des méthodes pédagogiques absurdes que la loi d’orientation de 1989 avait gravées dans le marbre et que le gouvernement Jospin de 1997 allait sanctifier. Face à cela, rien n’a été fait qu’une réforme comptable défendue par un premier ministre «droit dans ses bottes».

La nostalgie, associée à l’amnésie, a ce pouvoir étonnant de laisser croire que les maux qui nous rongent sont nés d’hier. Que l’autre anniversaire que nous célébrons ces jours-ci, celui des trois ans de François Hollande à l’Élysée, expliquerait le désastre. Le mal vient de plus loin. Et réclame comme remède une vision aussi claire que celle des héros du troisième anniversaire que nous célébrons, celui des 70 ans de la Libération et de l’affirmation, par un homme qui connaissait l’histoire, d’une certaine idée de la France et de son destin. Tout cela semble si loin…


Source : FIGAROVOX/CHRONIQUE


 

9 commentaires sur De Jacques Chirac à François Hollande : 20 ans de fracture sociale

  1. Jean-Dominique GLADIEU // 15 mai 2015 à 9 h 17 min //

    Merci à Flamant Rose pour ces précisions que je ne pouvais connaitre ne me trouvant pas « à l’intérieur ».
    Si vous avez d’autres infos, je suis bien évidemment preneur !
    Bien amicalement.

  2. Si Philippe Séguin avait été sérieux c’est lui qui aurait été élu en raison de la légitimité acquise lors de son combat contre le traité de Maastricht! On ne pouvait faire confiance en la girouette Chirac! J’ai fait parti du Rassemblement pour une Autre Politique de Séguin qu’il a liquidé cyniquement après avoir contribué à l’élection de la girouette.

  3. Flamant rose // 14 mai 2015 à 10 h 51 min //

    @ Jean-Dominique GLADIEU

    Je ne suis pas complétement d’accord avec vous. et voici pourquoi. Pour vouloir faire court, J’ai probablement été incomplet dans mon texte.

    Officiellement,oui, Philippe Seguin a été un soutien de Chirac et là, vous avez raison. Mais les militants de l’époque, soutiens de Chirac, et j’en étais, savent qu’ en novembre 1994, Chirac alors candidat déclaré a organisé une réunion des militants à Reuilly pour passer la main à Alain Juppé.

    C’est ce passage de témoin à Juppé qui a poussé Philippe Seguin à boycotter cette manifestation militante. Edouard Balladur alors également candidat à l’investiture, et grand favori de l’élection, se reposait dans sa maison de Chamonix. C’est là et à ce moment qu’il a reçu un appel téléphonique de Seguin dépité. On ignore ce que les 2 hommes se sont dit mais toujours utile que Chirac l’a trés mal pris et n’a pas pardonné. De là date, une certaine forme de séparation pour ne pas dire divorce entre les deux hommes.

    Alors, oui, vous avez raison. Officiellement Seguin a été un soutien de Chirac et il s’est bougé, mais en observatrice avertie Natacha Polony ne pouvait ignorer ce que tout le monde savait, à savoir que Philippe Seguin ne pouvait en aucun cas être nommé premier ministre en cas de victoire de Chirac. Elle n’a donc pas été trompée. En 1995, j’ai voté Chirac en ayant simplement une forte présomption sur la nomination de Juppé à la fonction de premier ministre, mais la certitude que Seguin ne pouvait pas y prétendre.

  4. Jean-Dominique GLADIEU // 12 mai 2015 à 10 h 13 min //

    Une petite précision à l’attention de « FLAMANT ROSE » :
    A l’occasion de l’élection présidentielle de 1995, Philippe Seguin n’a pas soutenu Edouard Balladur.
    Il a même été l’un des premiers soutiens de Jacques Chirac.
    Bonne journée à tous.

