Les Français rêvent d’Europe : quelle bonne blague

Ce matin (6 mai 2014, Libération titre en une « Un rêve d’Europe », et publie dans ses pages un sondage sur les Français et l’Union européenne.


clip_image001Ce matin (6 mai 2014, Libération titre en une « Un rêve d’Europe », et publie dans ses pages un sondage sur les Français et l’Union européenne. Pourtant, les résultats annoncés par cette enquête d’opinion — et par beaucoup d’autres — relèvent plus du cauchemar.

Ce matin, Libération nous vend en couverture un « rêve », un « rêve d’Europe ». Pour asseoir son propos « à trois semaines des élections », le quotidien s’appuie sur un sondage « exclusif » (forcément…) Libération-ViaVoice. Et le journal de nous expliquer que « les Français restent attachés à l’idéal communautaire et à la monnaie unique », et ce « même s’ils sont très sévères contre Bruxelles ». « Sévères » ? C’est peu dire. L’étude ViaVoice est plutôt du genre assassine à l’égard du fameux « rêve d’Europe ». 58% des sondés considèrent que l’Union européenne est une contrainte économique pour la France, 52% jugent qu’il s’agit d’une contrainte politique pénalisante pour la France et 43% estiment même qu’elle est une menace pour les identités nationales de chaque pays.

Qu’est-ce qui permet de parler de « rêve d’Europe », dans ce cas ? Vraisemblablement le fait que selon ce sondage, 60% des personnes interrogées pensent qu’il ne faut pas sortir de l’UE, et 59% jugent qu’il ne faut pas non plus sortir de l’euro. Et le tiers des Français (ce n’est pas rien tout de même) qui estime a contrario qu’il faut s’extraire de l’Union et de la monnaie unique ? Rêvent-ils d’Europe, eux aussi ? Mais bon, ce n’est pas la première fois que Libération surinterprète un sondage pour faire une belle une…

Mais après tout ce sondage, publié par Libération à trois semaines des élections européennes, n’est pas le seul, ces derniers mois, à s’intéresser au lien qu’entretiennent les Français avec l’Union européenne. Et à les regarder de près, le « désir d’Europe » évoqué dans les colonnes du quotidien laisse plutôt place à une libido en berne. Une étude réalisée par l’institut CSA pour le site Terrafemina en septembre 2013 montre que 52% des Français souhaitent moins d’Europe, quand seuls 17% déclarent en vouloir plus. 58% estiment que l’UE a un impact négatif sur le pays. 51% des expressions associées à l’Union sont négatives : perte de pouvoir d’achat, lourdeurs administratives, concurrence accrue en matière d’emploi… De quoi relativiser l’enthousiasme de la population pour le projet européen…

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CSA/Terrafemina

Une enquête Ifop pour le journal Sud Ouest, publiée deux mois plus tard, ne traduit pas beaucoup mieux ce « rêve d’Europe » des Français. 47% des personnes interrogées considèrent que la monnaie unique est un handicap, quand 20% seulement y voient un atout. 58% souhaitent moins d’intégration européenne et des politiques économiques propres à chaque Etat. Enfin, 74% des sondés déclarent qu’au moment de voter lors des prochaines élections européennes, elles souhaiteront plutôt exprimer leur méfiance à l’égard de l’Europe telle qu’elle se construit actuellement. Un avis qui ne diffère pas foncièrement des propos avancés dans Libération, où l’on estime qu’il faut repenser l’Union européenne. Mais on remarquera aussi que ce sondage Ifop ne proposait pas, dans ses questions, le choix de quitter l’Union.

Nouveau sondage, provenant cette fois-ci de l’institut Ipsos, réalisé pour Le Monde, France Inter, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof au mois de janvier 2014. 33% des sondés souhaitent sortir de la zone euro et repasser au franc, 40% jugent que l’appartenance de la France à l’UE est une mauvaise chose et, à la question « Pour faire face efficacement aux grands problèmes des années à venir, quelle est, selon vous, la meilleure solution ? », 70% des personnes interrogées considèrent qu’il faut renforcer les pouvoirs de décision de notre pays, quitte pour cela à limiter ceux de l’Europe.

Tous les sondages évoqués ont été réalisés en France, par et pour les Français. Il est intéressant de se pencher sur les sondages effectués par la Commission européenne elle-même afin de voir ce que nos voisins pensent de l’UE. Une étude  publiée au printemps 2013, réalisé dans les 28 Etats membre de l’Union et les 5 pays candidats, montre que 42% des Européens interrogés sont opposés à la monnaie unique. 30% des sondés ont une image positive de l’UE, ce qui équivaut presque à ceux qui en on une image négative, qui représente 29%. Des chiffres également proches en ce qui concernent le future de l’Union : 49% d’optimistes pour 46% de pessimistes.

A la lumière de ces résultats, la désaffection des Français, et plus largement des Européens, pour l’Union semble suffisamment importante pour que l’idée d’un « rêve européen » apparaisse un peu… irréelle. Le plus navrant peut-être : ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, nous parlent de ce « rêve d’Europe » et qui, demain, au soir du 25 mai, commenteront à longueur de colonnes le cauchemar que représenteront les chiffres de l’abstention et les résultats des formations d’extrême droite.

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