Bruno Le Maire : « La droite a reculé dans le cœur et l’esprit des Français »

  • Mercredi 13 Février 2013 – propos recueillis par Nicolas Domenach et Maurice Szafran (Marianne.net)

 

L’ancien ministre de Nicolas Sarkozy revient sur le livre singulier* – témoignage politique littéraire aux « verbatim » hallucinants de l’ancien président – qu’il consacre à l’exercice du pouvoir. Autoproclamé « non-aligné » à l’UMP, cet ambitieux en profite pour dresser sa feuille de route, en n’épargnant au passage ni la gauche ni la droite.

BAZIZ CHIBANE/SIPA

BAZIZ CHIBANE/SIPA

Marianne : N’appartenez-vous pas à une espèce en voie de disparition, celle des hommes politiques qui écrivent ?

Bruno Le Maire : La politique et la littérature, en France, ont toujours été étroitement mêlées, la politique se représente dans la littérature qui a toujours été l’interrogation de la politique. Notre pays se grandit en gardant ce lien et, pour beaucoup voyager, je vois que ce qui reste le plus respecté de la France ailleurs, ce sont sa culture et sa langue. Si nos responsables politiques abandonnent la culture et la langue françaises, je ne sais pas ce qu’il nous restera.

Les deux derniers présidents n’en sont pas forcément l’illustration. Nicolas Sarkozy était un homme de l’image et François Hollande ne lit aucun roman…

B.L.M. : Chaque président a son imaginaire et ce qui fait peut-être le plus défaut, aujourd’hui, à François Hollande, c’est justement l’imaginaire. On est face à quelque chose de plat, sans relief. Les autres présidents avaient su trouver leur relief, que ce soit Nicolas Sarkozy qui est venu à la littérature, Jacques Chirac qui avait trouvé une profondeur dans des cultures éloignées, une manière d’arriver à voir la politique en surplomb. Et je ne parle pas de Mitterrand qui écrivait bien et même très bien.

Dans votre livre, vous faites parler des Français de droite et vous êtes vous-même surpris de la radicalité de leurs propos sur les immigrés, sur les assistés, etc. Comment faites-vous pour faire le pont ?

B.L.M. : Il y a, dans ce livre, une colère qui s’exprime. Une colère de beaucoup de Français, qui résulte de la crise. Il y a, ensuite, un éloignement de plus en plus profond de la part des citoyens vis-à-vis de leurs responsables politiques. Ils estiment que nous n’avons plus prise sur la réalité. Et ce diagnostic menace aujourd’hui toutes les démocraties occidentales. A partir de là, soit on considère qu’en arrivant au pouvoir l’homme politique a toutes les manettes entre les mains et qu’il va, par la seule force de ses décisions, changer la réalité, et on va dans le mur. Soit on change les pratiques politiques, le fonctionnement de notre démocratie, on redonne un pouvoir très direct au peuple, et on peut faire bouger les choses. Pour la France, c’est une révision historique profonde de se dire que ce n’est plus l’Etat qui va, avec l’aide des responsables politiques, changer la réalité. Le renforcement du pouvoir des citoyens et la rénovation démocratique vont de pair.

Mais reste-t-il un pouvoir, face aux marchés, face aux puissances émergentes ?

B.L.M. : Qui a le pouvoir ? J’ai voulu dire clairement aux citoyens : le pouvoir aujourd’hui n’appartient plus exclusivement aux politiques. Un ministre est un des éléments des rouages d’un pouvoir infiniment plus complexe, dans lesquels, pour prendre l’exemple des quotas de pêche, vous avez les commissaires européens, les directions administratives, les scientifiques, qui vous diront ce que vous pouvez pêcher, et en quelle quantité. Que fait un ministre contre un avis de scientifique qui dit : «Vous n’avez pas le droit de pêcher de thons rouges, c’est dangereux pour la survie de l’espèce» ? Il n’a plus le pouvoir d’aller contre cet avis et, d’une certaine façon, ce n’est pas si négatif que cela, si on comprend que, derrière cet affaiblissement, il y a aussi la possibilité pour le citoyen de reprendre une partie de ce pouvoir. Le risque évidemment, c’est que ce pouvoir vacant soit repris par d’autres personnes qui n’ont pas la légitimité démocratique suffisante : les administrations – qui, en France et sur certains sujets, ont repris le pouvoir sur les politiques -, les agences de notation financière, etc. Qui exerce le pouvoir ? Pour nos démocraties, aujourd’hui, la question est là.