  5. fremondiere // 11 mai 2015 à 16 h 22 min //

    Effectivement, on a eu CHIRAC, a notre RPR rue de LILLE. OUI..il est fort sympathique Mais, cette est un hypocrite, qui ne tiens jamais, sa parole, il trahie, tout ses Amis, Voila la vérité, sans langue de bois ,MOI..

  6. Flamant rose // 11 mai 2015 à 11 h 57 min //

    « Osons un souvenir personnel » dit Natacha Polony. Certe, elle énonce un certain nombre d’exactitudes, mais il semble néanmoins que sa mémoire présente quelques défaillances (à moins qu’elle aussi, s’arrange avec l’histoire) en particulier celle concernant Philippe Seguin dont elle est une admiratrice.

    Natacha Polony nous dit « Mon premier vote fut ma première expérience de la trahison en politique. J’avais voté Jacques Chirac pour avoir Philippe Séguin, et je me retrouvais avec Alain Juppé « . A t-elle oublié que malgré l’accord passé avec Chirac,.Edouard Balladur a décidé de se présenter à l’élection présidentielle de 1995 et que Philippe Seguin avec Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy a fait partie de ses soutiens. Comment pouvait-elle alors penser ne serait ce que une seule seconde que Seguin pouvait être le Premier ministre d’un Chirac élu avec quasiment seuls Alain Juppé et Alain Madelin comme soutiens.

    C’est probablement cet oubli volontaire ou cette défaillance mémorielle qui l’autorise à critiquer Édouard Balladur qu’elle qualifie de héraut de la droite libérale historique, qui pourtant a été soutenu par Philippe Seguin. Quelle contradiction ?

    Sur l’Europe également, elle ne veut pas se souvenir qu’aux élections européennes de 1999, c’est Pasqua qui a lâché le RPR pour rejoindre Philippe de Villiers et conduire avec lui une liste souverainiste pendant que Philippe Seguin faisait alliance avec Alain Madelin un des chantres du libéralisme, alliance contre nature qui va d’ailleurs exploser en vol. et qui aménera Seguin à se retirer de la tête de liste et à abandonner la présidence du RPR. Alors quand, pour conclure son article, Natache Polony parle de nostalgie, associée à l’amnésie, on a envie de sourire.

    Enfin, pour ceux qui ont eu la chance de côtoyer à un moment ou à un autre Jacques Chirac, et j’ai eu ce privilége, oui c’est un homme éminemment sympathique et c’est le sens du sondage auquel se référe Natacha Polony qui aurait dû se dispenser de traiter les chiraquien de benêts sans conscience. Quelle insulte, mais pour qui se prend cette dame dont la propre amnésie n’est que sélective.

  7. fremondiere // 11 mai 2015 à 7 h 26 min //

    Douce rêveuse , cette Natacha; la France est depuis DE GAULLE , socialo – communiste et en 2015 on y est toujours, les pays de L.EST on exploser, PAS LA FRANCE ? voila le drame,

  8. Allez , ne soyons pas trop acides, vous ne vous rendez toujours pas compte que par la volonté d’un pouvoir politique de droite ou de gauche élu au plus fort dénominateur commun d’ électeurs écervelés, manipulés, de plus en plus nombreux à fuir les urnes, ce ne sont que des mesures à tuer le temps qui prennent place pour la sauvegarde des avantages acquis de cette bonne gouvernance qui nous sacrifie tous à l’ autel du déclin par une médiocrité comportementale que plus personne ne nous envie, en France, en Europe et dans le Monde……sauf devant les monuments aux morts.
    Bon courage à bêcher la mer , l’ avenir est ailleurs car la nostalgie associée à l’amnésie ne font pas le bonheur chère Natacha Polony!!!!!!!!

  9. Delaisse Jean-Paul // 10 mai 2015 à 12 h 10 min //

    Je vais encore réfléchir, mais pour l’heure, il n’y a rien à ajouter….sauf pour enfoncer le même clou…!

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