Paris, Paris outragé …

C’est la fin d’une terrible journée. A pied, fendant la foule, le général de Gaulle arrive à l’Hôtel de Ville où l’attendent Georges Bidault et André Tollet. Un moment d’émotion intense, d’unanimité vraie.
« Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos propres vies. Paris *! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France toute entière, de la France qui se bat, de la seule France … »

  • 25 août 1944

C’est la fin d’une terrible journée. A pied, fendant la foule, le général de Gaulle arrive à l’Hôtel de Ville où l’attendent Georges Bidault [photo : le Général avec Bidault] et André Tollet. Un moment d’émotion intense, d’unanimité vraie.

"Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos propres vies. Paris *! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France toute entière, de la France qui se bat, de la seule France …" [discours de Charles de Gaulle]

Le discours est totalement improvisé. La voix est un peu voilée. La veille, à Rambouillet, de Gaulle aphone, avait fait venir un médecin. Mais les paroles martelées, les mots soulignés, prennent un sens particulier quand on sait que la capitale a bien failli être victime de la rigueur de la stratégie alliée.

Historiquement, le premier combattant F.F.L. à entrer dans Paris s’appelle Raymond Dronne. Ce capitaine manceau, surnommé "la brêle" est un baroudeur. Alors que la bataille fait rage et que la résistance allemande retarde les plans de Leclerc, le capitaine Dronne tente un raid à la tête de trois voitures. Le 24 août, à 21 h 22 très précisément, Il atteint l’Hôtel de Ville.

Bien que survoltées, les troupes de Leclerc doivent retarder l’échéance. Et si l’on excepte le raid de Dronne, c’est seulement le 25 qu’elles pénètrent dans la capitale où se mêlent la joie et la peur. Le légendaire général – l’homme à la canne – s’installe à la gare Montparnasse d’où il adresse un ultimatum à von Choltitz. Sans réponse, l’assaut est donné à l’hôtel Meurice et von Choltitz**, prisonnier, signe un premier acte de reddition.

Un second texte est, en effet, signé à la gare Montparnasse. A la demande de Leclerc, il est contresigné par le Colonel Rol-Tanguy, commandant des F.F.I. d’Île-de-France. Ce qui n’est pas du goût du général de Gaulle. Le chef du Gouvernement provisoire entend bien être la seule autorité du pays, y compris – et surtout – face à la Résistance.

Ainsi, lorsque l’après-midi du 25 août, de gaulle entre dans Paris, il ne se rend pas à l’Hôtel de Ville où il est pourtant attendu, mais à la gare Montparnasse où il arrive à 16 h 15 [photo : le Général avec Leclerc].

Une heure plus tard, dans la voiture conduite par Louis Monthorin, il gagne la rue Saint-Dominique, siège du ministère de la Guerre et reprend le bureau où il fut sous-secrétaire d’État quelques jours avant le 18 juin 1940.

Il prend encore le temps d’élaborer le grandiose défilé du lendemain et de passer par la Préfecture de police avant de gravir les marches de l’Hôtel de Ville où il prononce le fameux discours.

A peine a-t-il terminé que Georges Bidault se penche vers lui (ou plutôt se dresse vers lui !) et lui demande de proclamer la République. Réponse sèche du Général : "La République n’a jamais cessée d’être ! Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu !". Le conflit couve avec les résistants… Il éclate avec le cardinal Suhard, archevêque de Paris pendant l’occupation et que de Gaulle "invite" à être absent lors de la cérémonie à Notre-Dame. Avec les Américains aussi. Comme Leclerc doit assurer la garde d’honneur, les Alliés rappellent qu’il est sous leurs ordres. Mesquinerie dont on ne tiendra jamais compte.

Et le 26 août, à 14 h., c’est le rassemblement à l’Étoile. Folle provocation, alors que l’on tire encore des fenêtres et des soupiraux. Qu’importe. De Gaulle sera devant, les autres derrière.

A Georges Bidault, trop avancé, il lance :"Un peu en arrière, s’il vous plaît !"

Au cours du défilé, il fera d’ailleurs intervertir les places de Bidault et Le Trocquer, à sa gauche et à sa droite…

Et puis, avisant un jeune F.F.I. qui fume, appuyé contre une barrière, de Gaulle lui fait signe. Sourires de satisfaction. Sans doute tient-il à avoir près de lui l’un de ces courageux anonymes. Mais la réalité est toute autre : "On ne fume pas dans les défilés !", dit-il sèchement.

