Le traité franco-allemand de l’Élysée (1963)

TraiteElysee-15c17La signature du traité de l’Élysée, le 22 janvier 1963, est inséparable de l’échec du plan Fouchet. Ratifié en juin 1963 par l’Assemblée nationale et le Sénat, le traité de l’Élysée possède en effet deux significations.

Pour une autre Europe

Le traité franco-allemand de l’Élysée constitue tout d’abord un substitut au projet d’Europe politique. Le traité de l’Élysée est en effet basé sur la réalisation de projets communs (dans les domaines de l’armement, de la culture et des relations diplomatiques) et surtout sur une concertation systématique dans les domaines des affaires étrangères, de la défense et des questions culturelles, ce qui correspond aux domaines d’actions communes prévues par le plan Fouchet.

Il s’agit donc pour Charles de Gaulle d’une première étape à deux, en attendant l’adhésion ultérieure des autres partenaires européens :

« Les autres aussi se rejoindront à la longue à nous, mais je le demande encore une fois, Monsieur le Chancelier, car c’est une question très importante pour la France : êtes-vous prêt si cela est nécessaire à accepter une collaboration à deux ? »propose-t-il au Chancelier Adenauer lors de sa visite à Paris en juillet 62

Le traité de l’Élysée n’est cependant pas seulement un embryon, à deux, d’union politique. La question allemande est inséparable de la volonté européenne de Charles de Gaulle : construire l’Europe c’est tout autant pacifier l’Allemagne « prussienne » que l’ancrer en Europe occidentale et la détourner de l’Europe de l’Est. Il s’agit en outre et surtout pour Charles de Gaulle, « touché jusqu’au tréfonds de son âme » par l’accueil du peuple allemand en septembre 1962, de la manifestation d’un dessein privilégié et fondamental entre l’Allemagne et la France, entre le peuple allemand et le peuple français.

La volonté de bâtir l’Europe autour d’un axe Franco-allemand avait déjà été évoqué par le général de Gaulle dans un discours prononcé à la pelouse Bagatelle le 1er mai 1950, seulement 5 ans après la fin de la guerre 39-45.

« Votre mémorandum du 20 septembre m’a intéressé. Je vous remercie de me l’avoir aimablement adressé, d’autant plus que je pense toujours, avec vous-même, que l’Europe ne saurait se construire sans une entente directe entre la France et l’Allemagne. »

Et le 14 septembre 58, à la Boisserie, dans sa demeure à Colombey-les-Deux-Églises, le Général précise à Konrad Adenauer : « En résumé, je suis d’accord avec vous sur la nécessité d’unir la politique de l’Europe, c’est-à-dire la politique fédérale et celle de la République française, un contact permanent, organique pour arrêter notre politique commune. Je souhaite que cette politique soit la nôtre et qu’elle se manifeste d’une manière indépendante à l’égard des Américains, dans les questions mondiales et européennes. »

« L’Europe c’est l’affaire de la France et de l’Allemagne. Ni l’Allemagne seule ni la France seule ne peuvent faire l’Europe. Nous sommes le noyau essentiel de cette Europe et sans le noyau il n’y aura pas d’Europe. »

Pour que le traité de l’Élysée soit ratifié au Bundestag, le chancelier Adenauer doit cependant accepter le 16 mai 1963 un préambule additif, unilatéral, qui l’encadre strictement :

« Convaincu que le traité du 22 janvier renforcera et rendra effective la réconciliation et l’amitié, il constate que les droits et les obligations découlant pour la République fédérale de traités multilatéraux ne sont pas modifiés par ce traité, il manifeste la volonté de diriger l’application de ce traité dans les principaux buts que la République fédérale poursuit depuis des années en union avec les autres alliés, et qui déterminent sa politique, à savoir, maintien et renforcement de l’alliance des peuples libres et, en particulier, étroite association entre l’Europe et les États-Unis d’Amérique ; défense commune dans le cadre de l’Alliance atlantique ; unification de l’Europe selon la voie tracée par la création de la Communauté en y admettant la Grande-Bretagne, renforcement des communautés existantes et abaissement des barrières douanières. »

L’appréciation du traité de l’Élysée est double. Il s’agit en effet d’une part d’une réussite quant à la volonté de Charles de Gaulle de manifester l’existence d’un dessein privilégié et fondamental entre l’Allemagne et la France. Pour Charles de Gaulle la réconciliation franco-allemande est en outre « sans contexte l’un des événements les plus importants et éclatants de tous ceux que l’Europe et le monde ont vécus au long des siècles ».

