Une force nucléaire nationale de dissuasion : Pourquoi ?

Chaque citoyen est parfaitement en droit d’avoir une opinion sur un tel sujet. Encore convient-il que cette opinion s’inscrive dans un champ de réflexion cohérent… Lorsque en 1925 Aristide Briand, ministre des affaires étrangères de notre République rencontrait à Locarno ses homologues européens, l’allemand Gustav Stresemann, le britannique Austin Chamberlain, l’italien Benito Mussolini, un esprit de paix régnait sur l’Europe : la SDN allait être le garant d’un avenir paisible …

« Ignorer l’Histoire, c’est ignorer le loup qui est derrière la porte. »

« Un homme très recherché » de John LE CARRE

 

visuel-des-50-ans-de-la-dgaChaque citoyen est parfaitement en droit d’avoir une opinion sur un tel sujet. Encore convient-il que cette opinion s’inscrive dans un champ de réflexion cohérent.

Par exemple si l’on pose en principe que le nucléaire en général et le nucléaire militaire en particulier constituent un mal qu’il faut éradiquer de la surface de la Terre et que la France a vocation à donner le bon exemple, non seulement il ne faut pas entretenir notre outil ni le perfectionner mais il faut bien au contraire le ranger dans le tiroir des articles inutiles.

Autre exemple, si l’on pense que les Etats Unis et l’OTAN ont vocation à assurer notre sécurité et à préserver pour les décades à venir un mode de gouvernement démocratique sans que la France, la seule nation de la communauté européenne, ait encore à entretenir un outil aussi inutile que coûteux, il va sans dire que l’on aboutit en toute cohérence à la conclusion : pas de dissuasion nucléaire nationale.

Ce genre d’exemple peut être multiplié à l’envie : des gens parfaitement honnêtes, de bonne foi, se disant attachés à la France, au moins le soir du bal du 14 juillet, ou bien humanistes, écologistes, économistes de progrès, libéraux-libertaires, européistes convaincus, chômeurs de longue durée, sans domicile fixe, banquiers internationalistes, pacifistes, généraux à de multiples étoiles, anciens Premiers Ministres de droite ou de soit-disant gauche etc. peuvent tenir ce genre de raisonnement ou un autre avec un point commun en conclusion : voilà pourquoi il faut détruire la force de dissuasion nucléaire nationale.

Alors, pourquoi ne faut-il pas ce faire mais tout au contraire entretenir l’outil nucléaire avec le plus grand soin, le perfectionner pour lui garder sa crédibilité aux yeux des plus puissants comme au regard de beaucoup de ceux qui le sont beaucoup moins mais détiennent pourtant un pouvoir de nuisance élevé ? Pourquoi faudrait-il reconsidérer c’est à dire remettre en question le concept national de dissuasion nucléaire pour le tenir en cohérence avec l’évolution du monde et de ses menaces ?

Pourquoi ? Pour un faisceau convergent de motifs dont le tout premier est qu’il est quelques leçons de l’histoire qu’il convient de ne pas oublier.

Lorsque en 1925 Aristide Briand, ministre des affaires étrangères de notre République rencontrait à Locarno ses homologues européens, l’allemand Gustav Stresemann, le britannique Austin Chamberlain, l’italien Benito Mussolini, un esprit de paix régnait sur l’Europe : la SDN allait être le garant d’un avenir paisible, la Grande Guerre était sans aucun doute possible la Der des Ders…

Quelques années plus tard, la crise économique mondiale était passée par là et, avec l’aide de la grande finance étatsunienne et celle de la City, le National-Socialisme avait pris les rênes à Berlin, constituant aux yeux du capital le rempart le protégeant du péril rouge. Nous connaissons tous la suite qui nous inspire les réflexions suivantes :

Une politique de Défense qui n’est que le chapitre « défense » de la politique étrangère d’une nation, s’inscrit dans le long terme. Quel est le devin qui peut nous assurer que l’OTAN et la communauté européenne existeront encore dans cinq, dix, trente ans ? L’exemple du Pacte de Varsovie et de l’URSS ou bien celui de la Yougoslavie devraient rester présents à notre esprit. Qui peut affirmer que les Etats Unis ou la Grande Bretagne avec leurs lois sécuritaires et liberticides (Patriot Act 1 et 2 aux Etats unis, lois similaires en grande Bretagne) ne seront pas demain des Etats totalitaires ? Qui peut assurer que l’Allemagne dans dix ans n’exigera pas de reprendre ce qu’elle a par le passé considéré comme ses possessions alsaciennes et lorraines ?

