Quatrepoint : "Il faudrait tenir tête à Angela Merkel"

 

  • PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL LÉVY (Marianne.fr)

Pour le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, auteur du livre « Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l’économie-monde ? », la situation économique actuelle et notamment la « domination de notre grand voisin » outre-Rhin sont « le produit d’une faillite : celle de la classe dirigeante française qui a choisi de faire passer les intérêts de la construction européenne avant ceux de la France ».

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Walschaerts/Isopix/SIPA

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Marianne : Dans votre livre*, vous écrivez : « L’Allemagne est devenue, presque sans le vouloir, le nouveau maître de l’Europe. » Diriez-vous de même de sa victoire au Mondial ?

Jean-Michel Quatrepoint : Pour la petite histoire, j’avais également écrit que le triomphe de Merkel sera cette victoire au Brésil ! Mais soyons sérieux : tout est dans le « presque sans le vouloir ». La domination de notre grand voisin tire sa source de ses propres qualités mais aussi de nos défauts, en tout cas de notre expectative. Déjà à la fin des années 1980, la RFA d’alors accumule d’imposants excédents commerciaux. A la chute du mur, la réunification va contraindre l’Allemagne à renouveler une stratégie qui lui a tant réussi. Désormais intégrée, la RDA ne peut plus jouer les sous-traitants à bas coût (un rapport de 1 à 8 entre l’Ost mark et le Deutsche mark). Pour cela, Kohl va pousser son avantage politique en initiant l’élargissement de l’Union européenne vers la Mitteleuropa, l’espace naturel allemand : la Hongrie, la Tchéquie, les pays baltes et même la Pologne. On retrouve au passage la Germanie, le Saint-Empire romain germanique.

Le chancelier met tous ses partenaires devant le fait accompli, au premier rang desquels, la France et la Grande-Bretagne. Quant à la Russie, Gorbatchev se fait acheter pour 12 milliards de marks, censés payer le rapatriement des soldats russes. A ce moment-là, l’Europe change de nature. D’une puissance qui se voulait à mi-chemin entre l’URSS et les Etats-Unis, elle devient une simple entité composante du grand marché mondial libre-échangiste.

L’erreur de Mitterrand, inspiré par Jacques Delors, fut de croire que « voler le mark » à l’Allemagne via la mise en place de l’euro, compenserait notre soudain désavantage. Cruelle, Margaret Thatcher en donnera le vrai sens : « Ce n’est pas l’Allemagne qui s’arrime à l’Europe, mais le contraire ». Voilà la source de la domination Allemande.

La force de l’Allemagne est-elle d’avoir le siège de la Banque centrale européenne à Francfort ou d’abriter celui de Mercedes à Stuttgart et BMW à Munich ?

De fait, l’Allemagne n’a pas eu à choisir. L’euro s’est construit selon les normes allemandes : lutte contre l’inflation, banque centrale indépendante, siège à Francfort. Et pour être certain que la machine tournera bien selon ses règles, le premier président à roder la machine BCE fut Wim Duisenberg, un aimable ressortissant de la Hollande, qui est à l’Allemagne ce que Hong Kong est à la Chine.

Pour ce qui est de l’industrie automobile, elle est la parfaite application du mouvement de délocalisation que j’évoquais. Des usines modernes ont été implantées dans les pays de l’Est pour y sous-traiter la fabrique des composants qui sont ensuite assemblés en Allemagne. Sortent des usines allemandes des produits finis que la planète s’arrache. Le génie allemand est là. Comme à l’époque de Bismarck.

Dans la division internationale du travail, la meilleure des places, et elle est unique, consiste à se spécialiser sur le créneau de l’industrie de qualité. L’Allemagne, déjà bien placée sur l’automobile, s’y est durablement installée grâce à un consensus politique, droite-gauche, et social, patronat-syndicat.

« QUAND LES ALLEMANDS ONT INVESTI DANS L’APPAREIL PRODUCTIF, NOUS AVONS CONSTRUIT DES RONDS-POINTS » !

Vous parliez un peu plus tôt des défauts de la France, de son expectative….

Depuis le début des années 1980, la France a commis quatre erreurs stratégiques. La première fut de ne pas dévaluer en 1981. J’ai déjà évoqué les deux suivantes : ne pas sinon s’opposer, du moins mieux négocier la réunification et l’élargissement, puis accepter la monnaie unique comme un mark bis. La quatrième fut et demeure de ne pas affronter la BCE-Bundesbank. Tout cela est à mon sens le produit d’une faillite : celle de la classe dirigeante française qui a choisi de faire passer les intérêts de la construction européenne avant ceux de la France.

