« La France n’a pas intérêt à entrer dans une guerre de religion »

520291_former-defense-minister-chevenement-listens-to-a-speech-during-the-summer-meeting-of-the-socialist-party-in-la-rochelle

  • Entretien de Jean-Pierre Chevènement au Parisien dimanche, 1er septembre 2013, propos recueillis par Philippe Martinat.

Le Parisien: Vous attendiez-vous à une telle escalade de la tension internationale sur la Syrie ?

Jean-Pierre Chevènement: J’ai toujours été inquiet au sujet de la Syrie. J’avais d’ailleurs exprimé ma préoccupation à François Hollande et à Laurent Fabius dès le mois de juin 2012 quant à la définition de notre politique. Selon moi, il eût mieux valu privilégier une posture de négociation et faire de la France un intermédiaire entre les camps qui s’opposent dans ce qui est une véritable guerre civile intercommunautaire avec, à l’arrière-plan, une rivalité entre sunnites et chiites. Je ne pense pas que la France ait intérêt à entrer dans une guerre de religion.

Vous jugez notre diplomatie imprudente ?

Je m’étais inquiété de la formulation « Bachar doit partir », calquée sur celle employée naguère par Alain Juppé : « Kadhafi doit partir. » Je me suis entretenu à plusieurs reprises avec le président de la République et avec le ministre des Affaires étrangères. Je pense qu’il n’y a pas de solution militaire, il ne peut y avoir qu’une solution politique. Celle-ci doit intervenir avec l’ensemble des parties prenantes du conflit, ce qui suppose le respect de la légalité internationale, car c’est dans le cadre du Conseil de sécurité de l’ONU que ces négociations peuvent être menées. En tout cas, j’ai clairement privilégié cette ligne de la négociation et j’ai beaucoup regretté qu’Alain Juppé ait fermé l’ambassade de France à Damas en mars 2012 : il y a une continuité, si je puis dire…

Bachar al-Assad n’a-t-il pas néanmoins franchi la ligne rouge en employant des armes chimiques ?

C’est possible, mais ce n’est pas sûr. Etait-ce vraiment son intérêt? Je pense qu’une erreur a été commise par le président Obama quand il a déclaré, en août 2012, que l’emploi de l’arme chimique serait la ligne rouge conditionnant une intervention occidentale. Il s’est piégé lui-même. Reste maintenant à savoir ce qui s’est passé réellement. On nous parle de preuves, mais je me rappelle de Colin Powell devant le Conseil de sécurité de l’ONU brandissant ses fioles : « We’ve got the evidence! » (NDLR : « Nous avons les preuves ! ») Le secrétaire d’Etat, qui était peut-être de bonne foi, avait été intoxiqué par la CIA. Dans le cas présent, nous n’avons pas de preuves irréfutables.

Il y a tout de même environ un millier de morts dans ce massacre…

Au Caire aussi, il y a un millier de personnes qui ont été tuées, certes par balles, mais on n’a guère entendu les professeurs de morale. Autrefois, il y avait le droit. Aujourd’hui, on a remplacé le droit par la morale. Et de la morale on passe à la punition. C’est plus facile, mais c’est très dangereux, car le fameux « droit d’ingérence », c’est toujours le droit du plus fort : on n’a jamais vu les faibles intervenir dans les affaires des forts. Je n’ai pas besoin de vous rappeler tous les exemples de manipulation de l’opinion publique dans l’histoire. Je me méfie donc beaucoup des manipulations de l’opinion publique et de la dictature de l’émotion à partir de laquelle on prend des décisions apparemment dictées par la morale mais qui ont en fait un sens politique. Le droit-de-l’hommisme ignore ou, de manière plus perverse, occulte les choix politiques.

La France prend-elle un risque en restant en première ligne à côté des Etats-Unis ?

