Conférence de presse du 31 Janvier 1964

Comme à l’accoutumée, en raison de la conjoncture, la conférence de presse de ce 31 janvier 1964 est très attendue. Les journalistes se pressent à l’Elysée pour entendre le Général de Gaulle répondre à leurs questions qui portent essentiellement sur les points suivants :

– La Constitution 1958, modifiée 1962 : le fonctionnement des institutions.

– Les relations avec les nouveaux états issus de la Décolonisation.

– L’Europe : sa construction économique, son devenir politique.

– Les Relations Internationales : le rapprochement diplomatique avec la Chine Populaire.

I – La CONSTITUTION : la Vème République est incompatible avec le régime des partis.

5 années pleines que la Constitution de la Vème République a été adoptée à une large majorité des électeurs- citoyens de France. Pour de Gaulle une Constitution « c’est un esprit, des institutions, une pratique  ». Son objectif est clair : « Assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité dont il manquait organiquement sous la troisième et la quatrième République  ».

Le pouvoir était impuissant, « gangrené » par les partis politiques et soumis à leurs exigences partisanes, « un système qui mettait le pouvoir à la discrétion des partis, …inapte à mener les affaires de notre pays. »

La Constitution, pour la conduite efficace des affaires, affirme la primauté du Président de la République, « garant du destin de la France et de celui de la République » sur le gouvernement nommé par lui pour « la détermination et la mise en œuvre de la politique ».

Quant au Parlement, il est chargé du « pouvoir législatif et du contrôle de l’action du ministère » .Les rôles ainsi attribués, « les affaires doivent être menées d’une manière active, ferme et continue ».

Face aux critiques des opposants à la Constitution, de Gaulle rejette le principe d’« un gouvernement de législature » qui réduirait le rôle du président de la République et préparerait le retour du régime d’assemblée. Avec autant de force, il repousse le « régime présidentiel », analogue à celui des USA, qui ne manquerait pas de paralyser et de limiter les pouvoirs du président et du gouvernement au bénéfice du parlement. En outre, ce système ne convient pas à la nation française, car inadapté à la réalité et à l’Histoire de la France.

Par ailleurs, de Gaulle insiste sur le fait qu’il ne peut avoir de concomitance entre les élections présidentielles et législatives car il ne saurait y avoir une dyarchie au niveau du pouvoir exécutif.

Aux nostalgiques de la IIIème et IVème Républiques, de Gaulle signifie qu’en cas de Conflit entre l’Assemblée Nationale et le Gouvernement, le Président de la République échappe aux pressions et combinaisons des partis en sollicitant la source même pouvoir, à savoir la Nation souveraine, par la voie d’élections législatives au terme d’une dissolution de l’Assemblée Nationale ou par le recours au Référendum . « Ainsi y a-t-il toujours une issue démocratique »

« Gardons la Constitution telle qu’elle est  » conclut le Chef de l’Etat, et n’en déplaise aux nostalgiques de tous poils.  » Le pays a choisi, et je crois qu’il l’a fait définitivement « ..

II – Les RELATIONS avec LES ETATS ISSUS DE LA DECOLONISATION

Cette conférence est l’occasion et le prétexte pour de Gaulle de dresser le bilan de toute une période et d’anticiper les enjeux de la coopération qui accompagne le mouvement de la décolonisation.

L’analyse du conférencier est froide et pertinente sur le passé ; quant à sa vision sur la coopération qualifiée de « grande ambition pour la France  » elle témoigne de lucidité, de pragmatisme et de prophétie : «  Tant que la colonisation était la seule voie par laquelle il était possible de pénétrer des peuples repliés dans leur sommeil, nous fûmes des colonisateurs, et quelquefois impérieux et rudes. Mais au total le bilan de ce que nous avons donné aux autres est largement positif pour toutes les Nations où nous l’avons fait …Je dis que cette époque est révolue …A cause de l’évolution qui est en cours, d’un bout du monde à l’autre du monde, à cause aussi de l’ébranlement universel qui a été causé par les deux guerres mondiales, à cause du mouvement d’idéalisme, …, la décolonisation s’est imposée… »

Le Général précise à son auditoire que cette évolution irréversible s’accompagne de l’aide financière de la France, mais ceci doit être fait dans le cadre d’une coopération réelle et partagée, y compris avec l’Europe telle que le Chef de l’Etat en conçoit l’organisation.

III – L’EUROPE : « La France est une Nation agricole »

Un an après avoir opposé, au nom de la France, son veto à l’adresse de la Grande Bretagne qui depuis 18 mois négociait son entrée au sein de la CEE, aux motifs majeurs « que la nature, la structure, la conjoncture, propres à l’Angleterre, diffèrent de celles des Etats continentaux  », d’une part, et que la venue de la Grande Bretagne dans l’Europe des Six est une menace de dilution de la CEE dans « une Communauté Atlantique colossale sous la dépendance et la direction américaines », le général de Gaulle se sait attendu sur ce dossier européen, et plus particulièrement sur le volet agricole.