L’extraordinaire cortège s’avance au milieu d’une marée humaine. Parfois un trou se forme dans la foule. Les gens ont dû se jeter à plat ventre sur le sol, à cause de la fusillade qui éclate dès la place de la Concorde.

Sur le parvis de Notre-Dame, des balles fracassent des statuts dont les morceaux jonchent le sol. Dans l’église, des chaises sont renversées, les gens couchés. Leclerc donne des coups de canne pour les faire relever. De Gaulle, lui, est debout, Imperturbable, cible immanquable entre Parodi, Le Trocquer, Leclerc, de Boislambert ou Jean Marin. Une balle ricoche sur le prie-Dieu où est installé Alain de Boissieu. La cérémonie est abrégée et de Gaulle part… dans la voiture découverte.

  • La France ne se couchera pas une deuxième fois.

On épiloguera sur les causes de cette fusillade. Certains soupçonneront les communistes, ce qui est démenti par la plupart des témoins. Le général Alain de Boissieu y verra, pour sa part, des opposants au C.N.R. D’autres suggéreront la responsabilité… de pigeons qui, en piétinant sur les toits, auraient provoqué la réaction de quelques tireurs énervés. Une chose est sure : il ne s’agissait pas de miliciens. Ou alors, ils eussent été terriblement maladroits !

Il n’en demeure pas moins que, dans ce jour de liesse, de Gaulle a pris – volontairement – des risques énormes. Pour une unique raison : celle d’incarner, symboliquement, l’unité nationale à laquelle il tient tant.

 


  • Stratégie alliée

"J’avais l’air d’un enfant de troupe"

Jacques Chaban-Delmas, général à 29 ans, témoigne :

photo : Chaban indique le chemin à Leclerc

"Alexandre Parodi – délégué général – et moi avions appris par un réseau anglais que la stratégie alliée consistait à ne pas se diriger sur Paris mais à le déborder par le nord-est et le nord-ouest, de manière à créer une sorte de nasse qui aurait fait évacuer les Allemands. "Mais nous, à Paris, nous savions que la résistance n’attendrait pas. En juillet, les signes de l’insurrection se multipliaient. Je suis donc allé une semaine à Londres, – au début du mois d’août – pour faire changer la stratégie alliée. Si la libération avait lieu en octobre, voire en décembre, Paris serait un tas de décombres. Je me suis cassé le nez." Il adresse au Général à Alger un télégramme.

Le 19 août, l’insurrection se déclenche à la Préfecture de police. La situation s’aggravait, et tout ceci risquait de dégénérer en massacre. "A ce moment s’est produit une sorte de miracle : Edgar Pisani, qui tenait le téléphone, s’entend dire du Consul général de Suède, Raoul Nordling***, que les Allemands demandent une suspension d’armes. "Seriez-vous d’accord ?" Nous avons cru rêver !" En fait, on le saura plus tard, c’est une initiative du consul qui va des Allemands aux Français en racontant à l’un que la proposition vient de l’autre. Astuce payante puisqu’il obtient même une proposition de trêve. "De Gaulle, arrivé le dimanche en France, est allé l’après-midi voir Eisenhower. "Vous aviez promis, en décembre à Alger, que les Français entreraient les premiers dans Paris. Vous avez Leclerc sous la main. Ordonnez-lui de foncer !" A sa grande surprise, Ike n’a pas marché. Le lundi, toujours rien. De Gaulle envoie une lettre au chef des armées alliées en lui disant : "Si vous n’ordonnez pas à Leclerc de foncer sur Paris, je retire la 2e DB de votre commandement et je l’assume au nom de la France." Ce n’est que le mardi après-midi que Leclerc a reçu l’ordre. Il faut dire qu’il avait un peu anticipé !" "Je n’avais jamais vu de Gaulle … On est à la gare Montparnasse, état-major de campagne de Leclerc. Tout d’un coup, un gars arrive de derrière les guichets : "Le général de Gaulle !". Chaban est présenté à de Gaulle. Il raconte : "A ce moment, le Général me toise de haut en bas. Un silence se fait ; ça dure des secondes, autant dire une éternité… Je vois alors passer dans le regard du Général une succession de sentiments. D’abord la surprise. Et puis la prise de conscience et la rogne, la colère. Comment a-t-on pu faire nommer, promouvoir ce gamin ? Et puis, un attendrissement extraordinaire, au point que son regard est embué. Il s’était bien passé dix secondes. Alors, il m’a tendu la main, a pris la mienne et l’a gardée longtemps dans la sienne.

