Vouloir vivre ensemble

« nous sommes avant tout un peuple européen, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! » (Charles de Gaulle)

Vivre ensemble n’est pas de la laïcité mais du domaine de la tolérance, un domaine quotidien et sans cesse renouvelé. Etre tolérant pour pouvoir vivre ensemble, pour vouloir vivre ensemble, car s’il y a une nécessité de le faire, il y a vaste brèche entre la nécessité et la volonté. Si la nécessité implique une certaine tolérance (qu’on appellerait plutôt adaptation) qui sans être à contrecœur, a ses limites dans les faits de la vie courante, vouloir vivre ensemble est un acte réfléchi et républicain. C’est aussi savoir le faire, un savoir vivre ensemble. Savoir et Vouloir sont deux jumeaux dans le ventre de la République. La laïcité permet toutes ces nuances, ces différences, grâce à la loi de 1905 qui a apporté la paix avec les religions pendant plus d’un siècle, un apaisement social. Mais c’est insuffisant. Sans concessions mutuelles on ne peut pas vivre ensemble. Ces concessions, il faut les vouloir. S’attaquer aux crèches c’est la Laïcité qui se tire une balle dans le pied.

Les affaires des crèches du conseil général de Vendée et de la Mairie de Béziers sont un exemple. On pourrait penser que le Maire de Béziers et le Conseil général de Vendée ont manqué de Savoir-vivre, en installant une crèche dans des lieux publics, et qu’il aurait mieux valu une concertation avec leurs administrés, leur tutelle, et ne pas subir des décisions de justice. Ces « affaires » (si on peut les nommer ainsi) seraient passées inaperçues, et non jugées. Qui sait ? Après tout nous sommes dans un état de droit, et en France, depuis les innombrables querelles entre gaulois, les excès procéduriers sont monnaie courante. Nous avons de qui tenir. Personne ne peut dire non plus qu’il s’est agi d’une provocation. Les crèches sont une tradition ancienne dans notre pays dont l’histoire est pleine. Qu’est-ce qu’on peut y faire, si comme disait de Gaulle, « nous sommes avant tout un peuple européen, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! » (Cité par Alain Peyrefitte dans C’était de Gaulle, Fayard, 1994-2000). Les traditions en France sont principalement chrétiennes. Elles font partie de notre histoire, de notre culture de notre identité. Tout le monde certes ne se reconnait pas dans une crèche. Que les athées, agnostiques, juifs et musulmans ne s’en offusquent pas. On peut gloser à l’infini, en 2015, il en est encore et toujours ainsi. Jusqu’à quand ? L’avenir n’est pas encore écrit

Revenons à ce qui nous occupe. Demander l’avis des administrés ? La réponse est donnée sur le plan national par un sondage IFOP pour Dimanche Ouest France. Interrogés sur ce sujet, 71 % des Français se disent majoritairement « plutôt favorables, à la présence de crèches de Noël dans les administrations et les bâtiments publics car cela constitue plus un élément de tradition culturelle qu’un symbole chrétien ». À l’inverse, 18 % des sondés y sont « plutôt opposés car il s’agit d’un symbole religieux incompatible avec les principes de neutralité et de laïcité du service public ». Seul 1/5 de la population y est donc opposée. Cela devrait faire réfléchir ceux qui ont porté plainte. Ils représentent d’ailleurs, aussi respectable soit leur position, encore moins que ces 20%. Ils ont peut-être manqué quelque part de ce vouloir vivre ensemble avec des gens qui ne pensent pas comme eux. Des gens qui pensent que ce symbole, est un peu chrétien, et beaucoup traditionnel. Et c’est bien le cas. La coutume à Noel est ainsi, en France, pays de traditions qu’on ne pourra pas supprimer aussi facilement. La crèche depuis toujours fait partie des « joliesses» de la vie, de la magie de Noel, qui enchante les enfants.

