Honneur aux soixante-dix !

9 octobre 2012 – Par Jacques Sapir

 

Soixante-dix députés ont osé voter contre le TSCG.

Soixante-dix sur cinq cent soixante-huit votants, c’est peu.

Soixante-dix contre quatre cent soixante-dix-sept qui ont voté pour, c’est peu.

Mais soixante-dix qui, venant de tous les horizons politiques, ont osé se dresser contre les consignes d’état-major, contre l’intense pression médiatique, contre le conformisme, contre les petits calculs politiciens, contre la lâcheté servile, cela, en vérité, fait beaucoup.

Ce Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance, contient trois mensonges pour le prix d’un.

Quelle stabilité, quand on voit dans le rapport récent du FMI, posté sur ce carnet[1], que les mécanismes mis en œuvre depuis 2010 n’ont fait qu’aggraver la crise? Quelle stabilité encore quand on voit la dépression que connaissent certains des pays en crise? Parler de stabilité est ici un mensonge flagrant.

Quelle coordination quand on sait qu’il n’y a de coordination qu’entre des agents libres, sinon c’est à une autorité hiérarchique que l’on a affaire, et qu’il n’y a dans ce traité qu’asservissement à des agences dites indépendantes ? Ce Traité organise en fait le dépérissement de la démocratie en Europe avec la fin de l’autorité suprême des Parlements nationaux en matière budgétaire. Or, il faut s’en souvenir, c’est par le consentement à l’impôt que commence la démocratie.

Quelle gouvernance enfin dans un Traité qui est en fait inapplicable et qui n’a pas d’autres fonctions que d’être violé à peine signé ? Est-ce ainsi que l’on croit créer un « bonne gouvernance » dans les mots dont on se gargarise à Bruxelles et ailleurs ?

On dit aussi, et c’est un argument avancé en sa faveur, que ce Traité institue une solidarité en Europe. Mais quelle solidarité, dans un traité qui condamne l’Europe à l’austérité et à la récession ? C’est la solidarité de la matraque et du bâton, de l’oppression et de la répression, comme l’expérimentent les manifestants qui, d’Athènes à Madrid en passant par Lisbonne, se sont levés contre la misère qui leur est imposée. User alors d’un tel argument revient à déconsidérer pleinement l’idée d’une possible solidarité européenne

Trouvera-t-on ces mots excessifs ? Que l’on regarde alors le rapport du Fond Monétaire International, le World Economic Outlook d’octobre 2012[2] qui explique bien la marche à la misère entamée au nom d’une austérité qui n’a donc pour but que de sauver un fétiche : l’Euro. Que l’on regarde ce rapport, qui reste prudent dans ses projections, mais qui n’en établit pas moins que la majorité des pays ne pourront respecter les clauses de ce traité qui vient d’être ratifié. Que l’on regarde aussi la note commune à trois instituts (l’INSEE, l’IFO et l’ISTAT) sur la récession dans la zone Euro[3]. Que l’on regarde enfin les rapports de l’UNICEF qui établissent la montée de la dénutrition et du manque de soin chez les enfants grecs[4]. Je pense avoir, par ailleurs, montré dans de nombreux textes et notes, tous les effets pervers de ce traité[5].

De cela, les thuriféraires du TSCG, les sectateurs de l’Euro, n’en ont cure. Même l’appel des économistes hétérodoxes, avec lequel j’avais des désaccords suffisamment importants pour ne pouvoir le signer, a été scandaleusement censuré par Le Monde[6]. Il était dit que pour faire passer cette amère pilule, on ne reculerait devant aucune bassesse, devant aucune ignominie.

Le TSCG nous a donné l’exemple éclatant du cynisme en politique, quand un candidat à l’élection présidentielle se prononce pour sa réécriture et s’empresse, une fois élu, de le faire voter. Ce n’est pas le codicille sur la croissance, malheureux engagement de 140 milliards d’euros étalé sur trois ans, une aumône, qui peut en changer la nature. Même ses amis politiques le reconnaissent aujourd’hui publiquement. Ce Traité ne fut pas renégocié, et d’ailleurs ce gouvernement n’a jamais cherché à s’en donner les moyens.

C’est ainsi que l’on détruit la démocratie.Le mensonge électoral nourrit la colère et produit le mépris pour une classe politique qui affiche sa solidarité profonde contre le peuple. Bientôt montera le vieux cri de l’anti-parlementarisme : « tous pourris » ! On dira, c’est le populisme qui monte. Et l’on se trompera, car ce sera alors devenu la stricte vérité.

