Florange : le compromis avec Mittal déçoit les salariés

 

Après dix jours de joutes ultra-médiatisées entre l’exécutif et l’industriel indien Lakshmi Mittal, et quelques heures avant l’expiration du délai, le premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé, vendredi 30 novembre depuis Matignon, qu’un accord avait été conclu à l’arraché entre les deux parties pour garantir le maintien de tous les emplois sur le site sidérurgique de Florange en Moselle.

C’est donc une troisième voie, celle du compromis dont est adepte François Hollande, qui a été privilégiée pour se sortir de cette reprise de tous les dangers, suscitant déception ou scepticisme chez les syndicats et salariés en lutte depuis dix-huit mois. Il n’y aura ni nationalisation temporaire du site Arcelor-Mittal, ni cession des hauts-fourneaux à un repreneur, comme l’a promis partout, ces derniers jours, Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif, définitivement érigé au rang de «ministre de la parole» par les Arcelor-Mittal.

Le premier ministre s’est félicité d’avoir obtenu plusieurs engagements « inconditionnels », assure-t-il, de Mittal : l’abandon du plan social qui devait être engagé après la fermeture des deux hauts-fourneaux (629 emplois en jeu); la réaffirmation de son ancrage industriel dans l’hexagone notamment à Fos et Dunkerque ; et la promesse d’investir au moins 180 millions d’euros sur cinq ans sur le site de Florange afin de pérenniser les activités liées à la filière froide (la finition des aciers et le “packaging”).

Matignon écarte la nationalisation « pas efficace face à un problème de débouchés pour une entreprise ou face à un problème de compétitivité ». Le gouvernement préfère miser l’avenir des deux derniers hauts-fourneaux de Lorraine à l’arrêt depuis l’été 2011 sur le projet européen Ulcos (Ultra-low carbon dioxide steelmaking). Ce projet consiste à développer un site de captage et de stockage de CO2 qui doit réduire fortement la pollution de l’air par la production d’acier. Ce projet, qui n’est pas encore définitivement adopté par les autorités européennes, nécessite un investissement très lourd de l’ordre de 650 millions d’euros.

« La faible activité actuelle en Europe ne permet pas d’envisager un redémarrage des hauts fourneaux à court terme. Mais nous avons obtenu l’engagement du groupe de les maintenir dans un état qui permette, le moment venu, la réalisation d’un projet industriel d’avenir, le projet Ulcos. L’Etat a déjà réservé 150M€ au sein du programme d’investissements d’avenir. Il est prêt à augmenter sa participation pour accompagner activement ce projet. ArcelorMittal a accepté de poursuivre les études engagées en ce sens », a déclaré Jean-Marc Ayrault.

D’aucuns s’étonnent. Le projet, qui représentait depuis des années, pour les salariés comme pour les collectivités locales une chance de viabiliser le site, était jusque-là enterré. Au sommet du pouvoir, personne n’en parlait (Il remonte aujourd’hui à la surface et redevient d’actualité comme par enchantement. Il est même en pôle position à Bruxelles qui devrait désormais rendre une décision dans moins de quinze jours, le 13 décembre.

«J’espère que Montebourg est furieux après ses collègues ou alors s’il nous a bluffés…»

« Trahison ! ». A Florange, l’annonce tant attendue et redoutée du gouvernement a provoqué la stupeur. Il faut dire que dans la vallée de la Fensch, on a perdu toute confiance en Mittal depuis qu’il a avalé Arcelor. Personne n’oublie le précédent du voisin Gandrange qui a coûté cher au prédécesseur de François Hollande : en 2008, l’usine Arcelor fermait ses portes, laissant 600 ouvriers sur le carreau, malgré les négociations entre Nicolas Sarkozy et Lakshmi Mittal.

« On s’attendait au pire mais pas à ça, un accord. Rien que le mot  »accord » avec Arcelor-Mittal ça me donne envie de pleurer, on a l’impression de vivre un Gandrange 2. C’est une trahison, une incohérence totale par rapport aux déclarations de toute la semaine, c’est de l’enfumage », s’est emporté Lionel Burriello, la voix du collectif jeunes de la CGT.