Et il m’a dit :"C’est bien, Chaban !" "Moi, j’étais récompensé !"


* Citation « Capitale fidèle à elle-même et à la France, a manifesté, sous l’occupation et l’oppression ennemies, et en dépit des voix d’abandon et de trahison, sa résolution inébranlable de combattre et de vaincre. Par son courage en présence de l’envahisseur et par l’énergie indomptable avec laquelle elle supporta les plus cruelles épreuves, a mérité de rester l’exemple pour la Nation tout entière. Le 19 août, conjuguant ses efforts avec ceux des armées alliées et françaises, s’est dressée pour chasser l’ennemi par une série de glorieux combats commencés au cour de la Cité et rapidement étendus en tous les points de la ville. Malgré de lourdes pertes subies par les Forces Françaises de l’Intérieur levées dans son sein, s’est libérée par son propre effort puis, unie à l’avant-garde de l’Armée française venue à son secours, a, le 25 août, réduit l’Allemand dans ses derniers retranchements et l’a fait capituler. » (Paris, Compagnon de la Libération par décret du 24 mars 1945)

** Choltitz(Dietrich von). Schloss Wiese, Silésie, 1894-Baden-Baden, 1966. Général allemand qui fut commandant de la garnison Allemande de Paris en 1944. Il refusa de détruire la capitale(c’était un ordre d’Hitler) et se rendit au général Leclerc.

*** Diplomate, consul général de Suède. Par ses nombreuses interventions auprès des autorités Allemandes, cet humaniste a évité de nombreuses exécutions de résistants. En usant de tout son poids auprès de Von Choltitz, a pu éviter la destruction de Paris. Il a en a été fait citoyen d’honneur en 1958


Un témoignage à lire :  Les yeux ouverts dans un Paris insurgé

1 commentaire sur Paris, Paris outragé …

  1. Flamant rose // 25 août 2014 à 14 h 40 min //

    Je me permets d’apporter quelques précisions à votre billet sur la libération de Paris.

    Concernant le discours de de Gaulle au cours duquel il prononce la fameuse phrase  » Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré « , il est bon de préciser que ce discours n’était pas préparé mais totalement improvisé.

    En écrivant je vous cite « Il éclate avec le cardinal Suhard, archevêque de Paris pendant l’occupation et que de Gaulle « invite » à être absent lors de la cérémonie à Notre-Dame. Avec les Américains aussi. » Vous sous entendez que le général de Gaulle aurait « éclaté » avec les Américains, ce qui me semble inexact. Bien sûr, entre le Général et Roosevelt, c’étaient des rapports de méfiance car Roosevelt avait des idées bien précises sur la réorganisation du monde. Malgré tout, c’est de Gaulle qui est allé trouver le président américain, ce qui ne lui fut pas facile. Les deux hommes ont alors appris à mieux se connaître. Roosevelt a alors accepté de supprimer le projet AMGOT (Allied Military Government of Occupied Territories ) et de reconnaître la souveraineté retrouvée de la France. AMGOT prévoyait en effet d’abolir toute souveraineté, y compris le droit de battre monnaie, sur le modèle fourni par les accords Darlan-Clark de novembre 1942.

    J’apporte une petite précision sur la signature du texte contresigné par Rol-Tanguy. Il n’était pas demandeur. En effet c’est Leclerc qui lui a demandé de contre signer ce texte, ce qui, comme vous le soulignez a fortement déplu à de Gaulle.

    J’ai un petit différent avec vous sur la réponse du général à Bidault lorsque celui-ci lui a proposé de proclamer la République. Il me semble que la phrase de de Gaulle n’est pas  » La République n’a jamais cessée d’être  » mais  » La République à travers nous n’a jamais cessé d’exister » et cette expression « à travers nous » à tout son sens..

    Sur les événements du parvis de Notre Dame que vous relatez, une fois que les gens furent couchés sur le ventre de Gaulle aura une autre répartie célèbre  » On ne voit que des fesses ici ».
    Enfin concernant la fusillade que vous évoquez, les journaux de l’époque ne retenaient que deux hypothèses qui sont pour l’une un acte isolé des derniers allemands retranchés et pour l’autre des miliciens de Darnand, fusillé en octobre 1945 pour avoir collaboré avec l’ennemi.

    Cordialement

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