Natacha Polony : France, royaume des imposteurs

 

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Des promesses politiques de campagne aux publicités mensongères, Natacha Polony dénonce les impostures derrière les postures.
Natacha Polony est chroniqueuse au Figaro. Son dernier livre,«Ce pays qu’on abat», vient de paraître.

Cela commence par un président qui se fait élire sur la promesse d’imposer les plus riches à 75%. Disposition retoquée par le Conseil constitutionnel. Le même se fait écraser aux municipales et promet des baisses de charges salariales. À nouveau retoqué. Ce président prend aussi des airs compassés pour aligner trois mots effarants de banalité sur «le droit à la sécurité d’Israël» avant de se reprendre, quelques jours plus tard, et d’évoquer les morts palestiniens parce qu’un communicant l’a alerté sur l’effet désastreux de son assourdissant silence. Triste figure de composition qui est la même qu’à peu près tous les politiques, de droite comme de gauche, quand ils veulent montrer au citoyen français qu’ils sont impliqués, conscients, déterminés.

Ce soupçon qu’il n’y a là aucune conviction, pas l’ombre d’une vision, mais un discours calculé suivant les impératifs supposés de la popularité ou de la réussite.

C’est cet air d’un ancien président interrogé par deux journalistes et qui évoque ce «sens du devoir» qui seul pourrait lui donner l’envie de mettre fin au feuilleton savamment orchestré de son retour pour annoncer qu’il répond à l’appel du peuple. C’est celui d’un ministre des affaires étrangères au visage de circonstance, voulant faire croire que la France a une quelconque position diplomatique qui serait autre que l’alignement pur et simple sur les volontés américaines.

C’est celui de ces chefs de la droite, grands ou petits, qui proclament à chaque élection leur «conviction européenne» depuis que Jacques Chirac, en 1992, a décrété qu’on ne pouvait avoir de destin présidentiel si l’on avait osé critiquer cette Europe.

C’est enfin celui de tous ces responsables qui parlent la main sur le cœur du déclassement des classes moyennes inférieures parce qu’ils ont – enfin – compris que leur abandon total les précipitait dans les bras du Front national.

La communication modifie l’essence même des choses.

Quel rapport entre ces personnages disparates? Cette petite gêne que l’on ressent devant ce qui ressemble fort à une simple posture. Le soupçon qu’il n’y a là aucune conviction, pas l’ombre d’une vision, mais un discours calculé suivant les impératifs supposés de la popularité ou de la réussite. La posture, c’est cette façon de ne se positionner que selon les critères du moment et ce que l’on suppose être l’attente de son public.

C’est ce dommage collatéral généralisé du règne de la communication. Car le phénomène ne frappe pas seulement les politiques. Dans chaque domaine de l’activité humaine, on peut relever ces exemples, non pas d’hypocrisie – ce serait encore un hommage du vice à la vertu – mais de composition d’un argumentaire ponctuel hors sol. Et cela nous raconte un peu de notre monde moderne.

La communication dont on nous rebat les oreilles comme d’un principe d’efficacité a changé de nature sous l’effet d’une extension de la logique marchande. Elle n’a plus rien à voir avec la vieille réclame qui se contentait de vanter les qualités d’un produit, de «faire savoir». Il s’agit désormais de concevoir le produit en fonction de ce qui va séduire. La communication modifie l’essence même des choses.

Le lecteur ou l’électeur sont devenus des clients, des gens à qui l’on offre une émotion ou une vision en partage. Ils sont des parts de marché potentielles.

Dans le domaine des idées? Plus un discours qui ne vante l’action merveilleuse des femmes, tellement «indispensables». Posture. Et que dire de ces proclamations sur la tolérance dont le but est moins de changer les choses que de montrer à ses pairs que l’on se situe du bon côté? Posture. Dans le domaine de l’art? Il y a longtemps que nous sommes habitués à ce discours verbeux qui accompagne des œuvres sans âme pour les positionner sur l’échelle de la «rébellion». Posture encore. Dans le domaine du vin? Il n’y a plus de choix qu’entre des vins passés dix-huit mois en barrique neuve, parce que certains œnologues à la mode n’aiment que le goût du chêne, ou les vins oxydés de ceux qui ont fait du vin «bio» une idéologie.