On est surpris de lire qu’en 2011, avec Sarkozy, vous focalisiez sur Strauss-Kahn ; puis, selon vous, Aubry devait gagner, mais vous écartiez Hollande ! Vous l’avez sous-estimé…

B.L.M. : Je ne sous-estime pas l’habileté de François Hollande. Mais la France, aujourd’hui, a besoin de tout, sauf d’habileté. Elle a besoin de courage, d’un cap clair, de changements radiaux. Avec François Hollande, nous avons un homme habile là où nous devrions avoir un homme courageux. Nous avons un homme de calcul, au lieu d’un homme de vision. Nous avons un président qui refuse obstinément de voir les évolutions rapides de l’Europe et du monde.

Votre livre décrit Nicolas Sarkozy en personnage complexe. Vous écrivez à quel point il vous impressionne. Cependant, ses verbatim vont bien au-delà de tout ce que les journalistes les plus antisarkozystes ont jamais osé écrire sur lui…

B.L.M. : C’est un point de désaccord total. Ce que je retiens des citations, c’est une puissance personnelle, une puissance politique qui s’exprime et qui peut aller très loin dans la violence comme dans le doute, très loin dans le questionnement sur soi, dans le projet, et qui, pour le coup, va au-delà de cette caricature que l’on a donnée de lui. Ce livre est un exercice de vérité sur le caractère humain du pouvoir. J’assume ce choix d’écrivain. Qu’est-ce qui fait des portraits de Louis XIV par Saint-Simon des portraits indépassables ? C’est que, justement, il n’y a pas de flatteries, pas de douceur dans le trait. Si j’avais écrit un livre dans lequel je faisais un portrait de Nicolas Sarkozy avec juste une ou deux petites anecdotes un peu drôles, ça n’aurait eu aucun intérêt. C’est pour ça que je respecte à la virgule près la syntaxe, les mots, le vocabulaire et surtout la musique de son langage.

Avez-vous hésité à écrire les deux passages sur Chirac qui sont réellement durs ?

B.L.M. : Je me suis effectivement posé la question. Les passages sur Jacques Chirac sont peut-être durs, mais ils sont profondément affectueux et respectueux. Je pense que c’est important de donner cette part d’humanité à la politique. Il y a quelque chose de bouleversant à voir un ancien chef d’Etat qui a accompli de grandes choses et qui, lui aussi, est victime de la maladie et de la vieillesse. Si les écrivains servent encore à quelque chose, c’est à aller derrière l’image pour dire une vérité. Je n’oublierai jamais cette rencontre.

Vous décrivez dans votre livre la lente décomposition de la droite républicaine en 2011. Et ça se finit par le triste épisode Fillon-Copé…

B.L.M. : J’ai fait des propositions, ces propositions n’ont pas été suivies. Je suis allé le plus loin possible. Mais il y a un moment où vous êtes aussi un responsable dans une famille qui décide collectivement. La réalité, c’est que, année après année, la droite a reculé dans le cœur et l’esprit des Français. Il y a eu une lente séparation entre une société française qui évolue très vite et une droite qui, dans sa doctrine et dans son langage, n’a pas su répondre aux attentes locales ou nationales des citoyens. Mais je suis confiant, nous avons les ressources et l’imagination pour reconstruire.

Comment ?

