TSCG : le fédéralisme à marche forcée

Sculpture moderne en tubes d'acier devant l'entrée de l'hémicyle du Parlement européenne à Bruxelles.

La ratification du nouveau traité européen dit « TSCG » (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » vient de recevoir, à une écrasante majorité, le feu vert de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale. L’Assemblée, elle, doit se prononcer le 2 octobre. Ce traité constitue un corset de règles budgétaires coercitives, de mécanismes automatiques de correction, et plus généralement de surveillance, de validation, de recommandations, de sanctions juridictionnelle et le cas échéant de quasi-administration directe des Etats membres par la Commission européenne. Le Conseil constitutionnel (DC 9 août 2012) n’y a vu aucun nouveau transfert de compétence par rapport au traité de Maastricht et aux règlements européens déjà en vigueur. Dans une telle hypothèse, une énième révision de la Constitution par le Parlement réuni à Versailles aurait de toute manière couvert l’inconstitutionnalité du traité, par une simple petite mention du TSCG juste à côté de celle relative au traité de Lisbonne. Si effectivement, les atteintes à la souveraineté nationale sont déjà considérables – « un peu plus un peu moins qu’est-ce-que ça peut bien changer maintenant? » semble dire entre les lignes le juge français – le dispositif qu’il met en place constitue bien un nouveau saut vers le fédéralisme économique et budgétaire. Le minimum eût été d’interroger le peuple français par référendum. En outre, sa mise en œuvre achève de transformer, avec sa complicité curieusement allègre, notre Assemblée nationale, en parlement croupion. Le régime de l’Union européenne, tel qu’il résulte du traité de Lisbonne et aujourd’hui du traité de stabilité, de coordination et de gouvernance viole les fondements élémentaires de la démocratie représentative, de la séparation des pouvoirs et de l’Etat de droit. [Photo :Sculpture moderne en tubes d’acier devant l’entrée de l’hémicyle du Parlement européenne à Bruxelles. ]

 

La gouvernance économique européenne, la rigueur budgétaire et la marche accélérée au fédéralisme européen sont l’objet, dans une tentative désespérée de sauver l’Euro, du traité de stabilité, de coordination et de gouvernance (dit « TSCG ») dans l’Union économique et monétaire. La négociation, dans le cadre de l’Eurogroupe, s’est déroulée, comme on dit en jargon bruxellois, à « dix-sept plus » ou « vingt-sept moins » le Royaume Uni, lors du Conseil européen des 8 et 9 décembre 2011. Ni le Royaume-Uni, ni la République tchèque n’ont finalement approuvé le traité. Il est signé par les dix-sept Etats membres de la zone euro ainsi que neuf Etats candidats à l’euro, de sorte qu’il s’agit d’un traité international et non un traité européen. Au rang des « observateurs » se trouvent le Royaume Uni, la Commission la BCE et le Parlement européen. Après avoir décrit le TSCG dans ses principales dispositions (I), on en livrera une rapide analyse (II).

I. Le traité de stabilité, de coopération et de gouvernance (TSCG) et sa nébuleuse normative

Initialement intitulé « pacte budgétaire », le TSCG a été signé le 2 mars 2012 sous l’intense insistance de l’Allemagne et doit entrer en vigueur le 1er janvier 2013 à condition d’avoir été ratifié par au moins douze des dix-sept Etats de la zone euro. Il reprend et intègre toute une panoplie complexe de textes de droit européen dérivé antérieurs ou en cours d’adoption.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le corsetage budgétaire et économique des Etats de la zone euro s’effectue dans un afflux de dispositions techniques et parfois redondantes, dispersées dans une forêt de normes et de décisions créant une opacité nuisible à l’intelligibilité et donc au contrôle démocratique.

