Valls2 : vote sans confiance…

Des lendemains sans aucun espoir pour la France.

Cet article a été rédigé le mardi 16 septembre avant le discours de Manuel Valls à l’Assemblée nationale et le vote qui s’en est suivi. Le gouvernement Valls-2 n’a pas la confiance de la majorité des députés. Incompatible avec la plus élémentaire règle de la morale républicaine.

Alain Kerhervé

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Le gouvernement Valls-2 va donc demander la confiance à l’Assemblée. Cette procédure normale souligne aujourd’hui les contradictions tant de la situation politique que de la politique menée par le Président François Hollande. Disons-le tout net. Le gouvernement obtiendra la « confiance ». Mais que vaudra-t-elle ?

La constitution de la Vème République voulait mettre fin à l’instabilité parlementaire qui avait régné sous la IVème République, ce que l’on oublie un peu vite. Elle fut rédigée dans un relatif consensus car dans de nombreux partis, on considérait que la situation alors existante n’était plus acceptable. De fait, cette constitution crée un corset de fer qui assure aux gouvernements leur stabilité face à l’Assemblée Nationale. De nombreux dispositifs y concourent, dont le moindre n’est pas celui du vote bloqué ou du « 49-3 », procédure où une loi peut être adoptée sans vote. Mais, surtout, c’est par la menace de la dissolution en cas de vote d’une motion de censure que le système est verrouillé. Notons cependant que cette menace ne fut utilisée qu’une seule fois, en 1962. Les dissolutions ultérieures ont toutes été des dissolutions de complaisance. Cette pratique, combinée au raccourcissement du mandat présidentiel et à son alignement sur celui de l’Assemblée Nationale, a profondément changé l’équilibre du système. On parle beaucoup de la Vème République mais, en réalité c’est bien sous la VIème que nous vivons. Les changements constitutionnels ont altéré en profondeur l’équilibre des pouvoirs.

Le sens même de nos institutions en a été changé. Là où des dispositifs entendaient garantir au Premier Ministre, censé conduire la politique de la Nation, la stabilité dont il avait besoin, nous avons désormais un cadre qui permet au Président de mener la politique qu’il entend pendant cinq ans sans avoir à rendre de compte à quiconque. Tel n’était pas le projet initial. De plus, la pratique du Général de Gaulle avait inscrit le « recours au peuple », en général par voie référendaire, comme moyen de vérification de la légitimité. Nous en sommes très loin aujourd’hui. Le référendum a été dépouillé de sa charge politique. Or, il était un outil important pour permettre de vérifier la légitimité d’un pouvoir légal. On sent bien aujourd’hui qu’il y a une volonté à affirmer une légalité « hors sol », sans référence à la légitimité et à ce qui est nécessaire pour que celle-ci s’exprime, la souveraineté. L’élite politique française, du PS à l’UMP, est aujourd’hui profondément d’accord pour une forme d’exercice du pouvoir découplée de toute vérification. De ce point de vue l’usage, certes critiquable, que fait François Hollande de nos institutions est le même que celui de Nicolas Sarkozy ou de ce que serait demain celui d’un Alain Juppé voire d’un François Fillon.

Dans ce contexte prend place la crise actuelle. Elle ne naît pas de la chute de popularité du Président et aujourd’hui de son Premier Ministre. Il ne faut pas confondre les symptômes avec la cause. Cette crise vient de l’incapacité de la politique mise en place en mai 2012 à produire des résultats, couplé au fait que l’on est désormais en présence d’un changement de politique qui est tout aussi évident qu’il se refuse à s’assumer comme tel. C’est cela qui engendre l’effrayant chute de popularité des deux têtes de notre exécutif. C’est cela qui rend des erreurs de communication, des bévues et des couacs, aussi désastreux. Alors, quand une politique a échoué on en essaye une autre. Mais, le problème est que celle-ci succède à une politique qui avait été déjà largement rejetée en 2012. On a oublié trop vite que la défaite de Nicolas Sarkozy avait été cuisante. Et, la politique que l’on nous propose, qu’il s’agisse de celle du nouveau gouvernement Valls ou de celle d’un hypothétique gouvernement UMP qui pourrait arriver au pouvoir en 2017, ne serait qu’une resucée, en pire, de la politique adoptée par François Fillon et Nicolas Sarkozy en 2010. Les Français ont le sentiment d’être enfermés dans la boite d’une austérité sans fin ni limites, et ce sentiment est insupportable.