B.L.M. : La radicalité du livre montre que l’image de bon élève un peu lisse que certains veulent donner de moi est une image fausse. Le diagnostic que je porte sur la France est qu’elle a le choix désormais entre des options politiques radicales, courageuses, ou la lente relégation. Je veux m’inscrire dans la première option. Pendant dix ans, j’ai vécu au service d’une autre personne, quinze heures par jour, et j’ai toujours considéré que Dominique de Villepin avait rendu des services importants à la France ; dans une deuxième période, je me suis consacré le plus sérieusement possible à ma tâche de ministre, dans une relation de confiance totale avec Nicolas Sarkozy. Je suis maintenant un homme décidé à aller au bout de ses convictions.

Propos recueillis par Nicolas Domenach et Maurice Szafran

* Jours de pouvoir, Gallimard, 440 p., 22,50 €

 

EXTRAITS – QUELQUES PÉPITES DANS LE LIVRE DE BRUNO LE MAIRE


Sarkozy par Sarkozy – « Le bal des nains »

«DSK. DSK est le meilleur candidat pour moi. Prétentieux, lointain. Tu as vu les photos de Match ? Tu as vu ?» Il hoche la tête en signe de consternation, fait glisser la feuille couverte de chiffres devant lui et inscrit au crayon des noms en les énumérant l’un après l’autre : «Borloo, Villepin, Morin, Boutin, Dupont-Aignan, Bayrou : voilà, ils s’agitent. Très bien. Ils disent tous qu’ils vont y aller. On peut pas vivre sans espoir, hein ? Mais pourquoi j’interviendrais, moi ? Hein ? Pourquoi ? Je les laisse faire. Ils vont se bouffer entre eux. Et plus on approchera de l’élection, moins les électeurs apprécieront les divisions. Le président sortant, qui va contester sa légitimité à se présenter ? Qui ? Excusez-moi, mais qui ?» Il repose son crayon. «Je laisse faire le bal des nains. Pardonne-moi l’expression.»

Cohabitation

«Alors, vous me direz : Mitterrand était en cohabitation.» Son regard glisse sur les convives. «Mais moi aussi je suis en cohabitation avec la presse.»

Les rayures d’un zèbre

«François Fillon ? J’ai décidé que je le garderai ; j’ai décidé que ça se passerait bien, donc ça se passera bien ; c’est une décision, je m’y tiens ; je le changerai pas. […] Alors évidemment, je vois, il a ses défauts : qui a pas de défauts ? Qui ? J’ai dépassé tout ça, ça m’intéresse pas. Vous voulez que je lui dise de se remuer plus ? Je lui dirai ; pour la milliardième fois ; et ça changera rien. Je vous dis, on change pas les rayures d’un zèbre. J’ai fait ça avec Balladur : j’ai fait ses discours, je lui ai donné des conseils, je parlais pour lui, et plus je parlais, plus j’aidais Chirac. Voilà la vérité : Balladur, c’est Balladur ; Fillon, c’est Fillon ; Sarkozy, c’est Sarkozy. Et on est seuls.»

« La mère Merkel »

«En plus je peux rien faire sans Merkel. Voilà la vérité : je peux rien faire sans Merkel. Alors je me tape la mère Merkel matin, midi et soir.» Il sourit : «Heureusement je l’aime bien, la mère Merkel.»

Insomnies

«Le problème de Hollande, c’est qu’il a pas vraiment envie. Moi je vais vous dire, le candidat qui se réveille pas en sueur la nuit en se disant : « Et les abstentions ? Elles vont faire combien les abstentions ? » C’est pas vraiment un candidat. Si on est vraiment candidat, on se réveille en sueur la nuit et on compte les abstentions.»

« Surtout des cons »

«Avec Villepin, c’est plus compliqué : il est fou. C’est le problème, il est fou. Il croit qu’il y a que lui pour me sauver, que je suis entouré de cons. Parce qu’il faut voir, pour lui, je vous dis, vous êtes tous des cons !» Alain Juppé le coupe : «Et des lèche-culs.» Le président le regarde, marque une hésitation, et dans un sourire : «Non, non, surtout des cons.»