La loi est la loi mais il y avait certainement mieux à faire. Va-t-on interdire de fêter la saint « Machin » et parler publiquement de fêter les « Machin » ce jour-là ? Supprimer le mot « saint » des calendriers, des rues, des villes et des villages ? Il y en a beaucoup d’autres, la saint Valentin, Paques, les processions du 15 aout, et d’autres… On ne va pas les ignorer, les combattre ni les supprimer. Va-t-on dire thermidor l’été ou ventôse au temps d’hiver ? il parait que ça existe encore. Pas beaucoup de tolérance. C’est seulement un rêve anticlérical mais pas vraiment laïc. On l’a vu naguère sur les grandes  chaines de Télévision. On disait  la fête des Robert ou des Paul on ne disait plus le mot « saint » puis il fut rétabli par la suite. Les crèches racontent une histoire, sont le symbole d’une fête de Noël, un peu païenne, au solstice d’hiver. Claude Lellouche avait appelé ça la belle Histoire. Les crèches ne font de mal à personne. Elles ne font pas de prosélytisme.

C’est grâce au respect de la loi de 1905, que des citoyens doués de raison peuvent vivre ensemble dans notre République. Ceux qui veulent vivre en bonne intelligence avec leurs voisins pratiquent aussi la tolérance. Reste que l’article 28 mis en avant par les plaignants comporte un mot un seul qui aurait dû faire reculer ces laïques intransigeants, le mot « exposition », considéré comme une dérogation à la loi. Qu’est-ce qu’une crèche ? Le plus souvent une exposition artistique. Cela aurait dû faire taire tout le monde, les crèches ont respecté la loi ! C’est le dernier mot de l’article 28.

Mais nous sommes aussi un pays de tradition laïque. Depuis le Moyen Age notre pays a toujours été contestataire de la religion, non du dogme, mais du pouvoir temporel. L’Eglise avait un pouvoir important sur les esprits. Elle ne l’a plus, c’est mieux ainsi. Elle a voulu aussi  le pouvoir temporel, mais les rois de France ont rarement faibli. La Révolution de 1789 a enfoncé le clou de la séparation. La loi de 1905 a gravé la sécularisation de la vie sociale avec la laïcité, clairement exprimée. Cette grande loi de liberté publique, qui garantit de vivre ensemble en paix aujourd’hui par le principe et par la nécessité. La Laïcité ne fait pas de nous des citoyens hostiles aux religions, bien au contraire, chacun a la liberté de sa pensée, et de l’exprimer. On ne doit pas non plus interdire aux religions de s’exprimer de la façon qu’elles veulent, à travers même l’inattendu, sans troubler l’ordre serein d’une république bien construite. La convention européenne et la charte des droits fondamentaux en donnent la liberté. Quand donc une crèche a-t-elle troublé l’ordre public ? Il n’y a aucune espèce de provocation, ni d’agression, dans une crèche de Noel, qui est et sera toujours provisoire, décorative, artistique, et surtout traditionnelle.

L’affaire des deux crèches est le symbole d’un excès. La laïcité n’est pas une religion, c’est une liberté. Celle d’en avoir une, de ne pas en avoir, d’en changer. Ce sont des victoires à la Pyrrhus que celles remportées par les personnes ou les Associations qui ont porté plainte. Dans d’autres endroits, les juges ont jugé autrement. La France est un état de droit. Être laïque n’est que la recherche d’un équilibre, dont la loi de 1905 est la base absolue et la tolérance, cet arbre aux mille fleurs posé sur elle et qui doit garder sa stabilité. Mais l’équilibre chancelle avec cette volonté d’application de la loi et à tout prix.

Or comme il faut garder son équilibre, comme il faut garder la tête froide, et surtout raison garder. Il y a des choses importantes et d’autres qui le sont moins. Les luttes de 1905 sont terminées. La laïcité avait remporté une victoire qui semblait définitive. Mais aujourd’hui d’autres luttes plus dangereuses, s’annoncent, et d’autres raisons de défendre la Laïcité, avec d’autres cibles, que des expositions pour enfants. Un proverbe arabe dit qu’on « filtre les moustiques pour laisser passer le chameau ». Nous les laïques ne nous trompons pas d’adversaire.la justice pourrait n’être d’aucun secours, mais la Laïcité un formidable rempart pour une pensée libre.

Jack Petroussenko – 24/12/2014