Mais il s’agit d’autre part d’un échec quant au substitut du projet d’Europe politique. Le préambule additif allemand au traité contredit en effet la conception gaulliste de l’Europe politique, en particulier la volonté de Charles de Gaulle de favoriser l’émergence d’une troisième voie européenne entre les soviétiques et les nord-américains. Conrad Adenauer est en outre remplacé en octobre 1963 par Ludwig Erhard, qui s’aligne fortement sur la politique américaine. Charles de Gaulle ne dissimulera ainsi pas sa déception à cet égard :

« Cependant, il faut bien constater que, si le traité franco-allemand a permis dans quelques domaines des résultats de détail, s’il a amené les deux gouvernements et leurs administrations à pratiquer des contacts, dont, de notre côté, et à tout prendre, nous jugeons qu’ils peuvent être utiles et sont, en tout cas, fort agréables, il n’en est pas sorti, jusqu’à présent, une ligne de conduite commune. »

La poursuite de la construction européenne, notamment sous la présidence de Charles de Gaulle, montrera, à plusieurs occasions, que les approches de la France et de l’Allemagne ne seront pas toujours identiques.

Le traité franco-allemand est signé le 23 janvier 1963.

 

5 commentaires sur Le traité franco-allemand de l’Élysée (1963)

  1. ledixjuin // 12 mai 2013 à 13 h 49 min //

    Je suis d’accord avec vous Julian. Ce que je ne comprend chez nos politiciens,qu’ils ne tiennent jamais compte de la stratégie et l’histoire des allemands.Les français sont tellements fières comme des Coq ,qu’ils se font avoir à chaque coup.Il faut bien connaitre l’Allemagne ,j’y ai travaillé à plusieurs reprises ,et là ,on comprend mieux leurs stratégies .En étant trop sur de nous ,ont se fera toujours avoir.

  2. M. Hadjadj, je réponds à votre interrogation. Il en reste bien peu des gaullistes. Le gros de la troupe est allé à la gamelle. Cela ne date pas d’aujourd’hui mais…de la création du RPR.

    Pour revenir sur la question du Traité, je nuancerai à peine le commentaire de Monrose.
    Adenauer était sincère en signant le Traité de Paris. Le Bundestag l’a évidemment désossé. Au passage, il faut se soutenir du rôle particulièrement infâme joué par Jean Monet, lequel ameuta littéralement tous ses contacts américains et européens pour qu’une pression « atlantiste » suffisante s’exerce sur les députés allemands. Avec le succès que l’on sait. Et ce fut l’adjonction du fameux préambule.

    Plusieurs remarques.
    1/ Jean Monet fut plus tard Panthéonisé (mais oui, le crime paie!) avec l’onction de toute la presse, de la classe politique presque unanime, de l’université , etc, bref de tout ce qui compte dans le pays. Pour moi sa trahison de 1963 méritait plutôt un procès en haute Cour.

    2/ De Gaulle , tirant les conséquences du camouflet allemand, réorienta immédiatement la géo-stratégie de la France, sur le « vaste Monde », on dirait aujourd’hui la Mondialisation.
    Ce furent dès 1964 et les années suivantes les ouvertures et grands voyages : Mexique, Amérique du Sud, Chine, Politique « arabe », Québec , Grande Commission avec l’Urss, etc
    C’est cette politique que nous devrions réactiver : cesser de nous illusionner sur l’avenir de la prétendue Union européenne, en y gaspillant nos énergies, et nous tourner, massivement, carrément vers les ÉMERGENTS.