Il faut citer : la procédure du « semestre européen » adoptée le 7 septembre 2010 par le Conseil des ministres ECOFIN et intégrée au code de conduite pour la mise en œuvre du Pacte de stabilité depuis 2011, le « Paquet de six » (ou « six-pack ») qui constitue un ensemble de cinq règlements et une directive sur la gouvernance économique destinés à renforcer le Pacte de stabilité et également en vigueur depuis 2011, le « Paquet de deux » (ou « two-pack ») constitué de deux propositions de règlements tendant aussi au renforcement de l’encadrement budgétaire des Etats de la zone euro , le Pacte pour l’euro issu du Conseil des ministres du 11 mars 2011 et qui constitue une charte en faveur des « meilleurs pratiques » de politiques publiques, le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES) entre les Etats de la zone euro signé le 11 juillet 2011, modifié et resigné le 2 février 2012 ; il est destiné au renflouement des Etats en difficulté et prend la suite du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Les renflouements bancaires directs par le MES doivent avoir pour contrepartie la mise en place d’une « Union bancaire » au sein de laquelle la Banque centrale européenne reçoit de nouvelles compétences de surveillance des quelque 6 000 banques de zone euro (mécanisme de surveillance unique) à compter du 1er janvier 2013.

C’est au centre de cette nébuleuse qu’il faut replacer le TSCG, dont on peut décrire le contenu en dix dispositions :

1°) Interdiction d’un « déficit structurel » supérieur à 0,5% et d’une dette supérieure à 60%. Les Etats s’engagent à atteindre des « budgets en équilibre ou en excédent ». Le « solde structurel annuel » doit conforme à « l’objectif à moyen terme spécifique à chaque pays » défini dans le Pacte de stabilité. Des déficits sont temporairement autorisés en cas de circonstances économiques exceptionnelles ou dans des périodes de grave récession. La règle est considérée comme respectée si le « déficit structurel » (déficit en dehors des variations de conjoncture) ne dépasse pas 0,5% du PIB. De même lorsque la dette publique dépasse 60 % du PIB, les Etats doivent procéder à sa résorption, en trois ans, au rythme d’un vingtième par an.

2°) Obligation d’introduire cette « règle d’or » et des correctifs automatiques sans délibération parlementaire. Les Etats doivent transposer cette interdiction dans leur Constitution (de préférence), y compris le mécanisme automatique de correction (« frein à la dette ») « qui ne sera pas soumis à la délibération parlementaire ». La Cour de justice de l’Union contrôlera la stricte transposition par les Etats du mécanisme de « frein à la dette » de préférence dans leur Constitution. Les juridictions nationales constitutionnelles vérifieront ainsi à leur tour la constitutionnalité des lois et décisions budgétaires, sous le contrôle de la CJUE.

3°) Présentation d’un plan de réformes obligatoires à la Commission en cas de non respect (déficit supérieur à 3% ou de dette supérieure à 60%). Tout dépassement du déficit autorisé donnera lieu à intervention de la Commission, sous forme de « programme de partenariat économique et budgétaire », c’est à dire une tutelle stricte exercée par la Commission en vue de la mise en oeuvre par l’Etat membre d’un plan de réformes structurelles obligatoires.

4°) Obligation de transmettre à la Commission tout projet national d’émission de la dette.

5°) Sanctions automatiques contre l’Etat en infraction. Des sanctions désormais automatiques seront déclenchées par la Commission dès que le seuil de 3% pour le déficit ou 60% pour la dette serait franchi, sauf si une majorité qualifiée au sein du Conseil s’y opposait. Tout Etat qui estimerait qu’un autre Etat ne s’est pas conformé aux règles de ce traité peut porter saisir la Cour de justice. La Commission désigne le ou les Etats devant être poursuivis.

6°) Surveillance et encadrement étroits des politiques des Etats. La Commission pourra à tout moment mettre en cause la politique d’un Etat si elle pointe du doigt un facteur éventuel de « déséquilibre » budgétaire : déficits commerciaux, salaires « excessifs », dettes publique ou privée, bulles immobilières, mauvaise allocation des ressources, niveau non soutenable de la consommation etc. Le Conseil étudiera une fois par an le tableau de bord de chaque pays. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure du « Semestre européen » (appliquée depuis 2011), les projets de budgets nationaux seront validés par la Commission avant qu’ils ne soient présentés aux Parlements nationaux, selon un calendrier précis.

En aval de la procédure budgétaire et dans la perspective du paquet complémentaire de deux règlements européens (« two-pack »), la Commission disposera des moyens de surveillance et d’intervention budgétaire de la troïka (Commission, FMI, BCE). Elle pourra prendre de contrôle de l’administration d’un Etat membre si son gouvernement ne parvient pas à prendre les mesures de « redressement » qui s’imposent. Il s’agit de la formalisation de la tutelle à laquelle est déjà soumise la Grèce.