Ce qui n’arrange rien est que le retour vers une version « dure » de la politique d’austérité se fait sous couvert des institutions de notre « VIème » République, comme on devrait appeler le régime actuel. Il n’y aura ni débat ni vote, ou du moins ni vote libre. Car, les institutions étant ce qu’elles sont, les députés « frondeurs » du PS savent très bien quelles seraient les conséquences d’un vote cohérent avec leur discours. Ajoutons-leur les députés d’EELV, qui sont passés de verts à blettes. La décision d’une « abstention », qui ajoute le ridicule de la posture politique au tragique de la situation, ne peut qu’accentuer encore un peu plus le discrédit dont souffre la classe politique. Nous aurons les apparences de la démocratie mais non sa substance. Certes, cela ne sera pas la première fois. Le référendum de 2005 continue, en effet, de hanter notre classe politique et, au-delà, une large part du peuple français. On s’étonne alors de ce que les députés préfèrent leurs petits arrangements à ce qui devrait être leur famille politique réelle. Mais, comme le faisait dire Victor Hugo à Triboulet dans Le Roi s’amuse, « quand on n’a plus d’honneur, on n’a plus de famille ».

Le vote de ce mardi sera donc une farce sous le masque d’une tragédie. Mais le temps de la tragédie viendra, il faut en être bien certain. Il convient donc de s’y préparer.

Jacques Sapir*


* Jacques Sapir est un économiste français. Il a enseigné à l’université de Paris-X Nanterre, puis il est devenu directeur d’études à l’EHESS en 1996, après y être entré comme maître de conférences en 1990.

L’École des hautes études en sciences sociales (ou EHESS) est l’un des grands établissements français ayant pour mission l’enseignement supérieur et la recherche en sciences sociales.


6 commentaires sur Valls2 : vote sans confiance…

  1. à Flamant rose et aux autres. Désolé pour le retard, mais mon site gaullisme.fr va entrer dans une phase importante de « travaux de relookage ». Les fonctions diverses sont « touchées » pendant certaines périodes

  2. A l’administrateur

    Méa culpa, mais reconnaissez que 1 semaine pour valider un texte cela peut paraître long, surtout que entre temps vous avez mis en ligne un autre billet. Cela enlève quasiment toute possibilité de dialoguer avec les autres contributeurs et c’est dommage.

  3. Flamant rose // 26 septembre 2014 à 9 h 30 min //

    Mon commentaire n’a pas été validé, pourtant il n’a rien d’injurieux. Dans un précédent billet,vous dites « Gaulliste.fr » ouvre le débat. Apparemment si un commentaire ne vous convient pas vous le censurez, où est le débat ? Pas certain que de Gaulle ait eu la même attitude. Finalement à DLR et chez Dupont Aignan vous démontrez une nouvelle fois que vous avez une conception ambigue du débat. Débat oui, mais surtout pas de contradiction. Heureusement pour vos concitoyens, vous n’avez pas été élu, eux doivent savoir pourquoi.

  4. Gilles Le Dorner (Bourges) // 22 septembre 2014 à 19 h 38 min //

    un premier ministre qui ose demander la confiance , hors-sol , d’ un autre peuple sur une politique économique , sensée être la nôtre : le Droit n’ existe plus , la Nation n’ existe plus , la Constitution n’ existe plus , la représentation nationale n’ existe plus , la dignité n’ existe plus , la souveraineté nationale n’ existe plus , l’ indépendance n’ existe plus ; c’ est le règne du n’ importe quoi et du n’ importe comment . La coupe est pleine à Bourges , dans quel pays ?

