Conférence de presse du 23 juillet 64

La guerre d’Algérie est terminée depuis deux ans, le Général a conforté la Ve République par l’institution de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Les conférences de presse du général de Gaulle ont désormais pour objet d’exposer à l’opinion française comme à l’opinion mondiale les vues de la France sur les grands problèmes du moment, sans que ceux-ci revêtent le caractère d’urgence nationale qu’avait revêtu la guerre d’Algérie. Chacune d’entre elles apparaît donc comme la réponse du Général aux grands débats nationaux et internationaux. La conférence de presse du 23 juillet 1964 aborde ainsi quatre questions importantes.

Les perspectives économiques

Ce qui est en cause, c’est l’amélioration des conditions de vie de chaque profession, de chacun des Français, de tous les territoires régionaux. A ce propos, le Général détermine le cadre gouvernemental : « Expansion sur la base de la stabilité, c’est ce qui se passe et c’est ce qui va continuer de se passer. Expansion, cela signifie naturellement l’accroissement régulier de la production, dans des conditions telles que le revenu national augmente, que le niveau de vie s’améliore à mesure du progrès général, enfin que les investissements nécessaires aux développements soient assurés tant par les entreprises que par l’Etat. Stabilité, cela veut dire que les prix soient maintenus, que les rémunérations ne s’élèvent pas plus vite que le gain net de la collectivité, que les dépenses publiques ne s’accroissent qu’en proportion du revenu national, que le crédit n’ait d’autre source que celle, normale, de l’épargne, qu’au-dehors la monnaie française conserve une valeur absolue. »

Il rappelle aussi les mesures prises dans le cadre du plan de stabilisation1 arrêté en septembre 63 et réaffirme ce qui lui semble indispensable en matière budgétaire : « notre budget de 1965 doit être fait de telle sorte que le total des dépenses publiques ne dépasse pas l’augmentation du revenu national et que cet accroissement des dépenses publiques soit équilibré par des recettes effectives. C’est très banal, mais c’est capital. Sans doute est – il normal que le total des dépenses publiques augmente d’une année à l’autre puisque le pays s’enrichit. Mais encore une fois, il faut que leur accroissement ne dépasse pas le surplus de ce que la nation a gagné. On peut donc dire que la stabilisation sera acquise et qu’elle sera signée dans la mesure où le budget de 1965 répondra à ces conditions. »

A propos de la politique des revenus (voir rapport Massé2) il invite les partenaires économiques et sociaux à s’inscrire dans une démarche constructive à sa mise en œuvre. Il expose une vision réformatrice du Conseil économique et social qui préfigure déjà ce qui sera son dernier combat en avril 69 (référendum du 27 avril3) : « Il va de soi qu’une innovation aussi complexe et étendue que cette politique des revenus exige que les organisations qui portent des responsabilités économiques et sociales prennent part à sa mise en œuvre, ensuite, à son application. Le Conseil économique et social est évidemment qualifié pour en débattre et ainsi pour contribuer à éclairer les Pouvoirs publics responsables. C’est dire quel rôle l’avenir lui réserve étant donné le caractère réaliste que l’époque moderne impose progressivement à notre démocratie par contraste avec les querelles idéologiques d’autrefois. C’est dire aussi que, le moment venu, le Conseil devra recevoir une composition et des attributions mieux adaptées à cette vocation. Sans doute ne peut – on bâtir Rome en un jour. Mais dès lors que, par le référendum du 28 septembre 19584, puis par celui de 19625, le peuple français s’est doté d’institutions politiques capables de solidité et d’efficacité, je pense que notre République, quand elle aura été confirmée dans sa continuité par l’élection présidentielle, devra proposer au pays cette grande réforme de structure économique et sociale. »

La construction européenne

C’est le deuxième thème de cette conférence de presse.

Après avoir évoqué la mainmise des deux seules grandes puissances suite à la conférence de fin de guerre qui s’est tenue à Yalta entre Staline, Roosevelt et Churchill le 4 février 1945, le Chef de l’Etat affirme que les choses ont profondément changé : « Les Etats occidentaux de notre ancien continent ont refait leur économie. Ils rétablissent leurs forces militaires. L’un d’eux, la France, accède à la puissance nucléaire. Surtout, ils ont pris conscience de leurs liens naturels. Bref, l’Europe de l’Ouest apparaît comme susceptible de constituer une entité capitale, pleine de valeurs et de moyens, capable de vivre sa vie, non point certes en opposition avec le Nouveau Monde, mais bien à côté de lui. » Pour le général de Gaulle, la répartition de l’univers entre 2 camps, respectivement menés par Washington et par Moscou, répond de moins en moins à la situation réelle. »

L’avenir c’est l’Europe. Il n’a jamais cessé de l’affirmer. « Mais quelle Europe ? C’est là le débat ». Ainsi présenté en ce mois de juillet 64, un demi-siècle après, chacun de nous peut constater que ce dilemme n’est toujours pas résolu. Quant à la coopération Franco-allemande, couple Franco-allemand pour employer le vocabulaire de ce 21e siècle, « il n’en est pas sorti, jusqu’à présent, une ligne de conduite commune ». Amère constat.