7°) Obligation de tendre vers une politique économique unique. Le TSCG impose aux politiques économiques de tendre vers une « politique économique commune » uniforme en vue d’une « croissance économique plus forte ».

8°) Obligation de soumettre toute réforme à la Commission et aux autres Etats. Chaque pays sera tenu de soumettre toute réforme de politique économique qu’il envisage aux autres Etats membres et aux institutions de l’Union, qui détermineront si elle est conforme aux « meilleures pratiques » (benchmarking). Cela concerne l’amélioration du coût du travail par rapport à la productivité (suppression de l’indexation des salaires sur les prix dans les pays où elle existe encore), la limitation des hausses de salaires publics, la « flexi-sécurité » pour rendre les licenciements plus souples ou encore l’adaptation du système de retraite au vieillissement démographique (relèvement de l’âge de départ à la retraite).

9°) Incitation à la coordination fiscale. Le Pacte « euro plus » incitera les Etats à approfondir la coordination fiscale (décisions à l’unanimité), en attendant l’impôt européen : lutte contre les pratiques fiscales déloyales, la fraude fiscale, bases de l’impôt sur les sociétés.

10°) Réunion du Sommet Euro deux fois par an pour faire le point sur les obligations des Etats. Les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro se réuniront de façon informelle au moins deux fois par an avec le président de la Commission et celui de la BCE pour évoquer les « responsabilités spécifiques » des Etats à l’égard de « la monnaie unique, des orientations stratégiques pour la conduite des politiques économiques ». Les réunions sont préparées par le Président du Sommet Euro, le Président de la Commission européenne et l’Eurogroupe. Des représentants des Parlements nationaux et du Parlement européen se rencontreront seulement pour discuter des politiques économiques et budgétaires.

II. Une marche implicite vers le fédéralisme au milieu d’une vaste confusion juridique

1) L’une des premières questions juridiques qui se pose est celle de la compétence de la Cour de justice de Luxembourg, que le traité pose en juge absolu de la transposition constitutionnelle des règles budgétaires et mécanismes de correction automatiques, ainsi que de leur violation. Le Royaume-Uni et la République tchèque ne l’ayant pas signé, le TSCG relève pourtant du droit international et non du droit européen. S’il est certes prévu de l’intégrer dans les cinq ans dans le corpus juridique des traités européens (TUE et TFUE), il paraît douteux qu’un traité non-UE puisse, d’ici là, être arbitré par une institution de l’Union telle que la CJUE.

2) Si conformément au droit international, le TSCG ne s’applique qu’aux Etats ayant ratifié, l’Allemagne a obtenu que seuls ceux ayant ratifié pourront être renfloués par le Mécanisme européen de stabilité (MES). Ce mécanisme de renflouement financier pour les Etats défaillants, dont l’accès dépend donc de la soumission de l’Etat aux dispositions du TSCG, est mis en oeuvre « codécision » avec le Fonds Monétaire International (FMI), autorité totalement extérieure à l’Union européenne, et sans aucun contrôle parlementaire.

3) Une troisième difficulté réside dans la légalité même du traité instituant le MES. Celui-ci a été signé, dans sa nouvelle version, en février 2012 alors que le TFUE modifié par le traité de Lisbonne interdit tout renflouement . Il pourrait donc être illégal. La CJUE est saisie de la question. Une procédure de révision simplifiée du TFUE a en tous cas été enclenchée pour autoriser les renflouements afin de « préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble ». Or, là encore, une telle révision simplifiée ne peut avoir théoriquement pour objet ou pour effet de réduire encore les compétences des Etats membres vis-à-vis de l’Union.

4) Dans son arrêt du 12 septembre 2012, la Cour de Karlsrhue a posé deux conditions à la ratification du traité MES par l’Allemagne : 1) le montant apporté ou garanti par l’Allemagne ne devra pas dépasser son niveau actuel (190 milliards, 27%) sauf autorisation préalable votée par le Parlement allemand. Or, la situation de plusieurs pays imposera bientôt un nouveau renflouement. Et si sous la pression de l’opinion le Parlement votait « non »? ; 2) il faudra informer le Parlement de l’action du MES et de l’utilisation des fonds. C’est donc la fin du secret entre les ministres des finances, ce qui supposerait une révision du traité.