© reuters

Edouard Martin, le porte-parole de la CFDT, est rentré se coucher « énervé », « avec le sentiment d’avoir été une nouvelle fois trahi». Non sans exiger la tenue rapide d’«une réunion tripartite gouvernement-syndicats-direction» pour avoir des garanties sur les 180 millions d’euros promis : « Nous n’avons aucune confiance en Mittal. Les rénovations et les investissements, c’est maintenant que nous les voulons, pas dans cinq ans».

« Je ne veux plus avoir en face de moi un membre quelconque de l’équipe de François Hollande. Ils sont pires que les hommes de Sarkozy », a réagi, pour sa part, Walter Broccoli. Le délégué de Force Ouvrière a plongé « dans un état dépressif ». Il attendait « autre chose de la part d’un gouvernement socialiste, des c… » et ne digère pas sa « marche arrière » : « Il n’a pas été au bout des choses. Ce soir, sa crédibilité est sérieusement mise en cause. J’espère que Montebourg est furieux après ses collègues ou alors s’il nous a bluffés avec ces promesses de nationalisation pour faire pression sur Mittal, qui depuis des années, en fait voir de toutes les couleurs à la France en ne respectant pas ses engagements, il devra s’expliquer ».

« Caillou dans la chaussure de la droite et maintenant de la gauche », comme ils aiment à le rappeler, les Arcelor-Mittal promettent d’« être le cauchemar de Hollande tout au long de son quinquennat s’il le faut», a redit Edouard Martin. « Le 13 décembre, c’est demain. Avec ou sans le feu vert de Bruxelles pour Ulcos, on exige le redémarrage des hauts-fourneaux. Ayrault s’est bien gardé de s’étendre sur le sujet dans son intervention », a noté Walter Broccoli. Tous demandent «à voir».

Même le maire PS de Florange, Philippe Tarillon, les soutient dans leur colère. L’élu se dit «sceptique» devant cet accord qu’il qualifie «d’acceptable dans son principe», invitant les salariés à «maintenir la pression sur le gouvernement et sur Arcelor». Michel Liebgott, le député PS de Moselle, qui avait appelé avec une quinzaine d’élus à l’union sacrée pour la nationalisation partielle de Florange quelques jours avant l’échéance fatidique et adressée une lettre au président de la République, veut retenir le positif : « C’est tout de même une bonne nouvelle. Bon, il faut qu’Ulcos marche. Mais si ce n’est pas la fin du bras de fer, c’est le début du contrôle de Mittal qui commence ».

D’autres voient en cette annonce une nouvelle reculade des socialistes, déguisée en victoire, pour sauver la face et gagner du temps, cinq ans, d’ici 2017, avant une nouvelle couleuvre de Mittal…

 

2 commentaires sur Florange : le compromis avec Mittal déçoit les salariés

  1. Quand on signe un accord industriel et commercial on sort des principes et on entre dans le droit des affaires !
    Ainsi, pour autant que cela soit le cas avec ce dossier Florange,dans un accord juridique entre deux parties, une partie s’engage à faire ceci ou cela en contrepartie pour l’autre de faire autre-chose.
    On voit bien ce que Mittal a signé,c’est à dire rien de neuf qui n’ait été connu depuis longtemps, mais hélas personne ne souffle mot sur les engagements correspondants de l’état français si ce n’est de remettre au pot financier des études de faisabilité d’un éventuel projet Européen de site expérimental d’une filière de production d’acier de nouvelle génération (Ulcos)?
    Alors comment donc juger si cet accord est bien équilibré ?

  2. Oui, on peut voir les choses ainsi…et oublier comme tout le monde ou presque que nous sommes en train de négocier la vente de 120 Rafale à l’Inde, et que ce n’est pas le moment de « nationaliser » un bout de Mittal, qui a les bras longs dans son pays, si on veut garder un avenir à l’avion de combat français, à notre technologie des avions de combats, aux milliers d’emplois en cause, et à nos capacités de défense..

    Moi, je vois dans cette annonce socialiste, le bon sens et l’intérêt national…et pourtant je n’ai jamais été socialiste!!

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