Oui, le fétichisme de l’Euro – car c’est bien de cela qu’il s’agit avec cette transformation dans l’imaginaire d’un instrument en une fin en soi – et la volonté de pouvoir de ses grands prêtres nous condamnent à un appauvrissement généralisé, à une montée du chômage sans limites et, à la fin des fins, comme en Grèce et en Espagne, à la destruction de nos sociétés.

Alors, si dire la vérité vaut que l’on soit taxé d’être excessif, je veux bien être excessif et je l’assume. Car, aujourd’hui, la raison et l’intelligence vomissent les tièdes.

Honneur donc à ces soixante-dix députés !

Ils ont eu le bon réflexe et ils ont raisonné de manière juste, en refusant d’accorder leurs suffrages à ce texte inique. Qu’importe leurs raisons circonstancielles ; qu’importe d’où ils viennent et à quel parti ils appartiennent ! Quand il s’agit de résister, on ne mégote pas sur ses alliés.

Il y a soixante-douze ans de cela, le 10 juillet 1940, quatre-vingts parlementaires, députés et sénateurs (57 députés et 23 sénateurs) refusèrent d’accorder les pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain. Le vote de l’écrasante majorité mit fin à la République, et institua un régime de fait et non de droit. Le vote de ces quatre-vingts minoritaires fut, avec l’appel du 18 juin, le deuxième acte fondateur de la France Libre, préparant la résurrection de la République défunte.

Ce rappel est aujourd’hui nécessaire.

Puissent les soixante-dix députés qui ont refusé de voter être rejoints par autant de sénateurs que possible. Puissent-ils voir leur nombre croître quand ce texte viendra en seconde lecture.

Les canons furent, par le passé, l’ultime raison des rois.

Les traités sont aujourd’hui l’ultime raison des élites oligarchiques.

Qu’ils se rappellent que l’ultime raison des peuples reste le pavé.


[1] http://russeurope.hypotheses.org/253

[2] IMF / FMI, « IMF Sees Heightened Risks Sapping Slower Global Recovery », Economic Outlook, 9 octobre 2012, URL : http://www.imf.org/external/pubs/ft/survey/so/2012/res100812a.htm

[3] Association des trois Instituts Économiques Européens, La zone Euro en récession, www.ifo.de , www.insee.fr , www.istat.it

[4] URL : http://greece.greekreporter.com/2012/04/04/unicef-report-children-in-greece-2012-reveals-dissapointing-data/

[5] Voir mon carnet http://russeurope.hypotheses.org/

[6] Jacques Sapir, “Sur le TSCG”, RusseEurope. Le Carnet de Jacques Sapir sur la Russie et l’Europe (Hypotheses.org), 23 septembre 2012. [En ligne] http://russeurope.hypotheses.org/133.

7 commentaires sur Honneur aux soixante-dix !

  1. Réponse à jacques, de DLR.
    Je ne suis pas certains que Dupont Aignan représente seul le le « vrais gaullisme » comme vous le prétendez . Je dirai simplement que, depuis que je suis parvenu à l’âge d’homme, mon parti c’est la France ! Je suis un partisan déterminé de qui sert les intérêts et la gloire de mon pays et je serai toujours un opposant farouche de qui s’en sert au lieu de le servir.
    Par ailleurs, il est illusoire de faire croire, quand cela gêne, que le gaullisme est mort avec de Gaulle. C’est trop facile et simpliste. Le gaullisme, s’il n’est pas une doctrine comme on peut l’entendre quand on parle de « communisme », de « socialisme », de « libéralisme », personne ne peut contester que ce que nous a laisser le Général en héritage est bien un corps de doctrines spécifiques, en matière d’indépendance nationale, de souveraineté, de conception de la défense nationale, de la construction européenne, des relations sociales et la place des salariés dans l’entreprise et le tissu économique… Et surtout, du rejet des extrêmes de droite et de gauche.
    Voilà, encore une fois, ce qui me distingue bien des partis politiques. Et je ne me prive pas de conclure par la maxime, que nous connaissons tous, du général De Gaulle : Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres.
    Dans un monde où le fric est roi, l’avidité règne en maître absolu. Être Gaulliste aujourd’hui c’est avoir un profond respect de son pays, de ses lois, et de son intégrité. Mon combat continue, mes convictions restent intactes…
    Jean Marie Etienne

