Chevènement : “Une monnaie commune plutôt qu’unique”

che_senatIntervention de Jean-Pierre Chevènement sur le Sommet européen des 28 et 29 juin 2012,  Sénat,  jeudi 5 juillet 2012.

 

Monsieur le Premier ministre,

La France se trouve aujourd’hui dans une situation très difficile, dont sa désindustrialisation, continue depuis près de trois décennies, l’érosion de sa compétitivité et, enfin, un chômage frappant 10% de sa population active sont les symptômes les plus significatifs.

C’est pourquoi, comme les autres parlementaires du MRC, je soutiens l’effort nécessaire auquel appelle le gouvernement pour réorienter l’Europe et redresser l’appareil productif. A titre personnel, j’apprécie votre détermination : Un discours de vérité peut seul créer la confiance.

La situation dégradée de l’économie française n’est pas le fait du hasard. Elle résulte de choix de dérégulation effectués depuis vingt-cinq ans dans le cadre de l’Acte unique et constamment poursuivis sous l’impulsion de la Commission européenne.

Je n’ai pas besoin de rappeler le choix qui a été le mien en 1992 quant à la création d’une monnaie unique. Nous voyons aujourd’hui les effets négatifs d’un transfert de la souveraineté monétaire de dix-sept pays très différents par leurs structures, à une Banque Centrale aux statuts copiés sur ceux de la Bundesbank allemande.

C’est tout ce passif qu’il nous faut aujourd’hui remonter par un effort de dialogue et par la réunion de toutes les bonnes volontés : comment regagner les quinze à vingt points de compétitivité perdus par rapport à l’Allemagne depuis la création de la monnaie unique ? La dévaluation aujourd’hui n’est plus possible. Il faut donc retrouver des marges de manœuvre. Cela ne sera pas possible par une sorte de déflation interne. Il faudra aussi faire évoluer profondément les règles de la monnaie unique. C’est ce que le Président de la République a commencé à faire, au sommet européen des 28 et 29 juin derniers.

François Hollande a su trouver, sur le thème de la croissance notamment, des convergences avec le Président Obama mais aussi en Europe avec nos partenaires : l’Italie de M. Monti et l’Espagne de M. Rajoy notamment, sans oublier l’Allemagne avec le gouvernement de laquelle des compromis dynamiques ont été passés. Au lieu de mettre systématiquement ses pas dans ceux de Mme Merkel, François Hollande, à la différence de son prédécesseur, a cherché à nouer un dialogue constructif avec l’ensemble de nos partenaires. Ce premier sommet a été un succès du point de vue de l’opinion publique et il a été salué comme tel par les marchés financiers. La France, non seulement n’a pas été isolée, mais il est apparu qu’il était possible d’amener Mme Merkel à faire des concessions dont l’ampleur reste certes encore à vérifier. Les oiseaux de mauvais augure en sont aujourd’hui pour leurs frais. De ce sommet, François Hollande est sorti à son avantage.

I – Je passerai rapidement sur le plan de croissance qui résultera de l’augmentation des prêts de la BEI (60 milliards d’euros), du redéploiement des fonds structurels (55 milliards) et d’une innovation, les « project bonds », pour un montant encore limité de 4 à 5 milliards. Mais il faut un début à tout !

A supposer que ces moyens nouveaux puissent être rapidement mis en œuvre, leur montant égal à 1% du PIB européen ne pourra cependant pas contrebalancer l’effort de restriction réclamé au nom du « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » (TSCG) négocié par M. Sarkozy.

Il est donc indispensable que d’autres moyens soient mis en œuvre :

– relance salariale dans tous les pays dont la compétitivité le permet ;

– relance monétaire à travers des prêts de la BCE, mieux ciblés pour financer l’économie réelle.

Par ailleurs, l’abaissement du taux d’intérêt directeur de la BCE à moins de 1 % devrait intervenir incessamment. Le robinet monétaire doit couler si le robinet budgétaire est fermé.

Il faut souligner enfin que l’euro reste une monnaie surévaluée qui pénalise nos exportations. Tout devrait être fait pour amener l’euro à retrouver un cours au moins égal à son cours de lancement (1,16 dollar) afin de relancer la compétitivité des économies européennes.

II – Le sommet européen des 28-29 juin a également abouti à deux mesures importantes :

1. La recapitalisation directe des banques, notamment espagnoles, par le mécanisme européen de stabilité (MES), dès lors qu’une supervision bancaire au niveau de la BCE aura été instituée.

2. En deuxième lieu, le rachat direct par le MES de titres de la dette publique sur le marché secondaire, pour alléger, autant que faire se peut, la pression de taux d’intérêt exorbitants comme ceux exigés de l’Italie par les marchés financiers.

3. D’autres résultats ont été obtenus : ainsi la mise en place d’une taxe sur les transactions financières pour les Etats qui le décideront : au moins neuf dans le cadre d’une coopération renforcée. Reste à fixer la destination du produit de cette taxe. Il me semble que celui-ci pourrait utilement abonder les ressources du MES.