Une des conséquences les plus visibles est que notre pays n’a pas fait d’investissements depuis vingt ans au moins. Quand Chirac et Schröder obtiennent un sursis de la Commission européenne pour relâcher les contraintes de Maastricht sur la dette publique, les Allemands investissent dans l’appareil productif. Nous, nous avons construit des ronds-points et financé les 35 heures. Regardez l’état de la SNCF, de Orange-France télécom ou d’EDF, ces fleurons de la politique industrielle des années 1960-1970 souffrent d’un sous-investissement chronique, idem pour l’armée et les industries de défense qui étaient un de nos points forts.

Il n’y a plus qu’à demander l’Anschluss ? Plus sérieusement, comment la France pourrait-elle reconstruire un rapport de force favorable avec l’Allemagne ?

Idéalement, il faudrait obtenir de Merkel une modification de la construction européenne. Sommes-nous capable de l’imposer ? Je ne crois pas à un possible clash. Nicolas Sarkozy, puis François Hollande ont cédé, tour à tour, face à la chancelière, et je ne vois aucun des dirigeants actuels capables de lui tenir tête. Pourtant notre situation intérieure est proche de celle de 1958. Le pays a perdu confiance en lui-même. Mais à la différence de la IVe République agonisante, la Ve République dispose d’institutions si solides que le pays peut encore fonctionner sur un mode automatique, avec sa propre inertie.

Cette modification pourrait également survenir à l’occasion d’une crise suffisamment aigüe pour déborder et disqualifier la construction européenne telle qu’on l’observe aujourd’hui. Il y en a plusieurs qui couvent. J’en vois au moins trois. Les tentations d’indépendance au sein de pays comme l’Espagne avec la Catalogne ou l’Ecosse en Grande-Bretagne. La deuxième est une nouvelle crise de l’euro. Rien n’est réglé en Grèce ni même en Espagne. Au contraire, la récession est telle que le poids relatif de la dette publique s’est accru depuis la crise… Enfin, il y a un risque de crispation diplomatique majeure entre Russes et Américains, comme on le voit sur l’Ukraine.

Je crois que la poussée de fièvre chez notre voisin de l’Est a été l’occasion pour certains en Allemagne de s’interroger sur le futur de l’Union. Par exemple, les énergéticiens ont clairement fait comprendre à Merkel qu’une position trop anti-Russes pouvait s’avérer catastrophique pour le pays. A la France de s’appuyer sur eux. Sur eux, mais aussi sur les prémices d’un désamour allemand pour l’atlantisme. Je pense aux affaires d’espionnage américain notamment vis-à-vis de la chancelière, pour proposer de refonder une Europe puissance, centrée sur le couple franco-allemand.

Il faut tout à la fois remettre de l’ordre chez nous, retrouver un climat de confiance entre les acteurs économiques et sociaux, investir massivement pour le futur, tout en ayant une franche discussion avec nos principaux partenaires européens. En leur montrant tous les dangers qu’il y aurait à s’aligner purement et simplement sur les désidératas américains, en acceptant par exemple de faire le jeu de leurs multinationales à travers le traité de libre-échange transatlantique tel qu’il se présente.

L’Europe doit retrouver une politique indépendante qui donne la priorité à ses intérêts. C’est un discours que les Allemands peuvent comprendre puisque c’est exactement ce qu’ils ont fait … pour leur compte. L’Europe doit être respectée par tous les empires : Etats-Unis, Chine et cette Russie qui veut retrouver sa place dans le concert des grands. L’Europe ne doit être le vassal de personne.

 


* Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l’économie-monde ?, Le Débat, Gallimard, 2014 Source : http://www.marianne.net/Quatrepoint-Il-faudrait-tenir-tete-a-Angela-Merkel_a240717.html


2 commentaires sur Quatrepoint : "Il faudrait tenir tête à Angela Merkel"

  1. Excellent Jean Michel Quatrepoint. Clair, rigoureux, lucide. Un journaliste d’expérience et de scrupules. Une denrée devenue très rare.
    Il faudrait tenir tête plaide-t-il.
    Tenir tête oui, c’est cela être gaulliste, depuis toujours.

  2. Brétagnol Michel // 24 août 2014 à 14 h 10 min //

    Mais si, il existe bien dans l’actuelle classe politique des hommes capables de se tenir debout face à tout ce qui dans ce pays nous mène à l’effacement puis au déclin. Et si l’Allemagne peut se montrer ferme et rigide face aux pays européens plutôt cigales que fourmis- l’auteur de cet article le dit – c’est bien à cause des faiblesses de la politique Française qui depuis plus de trente ans, n’a pas su et pu engager la France sur la voie de l’effort. Il est vrai que notre peuple portent é plus facilement au pouvoir les partis qui lui mentent en lui promettant la facilité que les partis qui lui parlent le langage de la vérité et de l’effort. Et dans la classe politique française ce qui prime sur toute considération, c’est avant tout d’être ré élu.

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