Le dénominateur commun? Le lecteur, l’électeur ou le buveur sont devenus des clients, plus des citoyens auxquels on s’adresse, des gens à qui l’on offre une émotion ou une vision en partage. Ils sont des parts de marché potentielles. En politique, le tournant date du début des années 1980, quand des publicitaires ont pris en main les campagnes électorales. Un petit village de France sur une affiche et ce slogan: «La force tranquille». Première forfaiture politique. Car malgré l’espoir sincère que soulevait dans une partie du peuple l’arrivée de cette gauche au pouvoir, on entrait dans l’ère du mensonge. Sous prétexte d’aider les politiques à formuler leurs idées et d’offrir un écho à leurs actes, les marketeurs ont peu à peu modifié le discours politique lui-même pour le faire coller aux codes.

Comme dans le vin, c’est maquillage au bois neuf du techno pinard ou vinaigre imposé par les «purs» autoproclamés. C’est un gaullisme de circonstance par des héritiers perchés sur la croix de Lorraine pour mieux s’asseoir sur les engagements et les choix de l’homme du 18 Juin. C’est une invocation ad nauseam des mânes de Jaurès par ceux-là mêmes qui ont désindustrialisé le pays et abandonné la classe ouvrière pour convenir aux sirènes de la mondialisation.

Une société de posture ne peut rien produire de durable, rien qui dépasse le simple cadre de notre existence immédiate, puisqu’elle ne cultive que le court terme et la rentabilité. Quitte, pour cela, à tromper un peu le client. Ainsi de la posture sommes-nous passés à l’imposture.

4 commentaires sur Natacha Polony : France, royaume des imposteurs

  1. Brétagnol Michel // 24 août 2014 à 13 h 29 min //

    Voilà une femme qui ne se satisfait pas de penser vrai, de penser juste, elle le clame courageusement…Belle analyse … elle a tout pour me plaire Natacha….

  2. C’est bien de critiquer, mais de la a presenter ses idees, ses solutions, la il y a un pas que l’auteur ne franchit pas. Les gens de gauche n’ont pas de vision car ils sont de l’epoque ou le mur au milieu de l’Europe les rendait anti-communiste primaires. Les gens de droite n’ont pas de vision parce que lorsqu’on arrive au degree d’inegalites actuels on ne peut pas proner l’enrichissement individuel. Oui le monde est dans une impasse mais il serait temps de proposer au lieu de juste critiquer. Si les solutions avancees consistent uniquement a proner une independance de la France, alors je comprends mieux pourquoi de nombreuses personnes votant FN se reclament du gaullisme.
    Oui la France ne supporte pas la domination americaine. Mais ce n’est pas dans son coin qu’elle portera une quelconque vision. Ce qui unit l’Europe face aux USA c’est le niveau de protection sociale souhaite par la societe. Si on ne cree pas une Europe forte politiquement alors cette protection sociale se delitera inexorablement sous la domination du libre marche et de la philosophie americaine. Je pense d’ailleurs que de Gaulle aurait prefere une France non souveraine politiquement mais juste et egalitaire, qu’une France inegalitaire et renfermee sur elle-meme. C’est la France qui a invente l’egalitarisme, elle se doit de mener un front europeen uni contre l’inegalitarisme importe des USA.