Louis XIV

On peut aimer Nicolas Sarkozy, ou le détester, le vouer aux gémonies, lui tresser des louanges, éprouver pour lui des sentiments intérieurs ou aucun, le vomir, tout continue de se presser et se grouiller autour de lui, comme le seul centre, le seul pôle, le seul pouvoir, le seul monarque fragile et absolu. Le trouble où sont plongés certains responsables de droite vient de la dépendance dans laquelle ils sont envers lui. Les pincements de la jalousie, aussi. Et lui joue de cette amertume, au point de ne plus accepter ni reconnaître qui que ce soit qui ne dépende de son autorité. Ainsi la droite se prive de grandir, tandis que lui, faute de lieutenants solides et suffisamment libres, ne parvient plus à se protéger des coups. Chacun hésite à voir ce qui garantira sa liberté future : la défaite et le retrait de Nicolas Sarkozy, la victoire et les postes qui vont avec. Saint-Simon disait de Louis XIV : «Il ne voulait de grandeur que par émanation de la sienne. Toute autre lui était devenue odieuse.»

5 commentaires sur Bruno Le Maire : « La droite a reculé dans le cœur et l’esprit des Français »

  1. Genty Jean Claude // 17 mars 2013 à 20 h 12 min //

    Les « pépites » du bouquin de Le Maire me donnent envie de vomir ! Il s’agit tout de même du Président de la République Française. C’est bien là qu’on voit la petitesse du personnage.
    Comment ses électeurs font-ils pour voter pour un tel individu. Il n’est pas étonnant que, après son passage aux affaires, nous nous trouvions dans la situation actuelle.
    Aussi, je crois que Le Maire, aussi peu intéressant qu’il soit lui aussi, fait oeuvre de salut public
    en dévoilant sans fards la réalité du type.
    Que Dieu nous préserve de jamais le revoir. Qu’il aille « faire de la thune » comme il dit, à la manière des petites
    frappes sévissant dans les bas-fonds de notre société.
    Jean Claude GENTY

  2. Ce qui fait la différence ,vraiment, c’est un prédident de la république qui travaille pour l’intérêt général de la france,et qu’il y a que celà,qu’il anime ce Président est une lumière pour tous.Aprés ,les années 80 ,c’est les trentes glorieuses des prédateurs,les profiteurs,les spoliateurs de la République et le pire de tous aprés Mittérant ,c’est bien sarkozy.Jamais je ne lui pardonnerais d’avoir éssuyer ses pieds sur les institutions de la république,nos institutions sacrés.Jamais et encore Jamais.

  3. Bellenger Pierre // 19 février 2013 à 10 h 51 min //

    Je propoe à MM Domenach et Szafran de leur envoyer mon étude sur une autre organisation de la vie en société.
    Pierre.Bellenger@wanadoo.fr

  4. C’est en cela que réside la grandeur des institutions de la Vème République : La nécessité de la grandeur. De Gaulle avait fort bien compris l’âme de la France quand il disait que celle-ci ne saurait durer sans la grandeur. Pour qu’il y ait grandeur, il est nécessaire que les élites, à commencer par le chef de l’Etat, donnent l’exemple en se détachant de leur propre personne comme avait réussi à le faire Charles de Gaulle qui n’hésita pas à quitter le pouvoir après un résultat négatif à un référendum. Ce n’est sans doute pas le seul critère, mais tout de même… A part De Gaulle, qui ? Eh bien des chefs d’Etat ou de gouvernement qui ont su faire passer l’intérêt national avant leur propre personne. Je vois François 1er, Henry IV, Napoléon 1er et Napoléon III, Georges Clemenceau. Les grandes qualités sont rares. Il faut savoir les apprécier et avoir l’humilité de s’en servir de modèle.

  5. Peut m’importe la Droite de M. Lemaire qui s’est particulièrement distingué par sa médiocrité et son manque de patriotisme depuis 20 ans !

    Je suis gaulliste.
    J’ai 2 hémisphères cérébraux.

    Un à droite. Un à gauche.

    Un voué à la conservation. L’autre au partage et à l’interrogation du présent et de l’avenir.

    Je suis une synthèse . J’en suis fier.

    Et les moulinets de M Lemaire me laissent complètement froid.

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