III – Les ressources du MES

 

Celles-ci – 800 Milliards en théorie, si on ajoute le solde disponible du FESF – ne sont pas suffisantes eu égard aux besoins prévisibles des Etats sous tension et des banques les plus fragiles. Il est intenable pour l’Italie ou l’Espagne de devoir continuer à emprunter à dix ans à 6 %.

1. Il est regrettable que le MES n’ait pas été adossé aux ressources en principe illimitées de la Banque Centrale européenne. Seul un tel adossement – grâce à l’octroi au MES d’une licence bancaire – permettrait de décourager la spéculation. Il faut rendre le MES « bancarisable », car, ne l’oublions pas, ses ressources viennent des Etats et d’émissions que ceux-ci seront amenés à garantir, comme le rappelait il y a quelques mois Mme Bricq, alors rapporteure générale de la Commission des Finances du Sénat. Cela signifie que le contribuable français garantira pour un montant de cent quarante-deux milliards les prêts ou les interventions que le MES sera amené à effectuer (si on fait le total du capital appelé et du capital appelable).

Je ne pense pas qu’on puisse indéfiniment alourdir pour des montants aussi considérables la dette de la France. Les Français sont prêts à répondre à l’appel que vous avez lancé non pas pour remplir un tonneau des Danaïdes mais pour permettre le redressement productif du pays. L’Allemagne, qui s’est engagée à hauteur de 190 milliards, devrait accepter que la Banque Centrale européenne garantisse la stabilité financière du Système monétaire et pas seulement la valeur de la monnaie, en recourant au besoin à la création monétaire. Ce « saut qualitatif » se produira inévitablement, selon moi, à l’occasion d’une crise de plus grande ampleur.

2. Il semble que les conditionnalités des futures interventions du MES doivent encore être précisées. Un mémorandum d’accord doit être préparé à ce sujet. J’aimerais connaître la position du gouvernement quant au contenu de ce mémorandum et à l’assouplissement des garanties demandées. Comme l’a rappelé le Président Hollande, la France est à la fois un pays du Sud et un pays du Nord de l’Europe. Elle est donc susceptible d’être aidée par le MES, mais elle est aussi et, d’abord, un grand pays contributeur, le deuxième après l’Allemagne.

3. La mise en place d’une supervision bancaire sous l’égide de la BCE portera inévitablement atteinte aux prérogatives qui demeurent encore aujourd’hui celles de la Banque de France. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le projet d’union bancaire ?

IV – J’en viens maintenant pour finir au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), signé le 20 mars dernier. Ce traité donne à la Commission de Bruxelles des pouvoirs de décision en matière budgétaire. Je me suis déjà exprimé à ce sujet à cette tribune. Le transfert des pouvoirs budgétaires aux institutions de Bruxelles pose la question du rôle du Parlement dont la raison d’être historique s’enracine dans le contrôle de l’impôt. Il ne doit pas signifier l’acheminement vers ce que Jürgen Habermas et Hubert Védrine ont appelé une « Europe post démocratique » ou des technocrates, européens ou non, se substitueraient aux élus du peuple.

C’est tout le problème de la légitimité démocratique qui se pose dans une Europe où, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, la démocratie s’exprime essentiellement dans le cadre national.

Certains évoquent sans y avoir sérieusement réfléchi un « grand saut fédéral ». J’ai toujours dit que ce grand saut serait un saut dans le vide. Ce serait, comme l’a écrit Bruno Amable, « un saut mortel pour la protection sociale ». La solidarité en Europe reste nationale à 97,5 %, puisque le budget européen ne représente que 1 % du PIB européen, alors que le niveau moyen des prélèvements obligatoires atteint 40 % dans l’Union. On ne peut pas déduire de la monnaie unique une Union politique qui consisterait à harmoniser les transferts au niveau européen. Ce serait ouvrir la voie à des résistances nationales parfaitement justifiées, car chaque système, historiquement constitué au niveau national, comporte des niveaux de protection et des spécificités irréductibles. L’uniformisation est une impasse. On ne peut pas davantage appeler « fédéral » un système de régulation budgétaire essentiellement coercitif.

Il est vrai que l’idée d’un « fonds de rédemption » pour la fraction de la dette publique correspondant à un niveau pouvant aller jusqu’à 60 % du PIB de chaque pays a été avancée et le Président Hollande a proposé à cet effet un système d’eurobonds. La mutualisation des dettes publiques pourrait s’effectuer jusqu’à un certain seuil si l’Allemagne et la France y consentaient. On peut comprendre les réticences de l’Allemagne devant les eurobonds : celle-ci n’est pas prête à donner aux pays les moins compétitifs et les plus endettés une carte de crédit qui s’imputerait sur son propre compte. Un tel système de mutualisation limitée, appelé « Fonds de rédemption », impliquerait évidemment, s’il voyait le jour, des contrôles et des garanties, bref des disciplines. On retrouverait le problème de la légitimité démocratique.

Conclusion

Le vrai problème entre les différents pays de la zone euro est la différence de leurs niveaux de compétitivité et l’ampleur des déséquilibres commerciaux entre eux.