Pour de Gaulle, l’Europe économique est une nécessité et une communauté à …. Dans ce contexte difficile, la France doit imprimer ses idées, sa vision d’une Europe solidaire, imposer à nos 5 partenaires l’agriculture dans l’économie de la Communauté. Faute d’incorporer le volet agricole à l’Europe, la France aurait repris sa liberté et il n’y aurait pas eu de Marché Commun.

« En effet , la nature , le volume, l’espèce des produits agricoles, et les conditions relatives à la structure et au travail des exploitations sont très différents entre les 6 Etats… Exclure de l’économie européenne tout ce que produit le sol de l’Europe, c’était renoncer à faire une véritable communauté. »

De Gaulle rend hommage à la solidarité et à la loyauté de l’Allemagne dans ce dossier si délicat.

Face à ce nouveau marché qui se présente à eux, de Gaulle attire l’attention des agriculteurs européens, mais aussi français, sur l’impérieuse nécessité de s’adapter aux perspectives nouvelles. Il appelle les agriculteurs à de grandes réformes, en termes de structures, de qualité des produits, d’organisation professionnelle, de mise en place de marchés et de systèmes de commercialisation. « Faute de quoi, eh bien, la concurrence l’emportera, même chez nous. »

La communauté économique ne saurait, d’après le chef de l’Etat, se développer sans une coopération politique :

« Surtout, il faut maintenant que les Six vivent en commun. C’est à dire qu’ils combattent à l’intérieur de leur ensemble les forces centrifuges qui ne manqueront pas de se manifester…S’ils ne s’entendent pas d’une manière régulière,… on ne voit pas comment la coopération, la communauté économique pourrait vivre, se développer sans une coopération politique ».

Toutefois de Gaulle réitère une nouvelle fois son rejet d’une Europe supranationale :

« Les peuples de l’Europe, chaque peuple de l’Europe ne voudrait pas qu’on remit son destin à un aréopage composé d’étrangers… C’est vrai pour la France »

Pourquoi ne pas envisager une organisation politique Européenne, autre, fondée sur le réalisme ?

« La force des choses faisant son œuvre, peut-être un projet de coopération politique pratique entre les 6 Etats pourrait paraître de nouveau à l’ordre du jour. On ne saurait douter que dans ce cas, la France serait disposée, tout comme elle était hier[1], à apporter à un tel projet une attentive considération. »

 

IV – La reconnaissance de la Chine : un tsunami diplomatique

Ce sujet s’impose naturellement à l’ordre du jour de la conférence de presse. En effet, quelques jours avant, le 27 du mois, un tsunami diplomatique secoue le monde politique international et inonde les chancelleries : dans un communiqué simultanément publié à Paris et à Pékin, le monde apprend que la France et la Chine affirment leur reconnaissance, leur volonté d’établir des relations diplomatiques et d’échanger des ambassadeurs dans les trois mois ! (Voir page …).

Le Général expose les raisons multiples, sérieuses et irréfutables de cette reconnaissance :

– le peuple le plus nombreux de la terre, fort d’une civilisation millénaire remarquable, riche d’une histoire ancienne qui a façonné le tempérament d’une population fière, courageuse, ingénieuse

– l’immensité du pays qui dispose et fournit aux hommes des ressources incommensurables.

– L’évolution récente constatée : sous la dictature de Mao Tsé Toung « depuis 15 ans , la Chine, presque toute entière rassemblée sous un gouvernement qui lui applique sa loi , et qui se manifeste au dehors comme une puissance indépendante et souveraine  », sort du giron et se libère du joug politico-économique de « la Russie , qui comptait garder la Chine sous sa coupe, et par là dominer l’Asie  » a une influence si profonde , qu’« en Asie, il n’y a aucune réalité politique qui n’intéresse et ne touche la Chine , il n’y a pas une paix et il n’y a pas une guerre imaginable sans qu’elle y soit impliquée, disposée à nouer des relations régulières avec Pékin, la République Française a décidé de placer ses rapports avec la République Populaire de Chine sur un plan normal , autrement dit diplomatique . »

En établissant des liens diplomatiques normaux avec la Chine, la France reste fidèle à sa vocation et s’abreuve aux sources de son avenir : « Il se peut aussi que dans l’immense évolution actuelle du monde, en multipliant les contacts directs, de peuple à peuple, on serve la cause des hommes : celle de la sagesse, du progrès et de la paix. Qu’ainsi les âmes se retrouvent, un peu moins tard, au rendez-vous que la France a donné à l’univers, voici 175 ans . Celui de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité. »


[1] Voir le Plan Foucher


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