    3/ Le fameux couple Franco-Allemand, dont on se gargarise depuis 1963, s’il a permis de complexifier les rapports entre les deux pays, de les approfondir et de développer une véritable « culture » d’amitié, n’a pas vraiment été le moteur idéologique du processus d’intégration.
    Ce sont plutôt les thèses anglaises et leurs lobbys qui se sont imposés à Bruxelles et qui depuis y règnent en maître.
    Résultat : l’Union européenne n’est plus qu’un vaste marché soumis aux dogmes ultra-libéraux, la « préférence communautaire » a laissé la place à la compétition en interne et au désarmement économique en externe.
    L’Europe est une passoire, à la dérive. Sans cap.
    Et la zone euro( dont on nous avait promis monts et merveilles) le théâtre désolant du déni des réalités.

    Si notre pays veut se donner un avenir il doit cesser de se scléroser dans une prétendue convergence intra-européenne et regarder un autre horizon : celui du vaste Monde.

  3. Au nom de ce traite des fonds allemands financent tout ce qui permet l’enseignement de la langue allemande en Alsace et en Moselle. Le referendum du 7 avril 2013, voulu par le gouvernement Hollande, va dans ce sens de l’histoire en fusionnant les departements dans la region. La prochaine etape a venir sera la ratification de la Charte europeenne des langues regionales par la France. La question qui se pose est : Que foutent les gaulistes. C’est a se demander s’il en reste !

    Robert HADJADJ
    Presid. mouvemenr Republicainde salut public.

  4. Bellenger Pierre // 25 janvier 2013 à 19 h 48 min //

    Que certains allemands n’aient pas apprécié la démarche d’Adenauer, cela n’a rien d’étonnant. En france aussi, il y a des citoyens qui ne feront jamais l’effort de dépasser laurs archaïsmes habituels. Avec eux, il n’y aura jamais de progrès humain. D’ailleurs le progrès humain ne peut se faire que par le dépassement des archaïsmes, dont le plus solidement ancré est la loi de la sélection naturelle. Or le niveau de civilisation auquel nous arrivons mondialement nous oblige à assumer notre statut de « sapiens », c’est à dire de se servir de l’intelligence qui nous a été donnée pour mieux organiser notre vie en société, restée archaÏque..

  5. Voila ce que dit le général Gallois de votrr visonnaire :
    « Bref, selon le général, les Allemands d’après la défaite aiment tellement la France qu’ils l’étreignent… pour mieux l’étouffer ce que le général de Gaulle n’avait pas prévu.

    Le 22 janvier 1963 ce fut la signature à l’Elysée du traité de coopération entre la France et l’Allemagne. Occasion de nouvelles embrassades « hommage que l’on doit rendre à ce grand homme d’Etat (qui) n’a jamais cessé de penser et de proclamer que la coopération de la France et de l’Allemagne était une nécessité absolue de la vie », déclarait encore le général.

    Mais quatre mois plus tard, le Parlement allemand ajoutait un Préambule à ce fameux traité, préambule qui le vidait de l’essentiel de son contenu.

    Le général, furieux s’écriera : « Les Allemands ? Les Allemands, il faut les envoyer promener…. » Pourtant, parfait connaisseur de notre histoire, le général s’était, comme ses prédécesseurs et ainsi qu’il en sera de ses successeurs, nourri d’illusions. Il n’avait pas tenu compte de Bismarck se jouant à deux reprises de Napoléon III. Ni de Stresemann exploitant, par ses « finasseries » la crédulité et le pacifisme bêlant d’Aristide Briand, encore moins de Hitler déclarant qu’il n’avait plus d’ambitions territoriales avant d’envahir la Pologne, ni encore de Daladier croyant ramener la paix de l’entrevue de Munich. D’ailleurs, Giscard d’Estaing sera tancé par Helmut Schmidt lui reprochant de ne pas assez financer les forces classiques françaises, aux dépens, bien sûr, du nucléaire. Ce qui arrangeait Berlin interdit d’atome. »

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