Guérini devant les gendarmes : rien vu, rien entendu

 

Photo : Jean-Noël Guérini le 30 janvier 2013.© Jean-Paul Pelissier/Reuters

Jean-Noël Guérini le 30 janvier 2013.Comme annoncé hier 30 mai), Jean-Noël Guérini, président (PS) du conseil général des Bouches-du-Rhône, est convoqué lundi 3 juin 2013 à 14 heures par le juge d’instruction Charles Duchaine, dans le cadre d’une information judiciaire portant sur des marchés publics présumés frauduleux. Son avocat Me Dominique Mattéi nous a indiqué jeudi que son client s’y rendrait « si son état de santé le lui permet ».

L’élu avait déjà été entendu par les gendarmes et la douane judiciaire le 2 avril 2013 dans ce même dossier, mais sa garde à vue avait dû être écourtée suite à un malaise. Également placé en garde à vue, son frère Alexandre, entrepreneur spécialisé dans les déchets, a lui écopé le 4 avril 2013 d’une nouvelle mise en examen pour « association de malfaiteur en vue de commettre des faits de corruption, trafic d’influence et détournement de fonds publics, et pour corruption active et trafic d’influence ».

C’est le volet de l’affaire Guérini le plus sulfureux, où apparaissent des marchés publics attribués, dans les Bouches-du-Rhône et en Haute-Corse, à des entreprises proches du grand banditisme, des sociétés écrans et des comptes au Luxembourg, en Suisse et en Israël, ainsi que des commissions ressemblant fort à des pots-de-vin et à du racket.

Une vingtaine de personnes ont été mises en examen dans ce dossier : des personnes réputées liées au grand banditisme comme Bernard Barresi, mais aussi deux élus socialistes, le sénateur et maire de Berre-l’Étang, Serge Andréoni, ainsi qu’un de ses adjoints, Raymond Bartolini. Le juge Duchaine estime qu’Alexandre Guérini, entrepreneur dans les déchets et frère du patron du département, jouait dans ce dossier le rôle de « trait d’union entre le “milieu” et la “bonne société”, entre le monde économique et politique ». Et il soupçonne Jean-Noël Guérini d’avoir « par ses interventions influentes, ses actions ou ses abstentions (assuré) le succès de leurs différentes entreprises ». En décembre 2012, dans sa demande de levée d’immunité parlementaire du sénateur socialiste, le juge Duchaine évoquait des soupçons de « corruption passive », « trafic d’influence » et de « participation à une entreprise de malfaiteurs en vue de la commission de ces délits ».

Lors de la garde à vue écourtée de Jean-Noël Guérini début avril 2013, les enquêteurs y ont ajouté de nouveaux éléments : « complicité d’extorsion » et « atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics ». Dans les locaux de la section de recherche de la gendarmerie, le sénateur avait joué les ébahis, s’indignant que personne ne l’ait alerté des nombreuses interventions de son frère dans les affaires du département qu’il préside depuis 1998.

« Si quelqu’un m’avait informé de cette situation j’y aurais immédiatement mis fin, a ainsi répété Jean-Noël Guérini. (Pas) une seule seconde je n’ai été informé de ses agissements. (…) Aujourd’hui, je connais ce qui est reproché à mon frère en lisant le dossier dans lequel j’ai été mis en examen ou en lisant la presse. Mais pourquoi personne ne m’a informé de ce qui se passait ?» Interrogé sur les « relations mafieuses » de son frère, Jean-Noël Guérini répond les apprendre « par la presse » et être « stupéfait ». « Avez-vous aidé en toute connaissance de cause votre frère dans ses desseins mafieux ? » demandent alors les enquêteurs. « Jamais, s’indigne Jean-Noël Guérini. Tout cela est un véritable mensonge. C’est un scandale de tenir ce genre de propos. »

L’exercice vire au grand guignol, quand le patron du département affirme ensuite n’avoir « aucun pouvoir sur la nomination des présidents des satellites du CG13 (conseil général des Bouches-du-Rhône – ndlr », à la tête desquels son frère s’est efforcé, très souvent avec succès, de placer ses affidés. Le sénateur finit par s’énerver et rappeler en criant qu’il est « élu de la République en qualité de parlementaire », quand les enquêteurs s’étonnent de sa « posture de déni ». « Je ne suis pas dans le déni, s’emporte Jean-Noël Guérini. Jamais je ne suis pas dans le déni. Je n’autorise pas ce genre de question sur moi. »

Auditionnés comme témoins en janvier 2013, deux très proches collaborateurs de Jean-Noël Guérini disent avoir compris, avec le recul, qu’ils avaient été « trompés » ou « manipulés » par le patron du conseil général. « J’ai compris que la plupart des dossiers sur lesquels le Président Guérini souhaitait que l’on mette en place une procédure singulière telle que la commande d’une étude juridique soi-disant pour appuyer une position politique cachait en réalité des objectifs différents servant les intérêts de son frère, a ainsi reconnu sa conseillère spéciale Béatrix Billès. Je m’en suis aperçue sur le dossier du Mentaure (une décharge à La Ciotat confiée à une société d’Alexandre Guérini – ndlr), je l’ai aussi vu sur le blocage des subventions allouées à la mairie de Salon (alors en conflit avec Alexandre Guérini, qui gérait la décharge de la communauté d’agglomération – ndlr) ou encore sur les dossiers des ports (départementaux, qui intéressaient fortement les amis d’Alexandre Guérini proches du grand banditisme – ndlr) et la vente des îlots 3 et 4 ZAC Source du Pré à La Ciotat (une opération d’aménagement – ndlr). »