  3. Merci Natacha pour cet article d’humeur. La politique est devenu une comédie où le paraître est devenu le plus important. La démocratie est un exercice difficile. Pour mettre le bon sens et la compétence au pouvoir il faudrait mettre en avant la société civile. Pour cela il faut absolument supprimer le cumul des mandats et en échange une rémunération à la hauteur de leurs responsabilités, des charges sociales et une imposition normale comme tous les autres citoyens.
    http://www.societedavenir.com

  4. Excellente analyse décapante mais lucide et bien structurée.
    C’est en effet culturel en France la communication de l’imposture gagne du terrain. Force est alors de constater que l’on ne communique plus, on surfe…. sur le mépris, la naïveté, l’humiliation, la haine, la violence. « C’est Go l’haine » et « Bas de l’haine », voilà où nous en sommes sans allusion aucune à la disparue du second tour de l’élection présidentielle passée. L’information sature, le bruit devient enfer, l’air de nos pensées se fait irrespirable, la manipulation des consciences s’amplifie pour tétaniser chaque jour d’avantage chacun d’entre nous, au point que, n’y tenant plus, nous sommes prêts à accepter le sentiment que plus personne ne contrôle plus grand chose. Nous sommes ainsi entrés dans l’ère de l’irresponsabilité globale !
    C’est le culte de l’irresponsabilité de l’individu, cher aux bons penseurs et, ce faisant, à l’instar de Madame la député socialiste impliquée dans l’affaire du sang contaminé, nous devrions accepter que tout cela ne fasse pas de nous des coupables et ne nous rendent pas méfiants vis-à-vis de pratiques délirantes qui faisaient dire récemment à Boris Cyrulnik, ethnologue et psychiatre : Le panurgisme psychologique participe à la course économique jusqu’au moment où les moutons euphoriques sautent dans le vide !
    Vous avez raison Natacha Polony de dénoncer l’imposture des responsables politiques (de gauche comme de droite).Ainsi ballotés par des efforts de compréhension insurmontables, par le vacarme assourdissant d’images et de sons véhiculés par des entreprises sans foi, ni loi, dégouttés de l’effort produit, les citoyens les plus fragiles s’en retournent grossir les rangs des exclus et se promettent bien de ne plus remettre les pieds dans un bureau de vote dont ils ne perçoivent plus l’utilité.
    Codes sociaux, rites, protocoles, pactes, traités, fêtes et modes, signes humains en tous genres, nous échappent ainsi pour que nous puissions leur donner un sens. Le langage lui-même ne cesse de nous étonner à défaut de nous enrichir. Chaque jour passé est alors une nouvelle épreuve d’éclipse, d’obscurité, d’interrogation, et, sous la force de l’habitude nous rend un peu plus incapables de décrypter avec clarté ce qui nous apparaissait dans l’instant pouvoir être parfaitement compris. C’est ainsi que, peu à peu, celles et ceux qui par leur haute fonction devraient aider les moins favorisés à comprendre les phénomènes socio-économiques les plus compliqués ne produisent plus que d’affligeantes banalités et finissent par donner le ton d’une langue de bois insupportable. Qui franchement a su expliquer aux français et aux française le découplage entre crise immobilière, crise boursière, crise financière, crise économique et maintenant crise du chômage et les calendriers de reprise pour l’économie en générale ?
    Le miracle technologique du raccourcissement du temps, des distances, des efforts, des langages aussi, nous propulse vers un monde absurde, où, par exemple, on ne sait plus très bien, comme en France, distinguer un père d’une mère.
    Comment donc dans ces sociétés jacassantes donner du sens à des étiquettes fussent-elles intelligentes ? Comment donc dans ces sociétés ou le flou est la constante dimensionnante de toute l’action politique donner du sens au vote citoyen ? Comment donc dans ces sociétés du zapping accorder du temps à l’élaboration de projets structurants ? Comment donc dans ces sociétés du consommer plus pour certains éviter le consommer moins pour le plus grand nombre ? Comment donc dans ces sociétés de l’apparence croire que quelqu’un nous aime….au moins autant que le fleuriste un jour de St-Valentin ?
    Toutes ces questions demeureront sans réponse jusqu’au jour ou par un singulier hasard de la chute d’une météorite ,un peu plus grosse que les autres, la France découvrira que l’espace-temps a aussi ses limites dans cette course effrénée de l’homme politique à tout vouloir maîtriser le plus vite possible.
    Merci à vous de Gaullisme .fr pour vos efforts d’analyses.
    by JC BAERT

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