Comment résoudre ce casse-tête ? J’ai proposé qu’on étudie sérieusement pour l’avenir à moyen terme le modèle d’une monnaie commune plutôt qu’unique. Il n’est pas interdit de rechercher des solutions innovantes aux crises de la zone euro. Celles-ci ne sont pas derrière nous. De sommet de la dernière chance en sommet de la dernière chance, les dirigeants de la zone euro ont su reculer les échéances. Mais rien ne peut dispenser d’une réflexion d’ensemble sur l’avenir de la zone euro.

Le Parlement doit être mieux informé des projets de la Commission, qu’il s’agisse du document dit des quatre présidents, de la supervision bancaire, d’un futur système de garantie des dépôts des épargnants ou du projet européen de résolution des crises bancaires. Pour le moment, c’est la Commission qui veut s’ingérer dans la procédure budgétaire. Il serait temps qu’à l’inverse, les Parlements soient saisis des projets de la Commission européenne. Il est trop tôt, Monsieur le Ministre, pour apprécier complètement la portée des avancées effectuées au sommet européen des 28 et 29 juin derniers. Mettons à profit les mois d’été pour évaluer plus justement les progrès à réaliser en Europe en matière de solidarité et de démocratie. Gardons-nous des pièges de l’idéologie. L’Europe européenne que nous voulons se fera à partir des réalités qui sont d’abord nationales. Nous faisons confiance au Président de la République, élu par la nation, pour ouvrir un chemin conforme à la maxime de Jaurès : « Aller à l’idéal et comprendre le réel ».

7 commentaires sur Chevènement : “Une monnaie commune plutôt qu’unique”

  1. Lorsque l on met la charrue avant les boeufs , voilà ce qui arrive .
    Nous devons sortir , pour un moment , de la monnaie unique et retrouver notre indépendance .
    Un état se définit par un peuple ,des frontières et une monnaie . Nous n avons plus notre monnaie , les frontières sont perméables et le peuple subit les assauts des communautarismes .
    Je crains qu une explosion sociale n ait lieu dans les mois à venir (1793 – 2013 ).
    Patrick.

  2. Enfin a gauche une voix intelligente! Si l’on veut vraiment redressser la France et remonter l’industrie à 35 à 40% de notre PIB commme de Gaulle et Pompidou avaient reussi a le faire ,il n’y a pas d’autre systeme valable que reinstituer le franc tout en conservant l’euro comme monnaie commune .Ce n’est pas complique la tchequie et la slovaquie l’ont fait en un weekend et la devaluation de 20% qui en resultera permettra de retrouver notre competivite qui etait au premier rang europeen dans les annees 1970.Toutes les autres homelies incantatoires sont du temps perdu conduisant la France a la misere et a devenir une colonie allemande sinon a la revolution politique car un chomage de 20% de notre jeunesse sera un jour cause de soulevement B Dufour

  3. Comme disait François Hollande de Jean Pierre Chevènement « des grands principes, des petits arrangements » avec la gauche et surtout le PS qui comme toujours et tous les socialistes de quelque pays qu’ils soient en Espagne avec Zapatero et en Grèce avec Papandreou, ont été les plus orthodoxes gestionnaires de l’Europe et de la mondialisation néolibérale. L’UE est une création des démocrates-chrétiens et des socialistes dès les origines.

  4. Oui Julian 12,notre temps appelle des actions courageuses et ce n’est pas un ancien Ministre de la Défense qui trouva honorable de démissionner le jour de l’engagement de nos soldats sur le front Koweit-Irak qui nous donnera l’exemple.Oui Serris11, la soupe doit être bonne pour nous servir du bla,bla,bla de haut niveau.

  5. une monnaie commune …à moyen terme!
    Chevénement toujours en verbe mais plus que timoré dans l’action!

  6. Le PS (depuis le tournant de la rigueur de 1983) a cautionné (M.Delors, le mentor politique de M.Hollande, en tête, pendant 10 ans à Bruxelles) toutes les inflexions néo-libérales et anti-démocratiques de la construction européenne.
    Comme cela était prévu par les esprits lucides ( Maurice Allais, Philippe Séguin…) Maastricht n’a pas tenu ses folles promesses. La monnaie unique s’est révélée inadaptée au bon fonctionnement économique de 17 pays aux cultures et structures hétérogènes . Pire, elle est source aujourd’hui d’ une terrible crise de confiance qui peut provoquer à très brève échéance un chaos financier et social.
    Devant la montée du péril le discours de M. Chevènement apparait bien tiède.
    L’analyse reste pertinente mais on attendait qu’il use de son autorité pour mettre en garde -solennellement- le gouvernement Ayrault contre les conséquences hélas prévisibles d’un entêtement ruineux et dangereux. Celui qui consiste à maintenir sous perfusion ( au prix d’un surcroit e notre endettement, ne l’oublions pas !) une monnaie qui a démontré son caractère inopérant aux fins qu’elle était censée servir.
    Notre temps appelle des actions courageuses.

  7. Toujours de bonnes analyse de ce Monsieur et un vote PS ! .La soupe est bonne ?

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