5) Dans sa décision du 9 août 2012, le Conseil constitutionnel français a fait preuve d’une plus grande mansuétude . Pour justifier l’absence de révision constitutionnelle préalable à la ratification du TSCG, le Conseil a estimé que « ces stipulations reprennent en les renforçant les dispositions mettant en oeuvre l’engagement des États membres de l’Union européenne de coordonner leurs politiques économiques en application des articles 120 à 126 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. » Or, ces stipulations existent depuis le traité de Maastricht et ont été renforcées par un règlement du 7 juillet 1997 modifié par des règlements les 27 juin 2005 16 novembre 2011, dont la validité n’a pas à être discutée. Selon le juge français, « elles ne procèdent pas à des transferts de compétences en matière de politique économique ou budgétaire et n’autorisent pas de tels transferts » et « pas plus que les engagements antérieurs de discipline budgétaire, celui de respecter ces nouvelles règles ne porte atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale. » S’agissant de la prise d’effet dans le droit national des règles d’équilibre des finances publiques, le Conseil suggère d’éviter l’inscription de la règle d’or dans la Constitution et d’emprunter la voie (supralégislative mais infraconstitutionnelle) de la loi organique.

La loi organique encadrant les lois de programmation pluriannuelle serait parfaitement adaptée pour veiller « à l’objectif de moyen terme ainsi qu’à la trajectoire d’ajustement de la situation budgétaire des administrations publiques, au mécanisme de correction de cette dernière et aux institutions indépendantes intervenant tout au long du processus budgétaire ». Alors, « l’autorisation de ratifier le traité ne devra pas être précédée d’une révision de la Constitution ». Le Conseil ajoute qu’en pareille hypothèse, la plus simple juridiquement et procéduralement, l’article 8 du TSCG relatif au contrôle que devra exercer la Cour de justice ne porte pas non plus « atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ».

Selon Anne-Marie Le Pourhiet pourtant, « il va de soi que l’on est très au-delà du traité de Lisbonne et que l’atteinte supplémentaire aux conditions d’exercice de la souveraineté nationale est flagrante. » Le TSCG consacre « une forme d’asymétrie en rangeant la politique monétaire dans les compétences exclusives de l’Union pour les États membres dont la monnaie et l’euro (article 3 TFUE) » tandis que la politique économique est conditionnée par de politiques budgétaires décidées par chaque État membre et simplement « coordonnées » » . Elle conclut que « le simple fait que les États se voient obligés d’adopter un mécanisme coercitif de contraintes budgétaires sous menace de sanction juridictionnelle suffit à mesurer l’ampleur du saut effectué vers le fédéralisme économique. »

Analysant ces évolutions fédérales, qu’il appelle par ailleurs de ses vœux, au regard de l’exigence démocratique, Habermas redoute quant à lui qu’elles amplifient « le fédéralisme exécutif prévu dans le traité de Lisbonne pour parvenir – à l’encontre de l’esprit du traité – à une domination intergouvernementale du Conseil européen. En recourant ainsi à une régulation centralisée par le Conseil européen » on pourrait « faire passer les impératifs des marchés dans les lois de finances nationales ». « Il suffirait, poursuit-il, que par la pression et les menaces de sanction, ils imposent à des Parlements nationaux, pour ainsi dire relevés de leur pouvoir, les accords qu’ils passeraient entre eux, sans la moindre transparence ni la moindre formalisation juridique ». On aboutirait, conclut-il, à « un arrangement ayant pour but d’exercer une domination postdémocratique et bureaucratique. »

Le TSCG achève en effet de marginaliser les démocraties et leurs représentants, bien qu’il prétende naturellement au contraire qu’il « respecte pleinement les responsabilités des Parlements nationaux ». D’abord parce qu’il place formellement la CJUE au-dessus des Constitutions nationales, contraignant les gouvernements et Parlements à adopter telle politique économique et budgétaire déterminée sous le contrôle du juge. Ensuite parce qu’il constitue un corset de règles coercitives, mécanismes automatiques de correction, de surveillance, de validation, de recommandations, de sanctions juridictionnelles et le cas échéant de quasi-administration directe des Etats membres par la Commission portant une atteinte supplémentaire aux conditions d’exercice de la souveraineté nationale. Enfin parce qu’il fait effectuer à l’Union un nouveau bond qualitatif et quantitatif vers une forme de fédéralisme économique sans approbation ni contrôle démocratique, bousculant les principes élémentaires de la démocratie représentative, de la séparation des pouvoirs et de l’Etat de droit.

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