« J’ai le sentiment de ne pas avoir vu la totalité des dossiers, a de son côté lâché Pascal Marchand, l’ancien directeur de cabinet de Jean-Noël Guérini, aujourd’hui directeur adjoint à la communauté urbaine de Marseille. Une partie m’échappait. »

Un curieux déjeuner

De son côté, Alexandre Guérini a farouchement démenti, lors de sa garde à vue début avril 2013, tout lien avec le milieu marseillais, et notamment avec Bernard Barresi (acquitté en mars 2012 à Colmar pour un ancien braquage) et Michel Campanella* (qui a purgé plusieurs peines de prison pour recel en bande organisée et violences aggravées), tous deux reconvertis dans le BTP. L’entrepreneur affirme ainsi n’avoir rencontré les deux hommes qu’en 2011… à la maison d’arrêt de Luynes, alors qu’il était placé en détention provisoire dans un autre volet du dossier. « Il (Bernard Barresi – ndlr) a été placé dans une cellule juste à côté de la mienne, a indiqué l’homme d’affaires. Je ne le connaissais pas avant. »

Alexandre Guérini est soupçonné d’avoir usé de son influence auprès du département, de ses sociétés d’économie mixte (SEM) et d’élus locaux pour permettre à des entreprises contrôlées par Bernard Barresi ou Michel Campanella (MGC, OBR, ABT et Alba Sécurité) de décrocher des marchés publics. Plusieurs dirigeants de ces SEM, au sein desquelles le conseil général est majoritaire, ainsi que le maire et un cadre de La Ciotat ont en effet affirmé aux enquêteurs avoir été présentés à Bernard Barresi par Alexandre Guérini lui-même, et avaoir ensuite subi des pressions.

Entendu en garde à vue en octobre 2012, Gérard Lafont, l’ancien directeur général adjoint du conseil général (un poste stratégique englobant « construction, éducation et patrimoine»), a également reconnu avoir participé en 2009 à un déjeuner organisé par Alexandre Guérini avec Bernard Barresi et un élu (PS) de Berre-l’Étang, Raymond Bartolini, également mis en examen dans ce dossier. Alors en cavale, Bernard Barresi se cachait sous le nom d’emprunt de Monsieur Gilles. Les deux collectivités (le département et Berre-l’Étang) ont pour point commun d’avoir confié, dans des conditions douteuses, des chantiers à ABT. L’entreprise, soupçonnée d’être contrôlée en sous-main par Bernard Barresi, s’était révélée incapable de mener à bien les travaux.

Gérard Lafont venait ainsi de résilier un marché de gros œuvre et de terrassement d’un collège à Marseille, remporté par ABT grâce à une offre étonnamment proche de l’estimation de prix du maître d’œuvre. « Alexandre Guérini a dit à Bartolini : “Voilà Gérard Lafont a résilié le marché avec ABT, toi tu ne l’as pas fait”, a indiqué aux enquêteurs Gérard Lafont. J’ai cru comprendre qu’il y a eu le même scénario à la mairie de Berre avec ABT et que la mairie avait payé des travaux qui n’avaient pas été réalisés. Guérini me demandait ce que Bartolini et la mairie de Berre pouvaient faire. » Devenu directeur de l’office HLM des Bouches-du-Rhône, Gérard Lafont est ressorti sans aucune charge de sa garde à vue d’octobre 2012.

Selon La Provence, Jean-Noël Guérini aurait indiqué à plusieurs personnes qu’il ne comptait pas se rendre à la convocation par le juge en raison de son état de santé. Ce qui n’a pas empêché le sénateur d’apparaître fringant et hilare au Sénat jeudi 30 mai, à l’issue d’un échange houleux sur le projet de loi de décentralisation entre élus des Bouches-du-Rhône et la ministre Marylise Lebranchu.


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Comme le relevait Marsactu, le patron du département doit également faire une apparition publique samedi 1er juin lors de « la manifestation marquant la fin de la première tranche de travaux de sauvegarde et de restauration de l’église Saint-Nicolas de Myre » à Marseille. Travaux auxquels le conseil général a apporté un « soutien financier important ».

*Michel Campanella est mis en examen dans ce dossier pour « association de malfaiteurs en vue de commettre le délit d’extorsion de fonds » et « extorsion de fonds ». Bernard Barresi est lui mis en examen pour « blanchiment commis en bande organisée », « association de malfaiteurs en vue de la commission du délit de blanchiment en bande organisée », « faux et usage de faux », « recel de détournement de fonds publics commis en bande organisée », « corruption active », « association de malfaiteurs en vue de la corruption », « association de malfaiteurs en vue de la soustraction de biens publics par une personne chargée d’une mission de service public », « complicité et recel de favoritisme », « association de malfaiteurs en vue de la commission des délits de trafic d’influence, de corruption active et passive, et d’extorsion de fonds », et « trafic d’influence ».

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