Je constate que la France sera, si cette frappe intervient, le seul allié européen de M. Obama, d’ailleurs soutenu par l’ancien président Bush. C’est la situation inverse de celle de 2003, où les Etats-Unis et la Grande-Bretagne avaient le concours de l’Italie, de l’Espagne, de la Pologne et d’autres pays européens. Là, nous sommes totalement isolés. J’ajoute que l’opinion publique est divisée. Ce n’est pas servir la défense du pays que d’engager nos forces dans un pareil contexte. Le président Hollande parle à juste titre du maintien de la souveraineté de la France. Mais l’indépendance de la France suppose que nous ne soyons pas ralliés à la ligne « occidentaliste », celle qu’on appelait autrefois néoconservatrice : c’est-à-dire l’Occident contre les autres.

Vous êtes donc résolument hostile à des frappes ?

Je n’ai pas un esprit systématique : je m’étais abstenu sur la Libye, j’ai été tout à fait en pointe sur le Mali. Quand on fait le bilan de toutes les ingérences, ce n’est pas très brillant : au Kosovo, nous avons récolté un Etat mafieux ; en Irak, où il n’y a plus d’Etat, il y a eu 1 000 morts en juillet dans des attentats ; en Libye, les milices islamistes sont maitresses du terrain… Que se passera-t-il demain après Bachar al-Assad? Nous savons très bien qu’il y a des groupes jihadistes importants, armés de l’extérieur. Moi, je serais prudent. Il faut absolument privilégier les voies de la paix.

——-
Source: Le Parisien

8 commentaires sur « La France n’a pas intérêt à entrer dans une guerre de religion »

  1. Gilles Le Dorner // 8 novembre 2013 à 8 h 24 min //

    Le droit d’ expression ne se résume pas à la pensée et aux « sermons » d’ Etat . Et une commémoration n’est pas le coup d’envoi réitéré de la pensée obligée et des élections européennes , pas plus qu’un drapeau de bleu étoilé ne signifie bannière salvatrice faisant taire de façon obligée les choix et les consciences . Et si le droit survit de méditer aussi sur Jaurès ou Barbusse ou Péguy ou Apollinaire ou Dorgeles ou d’ autres et de la Moisson de Quarante , la pensée Libre se doit de ne pas jeter l’anathème et de ne pas confondre la folie des nationalismes avec la sagesse prudente des Nations . Pour une autre conception , politique et respectueuse , de l’ Europe . Quant aux leçons des dits-sermons , les perspectives sont devant nous , et du droit et devoir de choisir encore et de refuser la spirale des conflits . Debout , à Bourges respectueusement

  2. Gilles Le Dorner // 1 novembre 2013 à 7 h 00 min //

    Sans esprit d’ingérence ni mauvais esprit , par fidélité et de journées et silences d’ Assise , et puisque les Nations ou Etats ne sont pas que des monstres froids , une saine manière de commémorer avant l’heure , Croix et Croissant comme des Eaux Mêlées , le centenaire du conflit de la guerre de 1914-1918 , ou d’ honorer comme en condoléances passées polies et ponctuelles la canonisation des papes de Pacem in terris et Fides et ratio , serait , est de penser , contribuer , sans esprit d’ingérence et sans mauvais esprit , à sortir , sortant de nos murs de raisons d’ hommes au mépris de la veuve et de l’orphelin , de la spirale des conflits et querelles et des guerres dites fratricides . De l’ Orient , « bâtisseurs de paix dans un monde en guerre » , comme de Genève en volontés et conciliations , partager les chemins en Espérance à Bourges , respectueusement

  3. C’est aussi et surtout une guerre civile qui oppose des Syriens toutes religions confondues puisque les Chrétiens syriens seraient considérés comme au service de l’étranger si nous nous mêlions de cette guerre comme c’est le cas suite à la guerre d’agression US contre l’Irak du « méchant dictateur Saddam Hussein » par les US du chrétien « born again » fondamentaliste G W Bush en 2003.

  4. HADJADJ Robert Max // 7 septembre 2013 à 1 h 36 min //

    Montpellier 17 Fructidor An CCXXI
    3 septembre 2013

    Aux parlementaires.
    Objet : intervention militaire Française en Syrie

    Chaque fois que les USA et l’OTAN interviennent militairement dans un pays ils ne font qu’aggraver la situation de ces pays. L’Irak, depuis la fin de l’intervention militaire occidentale, est en proie à une interminable guerre civile. La Libye qui vivait en paix sous le régime du colonel Kadhafi est aujourd’hui en plein chaos, livrée aux exactions et à l’arbitraire de bandes islamistes armées.