  2. « les canons furent l’ultime raison des Rois » affirme J. Sapir. contre lesquels le peuple en colère se soulevera veut il ajouter?
    C’est du catéchisme récité, mais ce n’est pas vrai, en tous cas pas pour la France ni ailleurs. C’est une affirmation gratuite sinon une anerie. Le canon fut en revanche l’ultime raison des révolutions en général, sanglante et souvent destructrices , la française, la bolchévique et d’autres plus récentes .
    ,
    la France issue de la révoltion frnaaçaise a fait un usage immodéré du canon , juqu’en 1815 . Deux siècles de guerres fratricides , cela vous dit quellque chose ? Avec une paix en 1815 qui permit à l’Europe de respirer par le retour à la légitimité , non à la violence. Tayllerand contre les canons, c’est mieux que cet appel au pavé.
    L e mot légitimité ne résume pas au pavé révolutionnaire mais à un pouvoir réconnu par les gens en ayant charge du bien commun. Refuser les traités, c’est bien si comme le mariage homosexuel ils font violence à notre pays mais la violence aveugle n’est pas fondatrice d’un ordre juste . La révolte peut être justifiée certes mais pas dans cette tradition.
    Eclairer, mobiliser l’opinion et dans les cas ultimes pousser vers la sortie cerains mais faire appel à la tradition violente révoutionnaire, c’est un leurre. Dans ce cas pourquoi pas justifier la violence des banlieues dont nous sommes tous victimes.

  3. de toutoune
    bien qu’étant un républicain de gauche je me retrouve totalement dans votre analyse je pense que la démocratie est en danger et que l’europe a pour mission de confisquer le pouvoir au peuple pour le remettre aux financiers c’est absolument inique que les socialistes soient complices de cet état de fait avec M.Hollande (qui d’ailleurs est très proche de lui) on repart comme avec Jospin qui nous jurait ses grands dieu qu’il ne signerait pas le traite europeen 6 mois après sans concertation il le signait des 2 mains rappelons la fin de Jospin et là je dis attention parce le peuple si les politiques ne changent pas va se jeter en courant dans les bras du Front National qui est le seul parti à proposer une alternative ; la crise que nous allons connaitre va je crois être terrible !!!on en est qu’au début ; dans ces périodes de misère sociale le peuple va toujours chercher des ailleurs chimériques pour les sortir d’une dure réalité
    l’europe que l’on nous a vendu comme un havre de paix et de prospérité risque de se muter en pétaudière !!!!!
    j’avoue réellement mon inquiétude et mon dégoût !!

  4. Réponse à DLR-jacques : Nicolas Dupont-Aignan n’est, c’est une évidence, pas interdit sur ce site. Par contre, Gaullisme.fr n’est pas le site de DLR. Soyez tranquille. NDA est toujours le ben-venu sur ce site.

  5. Beau cri de colère de M. Jacques Sapir !
    Pourquoi les hommes lucides et courageux ne s’unissent-ils pas… lorsque l’essentiel est en jeu ?
    Les archives ouvertes des années 30 nous prouvent que TOUT, tout le potentiel de crimes du nazisme et du stalinisme, avait été prévu, annoncé, dénoncé par des lucides et des courageux….
    Incroyable myopie des peuples…. guidés par des élites aveugles ou corrompues….

  6. « Il y a soixante-douze ans de cela, le 10 juillet 1940, quatre-vingts parlementaires, députés et sénateurs (57 députés et 23 sénateurs) refusèrent d’accorder les pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain. Le vote de l’écrasante majorité mit fin à la République, et institua un régime de fait et non de droit. Le vote de ces quatre-vingts minoritaires fut, avec l’appel du 18 juin, le deuxième acte fondateur de la France Libre, préparant la résurrection de la République défunte.Aujourd’hui , soixante-dix qui, venant de tous les horizons politiques, ont osé se dresser contre les consignes d’état-major, contre l’intense pression médiatique, contre le conformisme, contre les petits calculs politiciens, contre la lâcheté servile, cela, en vérité, fait beaucoup. »Puisse Jacques Sapir, dans ce rapprochement de situations, avoir raison,mais force est de constater qu’en ces temps de frime,de fric et de fraude La France du « pavé » n’est pas encore prête pour se faire entendre !

  7. jacques sapir éait au universités de renttrée de Nicolas Dupont-Aignan
    Pourquoi le silence sur NDA
    ce site aurait il inventer un nouveau gaulisme
    peut étre un de plus
    Non !! le seul qui incarne le vrais gaulisme c est Nicolas DupontAignan, le dernier patriote

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*