  5. Vous dites  » Le sens même de nos institutions en a été changé. Là où des dispositifs entendaient garantir au Premier Ministre, censé conduire la politique de la Nation, la stabilité dont il avait besoin, nous avons désormais un cadre qui permet au Président de mener la politique qu’il entend pendant cinq ans sans avoir à rendre de compte à quiconque. Tel n’était pas le projet initial ». C’est un avis, en l’occurrence le votre.

    Pour la plupart d’entre nous il est normal qu’il y ait un Premier ministre, nous avons toujous connu cette situation. C’est de Gaulle qui a créé cette fonction. Pour lui, le président de la République est la « source » du pouvoir exécutif Cette définition de la « source » de Gaulle la définit également dans le »Renouveau » : « C’est aussi le cas pour l’institution d’un Premier ministre, ayant, avec ses collégues, à déterminer et à conduire la politique, mais qui, ne procédant que du Président dont le rôle est capital, ne pourra évidemment agir sur de graves sujets que d’aprés ses directives « .

    Dés son retour au pouvoir de Gaulle fait savoir qu’il considérait que la constitution en vigueur, avec son principe de responsabilité du gouvernement face au parlement représentait bien ce qu’il voulait. « Il faut un régime présidentiel et il faut que les affaires soient traitées à l’Elysée » disait-il. Des personnalités comme Edgar Pisani, Maurice Couve de Murville, Gaston Palewski, Alain Peyreffite, Roger Frey, tous défendaient un régime présidentiel sans Premier ministre. Ils considéraient en effet que la constitution avec son principe de responsabilité du gouvernement devant le parlement, est une concession faite aux partis. La position de de Gaulle était que la France n’est pas dans un Etat fédéral. En France le Président ne détient pas tous les pouvoirs, et il faut donc qu’il y ait un Premier ministre. Il ne se voyait pas disait-il « aller au parlement défendre le prix du lait ». La France n’aura donc pas un régime présidentiel, néanmoins la réalité du pouvoir fait que la plupart des affaires seront traitées à l’Élysée.

    Le général de Gaulle a donc marqué de son empreinte la philosophie du pouvoir en marquant la différence entre le chef de l’État, garant de la légitimité républicaine, élu pour sept ans, et un Premier ministre responsable devant le Parlement. C’est le Président qui dirige et lui seul. Face aux différents avec Michel Debré, cette philosophie aménera, en 1962, le Général à avoir cette répartie je cite « Qu’est ce qu’un Premier ministre, sinon le directeur de cabinet du président de la République. » Cette répartie fera dire à un collaborateur du Général « En somme, le gouvernement se transforme en conseil d’administration avec un technicien à sa tête ».

    Finalement Nicolas Sarkozy, a qui on a reproché d’avoir employé le terme de « collaborateur » en parlant de son Premier ministre, était dans le droit fil de la pensée de de Gaulle, tout au moins sur ce que doit être la fonction de Premier ministre.

    Vous avez donc votre propre lecture que vous exprimez, permettez moi d’en avoir une autre.

  6. Les analyses de M. Sapir sont toujours étayées et pertinentes.
    Ce qu’il nous annonce c’est une impasse économique doublée d’une crise de régime.

    L’occasion pour notre peuple de renverser la table ?
    Et de chasser, et de châtier une caste dirigeante méprisante, largement corrompue et incompétente, qui a trahi les intérêts du pays .

    Parlant de caste dirigeante je ne parle pas seulement du petit monde politique, je vise aussi le gang des hauts-fonctionnaires gangrénés par l’argent, je vise les hauts dirigeants du CAC 40 devenus apatrides, les médias subventionnés « aux ordres » qui pratiquent le bourrage de crâne au profit de l’idéologie néo-libérale, le monde de la finance devenu fou de son pouvoir absolu, la sphère universitaire globalement lâche et carriériste.

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