    Si l’OTAN parvenait à abattre le régime syrien actuel, (certainement coupable d’avoir utilisé les armes chimiques destinées à Israël contre son propre peuple) il est très probable que lui succéderait un gouvernement islamiste rétrograde, intolérant, oppresseur et peut-être terroriste. Ce serait mieux ?
    Est-ce mieux chez nous quand un homme peut décider seul de faire la guerre sans vote du parlement !

    Nous suggérons à tous les citoyens et à toutes les organisations d’agir rapidement en direction des parlementaires pour leur demander de refuser toute intervention militaire française en Syrie ou ailleurs sans mandat de l’Assemblée Nationale et sans mandat de l’ONU, car le parlement français mercredi prochain va débattre de la Syrie. Débat malheureusement sans vote, le gouvernement craignant d’être condamné par le parlement comme vient de l’être à Londres le gouvernement britannique.

    P/l’exécutif MRSP
    Robert HADJADJ Psd.
    I

    MRSP
    Jacobin – Laïque – Social
    Mouvement Républicain de Salut Public
    460, rue des Amandiers 34750 VILLENEUVE LES MAGUELONE – Tél 06.81.04.48.16
    Association n° 0343024473 (Préfecture de l’Hérault) – J.O. du 28/07/1997 – courriel: mrsp34000@gmail.com

  5. Mr Chevènement a raison ; ses analyses politiques sont franches , claires , et honnêtes depuis toujours.
    Il n’a jamais suivi les modes , il a toujours une parole claire , précise et est au dessus des partis politiques ;
    S’il avait été Président de la République , je pense que La France ne serait pas dans le triste état actuel.
    Ses opinions ne sont ni de gauche ni de droite , c’est un Humaniste. Il respecte les êtres humains quel que soit leur race et leur religion . Dommage que Le President actuel ne l’ai pas écouté; !!!
    J’ai un profond respect pour Monsieur Chevènement et je le remercie car il nous montre qu’il y a encore des HONNETES HOMMES .

  6. Bravo, je partage cette analyse pleine de bon sens tout simplement. D’autant que de plus en plus, nous assistons a une manipulation de la conscience collective par une dérive journalistique de plus en plus criante sur quasiment tous les sujets…est ce une démission de directeurs de publication ? Ont-ils perdus tous leur pouvoir de décision de ligne éditoriale au profit des rédacteurs en chef ? Ces questions sont de plus en plus d’actualité et posent le problème des rôles et pouvoirs des hiérarchies dans la presse pour garantir une information plusraliste, objective et moins cassante…

  7. Voila une position claire : il faut privilégier le dialogue c’est à dire la diplomatie. La question qui est posée, si on cherche à peser concrêtement sur l’histoire qui s’écrit en ce moment, c’est quoi faire au niveau individuel pour influencer le niveau « supérieur » c’est à dire les responsables politiques. Le plus simple est le plus efficace. Il faut faire connaître notre point de vue personnel à nos élus soit en les rencontrant, notamment les députés, ou en leur écrivant via leur site à l’Assemblée nationale ou par tout autre moyen de proximité, sortie d’une réunion, contact à leur domicile et cela avant le débat prévue ces jours-ci au parlement. Il faut qu’ils exigent que la consultation soit suivie d’un vote, car, sans ce dernier, la preuve serait rapportée que leur voix ne compte pas , ce qui serait une nouvelle attaque contre la démocratie et un grave précédent. En 2003 la France avait refusée de se laisser embarquer par les arguments de la CIA concernant l’usage des armes de destruction massive. En 2013 pour l’honneur de notre pays et pour son rang nous n’avons pas le droitd de laisser la représentation nationale de se comporter en valet du maître vénal de la mondialisation.

    Membre fondateur du MOUVEMENT DES DEMOCRATES initié par Michel JOBERT

  8. Si Monsieur Hollande persiste dans son idée de faire rentrer en guerre contre le régime Syrien, la France , seul pays européen, il le regrettera, mais sera t-il encore là pour en subir les conséquences?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*