Et le Chef de l’Etat conclut ce chapitre : « Suivant nous, Français, il s’agit que l’Europe se fasse pour être européenne. Une Europe européenne signifie qu’elle existe par elle – même et pour elle – même, autrement dit qu’au milieu du monde elle ait sa propre politique. »

La France : une puissance atomique.

Pour introduire ce sujet, le Général, comme à son habitude, s’appuie sur l’histoire. Il rappelle ce qui s’est passé à Hiroshima et Nagasaki, les deux bombes nucléaires qui ont mis un terme au conflit. « Ainsi, s’est ouverte dans l’histoire de notre univers, une phase complètement nouvelle quant à la sécurité des peuples par suite quant à leur politique et quant à leurs rapports respectifs. Détenir l’arme atomique, c’est, pour un pays, être à même de réduire sans rémission une nation qui ne la détient pas. Mais c’est aussi dissuader toute nation qui la détient de procéder contre lui à une agression atomique. Car celle – ci consisterait à lancer la mort pour la recevoir aussitôt. »

Il veut que la France détienne sa propre force de dissuasion. Il juge « nécessaire d’entamer l’effort voulu pour devenir, à son tour, une puissance atomique. » et fixe des échéances qui seront respectées : « En 1966, nous aurons assez de Mirage-IV et d’avions ravitailleurs pour pouvoir porter, d’un seul coup, à plusieurs milliers de kilomètres, des projectiles dont la puissance totale dépassera celle de 150 bombes Hiroshima. D’autre part, nous sommes à l’œuvre pour passer de la série-A des projectiles à fission à la série-H des projectiles à fusion, ceux – ci lancés soit à partir de sous-marins atomiques, soit à partir de navires de surface, soit à partir du sol.»

Sa vision politique de la France de demain s’affirme. Il conclut : « Nous continuerons donc notre effort atomique, à court, à moyen et à long terme, convaincus d’aider ainsi au développement scientifique, technique et industriel de la nation, de renouveler l’âme et le corps de notre armée comme le commande l’époque moderne, de donner à la France les moyens de sa sécurité et de son indépendance, par là même ceux de son action au profit de l’équilibre et de la paix du monde. »

La guerre au Vietnam

Le dernier point de la conférence est consacré à l’appréciation par la France du conflit du Vietnam dans lequel l’Amérique (USA) s’engage de plus en plus. Mais de Gaulle ne voit aucune issue militaire possible à ce combat, sinon au risque de créer les conditions d’un conflit généralisé. « Faute que la guerre puisse trancher, c’est donc la paix qu’il faut faire. Or celle – ci implique qu’on en revienne à ce à quoi on s’était engagé, il y a maintenant 10 ans, et que, cette fois, on s’y conforme, autrement dit qu’aux Viêt-Nam Nord et Sud, au Cambodge et au Laos, aucune puissance étrangère n’intervienne plus en rien dans les affaires de ces pays infortunés. Une réunion du même genre et comprenant, en principe, les mêmes participants que naguère la Conférence de Genève, serait certainement qualifiée pour en décider et organiser un contrôle qui soit impartial. C’est cela que la France propose à tous les Etats intéressés, certaine, qu’à moins de plonger l’Asie d’abord, et sans doute, le monde ensuite dans de très graves épreuves, il faudra en venir là ; le plus tôt étant le mieux. » précise-t-il à son auditoire. Il propose, au nom de la France, une conférence internationale qui pourrait se tenir sous deux conditions. La première concerne les puissances qui doivent y participer, c’est-à-dire celles « qui portent, directement ou indirectement, une responsabilité dans ce que fut ou dans ce qu’est le sort de l’Indochine et qui se nomment : la France, la Chine, l’Union Soviétique et l’Amérique ». La seconde doit exprimer la volonté d’une aide économique et technique massive « afin que le développement remplace le déchirement ».

In fine, il conclut que « la France, pour sa part, est prête à observer ces deux conditions ».


1 Plan de stabilisation2 Rapport Massé3 Référendum 27 avril 69

4 La constitution de la 5ème République et de la Communauté française est approuvée par 79,2% des suffrages exprimés en métropole, 96 % en Algérie et 93 % dans les départements ou territoires d’outre-mer. La Guinée qui a voté « non » massivement devient indépendante.

5 Référendum pour l’élection présidentielle au suffrage universel


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