L’Allemagne réaffirmerait-elle maintenant sa langue contre le « globish-pour-tous » ?

 

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Nous savons que la défaite de l’Allemagne en 1945 a amené une emprise des Etats-Unis sur ce pays telle qu’elle a pu prendre très longtemps – bien plus d’un demi-siècle – l’allure d’une soumission-adhésion, d’une quasi-conversion de la patrie de Goethe, de Kant, et de Wernher von Braun, aux mœurs sociales et politiques, voire à une partie des intérêts stratégiques et économiques, du vainqueur, ainsi qu’à sa langue, l’anglo-américain.

Adhésion facilitée par les affinités ressenties dans divers domaines, la moindre n’étant pas une parenté germanique – quasi raciale – certes partielle mais bien loin d’être négligeable. Parenté ainsi ressentie aussi du côté des Etats-Unis*, dont un président proposa à Berlin un « partnership in leadership » : aux Etats-Unis la conduite du monde, à l’Allemagne celle de l’Europe, en sous-traitance. Ce président avait en effet constaté la montée en puissance de l’Allemagne sur le continent européen, et en même temps les énormes progrès de la langue anglaise chez Goethe, au point que les universités allemandes s’étaient, à l’instar des pays scandinaves aux langues moins rayonnantes, converties partiellement à l’enseignement en anglais à leur propres étudiants nationaux : le rêve dont se sont entichés chez nous les Pécresse-Descoings-Tapie(Pierre), puis les Fioraso-Berger.

L’adhésion à la prééminence de la langue anglo-américaine a été récemment reflétée dans le discours à la Nation allemande et aux peuples d’Europe prononcé le 22 février par M. Joachim Gauck. Le Bundespräsident (président fédéral) y a prôné le nécessaire passage à l’anglais langue européenne commune pour toutes les affaires sérieuses, en concédant simplement le maintien dans les foyers des langues maternelles, « avec toute leur poésie ».

Mais un nouveau mouvement se développe. Le peuple allemand, qui recouvre puissance et orgueil dans tant de domaines, donne en effet de premiers signes de reconquête de sa langue, trop longtemps avilie et marginalisée sous l’anglo-américain, langue d’un maître maintenant contesté et concurrent, comme le dénonçaient depuis les années 50 des associations allemandes actives**.

La France, qui s’abandonne en ce moment, ne devrait pas être en décalage, et « en reste ».

Citons d’abord cette observation de l’Observatoire européen du Plurilinguisme (OEB) présidé par notre ami Christian Tremblay (juin 2013) :

« L’Allemagne s’interroge sur les bienfaits de l’anglicisation de l’enseignement supérieur

Dans la course à l’anglicisation de l’enseignement supérieur, l’Allemagne avait pris quelques longueurs d’avance sur la France et l’Italie, sur la piste suivie depuis des décennies par les pays scandinaves et les Pays-Bas.

En fait, moins de 10% des formations de niveau master sont dispensés en anglais, soit à peine plus qu’en France aujourd’hui.

Pour autant, les universités allemandes prennent conscience des méfaits de cette politique. La conséquence la plus immédiate est la mauvaise insertion des étudiants étrangers dans l’économie allemande qui, en raison du vieillissement accéléré de sa population, a besoin d’une immigration de haut niveau de qualification. Il est donc nécessaire d’imposer l’apprentissage de l’allemand et de réintroduire l’allemand comme langue d’enseignement dans les formations qui ont été développées 100 % en anglais depuis 10 ans en pure perte.

L’autre raison de donner un coup d’arrêt à l’anglicisation de l’enseignement supérieur et de la recherche est tout simplement la nécessité de sauvegarder la qualité de la recherche en Allemagne. Dans de nombreux domaines de recherche la connaissance de l’allemand est nécessaire. Par ailleurs, si l’on peut à la rigueur publier en anglais afin d’augmenter son nombre de lecteurs, cela ne veut pas dire que la recherche doive nécessairement se faire en anglais. La recherche dans sa propre langue, dès lors que celle-ci demeure capable d’exprimer toute la réalité scientifique, est une condition de la créativité scientifique ».

Les arguments contenus dans ce texte rappellent ceux qu’ALF et ses associations partenaires ont développés dans leur Mémoire « Le français et les Sciences » diffusé récemment sur la toile et à 2.000 exemplaires sur papier.

Je rappelle aussi à ce propos l’information déjà donnée au sujet de la Société des Chemins de fer fédéraux allemands : la Bundesbahn veut se débarrasser de quelque 2.700 anglicismes qui ont pollué sa communication interne et externe. Elle édite et diffuse un glossaire par lequel elle rend les équivalents allemands obligatoires dans tout son réseau. Exemple à suivre par la SNCF, Air-France et autres services publics en France ! Les termes existent : les commissions de terminologie compétentes ont fait leur travail.

Il ne manque plus qu’une volonté politique suffisante pour suivre le réveil allemand.

Et peut-être aussi un début de réveil ailleurs en Europe, puisque le Tribunal administratif de Lombardie vient d’ordonner au Politecnico de Milan de revenir au moins partiellement à l’enseignement en italien, alors que ce prestigieux Institut polytechnique avait cédé à la même mode en Europe du Nord de l’enseignement supérieur en anglais, mode à laquelle les Valérie Pécresse, Pierre Tapie, Richard Descoings, Geneviève Fioraso, ont succombé chez nous.

Serons-nous les derniers à réagir, nous qui fûmes les premiers dans les années soixante hélas oubliées ?

Albert Salon, docteur d’Etat ès lettres,
ancien ambassadeur, président d’Avenir de la langue française (ALF).

*Les Anglo-saxons, après leurs victoires sur l’Allemagne dans les deux guerres mondiales, ont très vite milité pour le redressement, voire la remilitarisation, de leur « cousin germain » vaincu, surtout pour faire équilibre à la France.

**Le Verein deutsche Sprache (VDS), qui a plusieurs dizaines de milliers de membres, est partenaire d’actions communes avec Avenir de la langue française (ALF) : cf. son site www.avenir-langue-francaise.fr

2 commentaires sur L’Allemagne réaffirmerait-elle maintenant sa langue contre le « globish-pour-tous » ?

  1. Bellenger Pierre // 2 août 2013 à 10 h 21 min //

    Il y a un équilibre à trouver. Mais nous ne le trouverons pas dans une situation de domination d’un pays sur un autre. Il faut d’abord accepter collectivement un art de vivre en société qui soit fraternel. D’ailleurs, toute la crise actuelle qui n’en finit pas de ravager tous les pays réside dans l’incapacité où nous sommes, de vivre fraternellement. C’est une problème philosophique : oui ou non, voulons-nous accepter de dépasse la loi de sélection naturelle ? C’est notre mutation Sapiens qui nous y oblige. Le fait d’être devenu sapiens, nous oblige à dépasser cette loi de la sélection naturelle. Si nous nous y opposons, nous condamnons notre humanité à disparaître, car le profit financier comme moteur économique nous mènera à la destruction de la vie animale sur la planète. Il est donc obligatoire d’avoir un système économique qui soit compatible avec ce dépassement. Le Keynésisme était compatible ; nous l’avons remplacé par le monétarisme depuis le 3 Janvier 1973, et nous en vivons les conséquences. Il faut donc revenir au Keynésisme, et cela mondialement. Le néolibéralisme des ussaniens, entre temps est devenu le Monétarisme par systémisation du néolibéralisme dans les années 1958/59., et ce Monétarisme est l’application de la loi de la sélecion naturelle.
    N’y a-t-il pas à creuser du coté de cette idée d’évolution ? La civilisation nous y oblige.
    Pierre.Bellenger@wanadoo.fr

  2. La diversité donne sens à l’union alors que la fusion la dissout.
    Egalement valable pour les populations me semble-t-il.

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