La France connaît ses alliés d’aujourd’hui, la France nous répète-t-on n’a plus d’ennemis à ses frontières. Mais la France a-t-elle des amis ? Non. La France connaît-elle ses ennemis de demain ? Non. La France connaît-elle ses amis de demain, et d’abord en aura-t-elle ? Non et non. Elle aura des alliés peut-être et des intérêts sûrement qui seront éventuellement communs à d’autres ; c’est là tout ce qu’un homme d’Etat devrait pouvoir affirmer aujourd’hui, si toutefois il est intellectuellement honnête et rigoureux.

Pour ceux qui disent, qui pensent , qui professent que l’arme nucléaire est une arme périmée, pour ceux qui croient que les missiles anti-missiles sont la panacée et que donc notre force de dissuasion est bonne à mettre à la casse, il est une autre leçon à retenir de l’histoire, toute récente celle-là : les puissantes armées de Terre et de l’Air de l’Irak, aguerries et sophistiquées, n’ont pas dissuadé les Etats Unis et ses Alliés de les attaquer à deux reprises et de faire en sorte que cette puissance régionale laïque à l’économie développée et à la population – hommes et femmes – instruite revienne en quelques années « à l’âge de pierre » selon l’expression usée par un Secrétaire d’Etat, grand démocrate américain, au prix d’un nombre de victimes s’exprimant en million. Mais avez vous entendu que la petite et sous-développée Corée du nord, mise au ban des nations et suppôt de l’axe du mal, ait eu à essuyer autre chose que le feu des rodomontades de Washington ? Il est vrai que ce modeste pays maîtrise le feu nucléaire et la technologie des fusées.

Alors CQFD ?

Pas tout à fait. Car il en est qui manifestent l’opinion que le monde doit avancer sur la voie du désarmement nucléaire total. Qui ? Le Président des Etats Unis, mais pas tout seul. En France, MM Rocard, Juppé, Norlain sont parmi d’autres ceux qui soutiennent cette idée ; ils en ont bien sûr le droit et proposent que la France montre l’exemple. Imaginons donc une Terre enfin débarrassée des arsenaux d’armes nucléaires et posons-nous la question de savoir ce qu’il reste en place….

Eh bien il restera parmi d’autres, une puissance militaire incontestablement plus grande, les Etats Unis d’Amérique, à ce jour une démocratie mais qui a fait la preuve qu’elle est capable de faire une guerre en violation des règlements internationaux ; une puissance qui a inscrit dans sa doctrine en matière de défense la guerre préventive et la volonté clairement affirmée de dénier à quiconque de posséder la maîtrise d’une technologie qui soit égale à celle dont elle dispose elle-même ; une nation qui à elle seule dépense pour sa Défense la moitié de qui est dépensé dans le monde dans ce domaine.

Autrement dit, reléguer la dissuasion nucléaire nationale au rang des accessoires inutiles revient pour l’agneau français à s’en remettre à la bonne volonté du loup nord-américain pour le jour où les intérêts de ce dernier ne coïncideront plus avec les nôtres. D’ailleurs ont-ils jamais tout à fait véritablement coïncidé ? Chacun sait ce qu’il en est de la raison du plus fort…..

C’est pour tout cela mis bout à bout que nous professons avec certain stratège chinois que l’ombre de la paix s’étend sur le monde au rythme même où s’agrandit la surface des nations qui maîtrisent l’arme nucléaire, celle dont le pouvoir égalisateur décourage de l’utiliser les fous de pouvoir qui constituent l’ordinaire de ceux qui gouvernent le monde, toutes nations confondues.

Dans cette optique, est-il plus ardent acteur de la paix que l’équipage en mission d’un sous-marin nucléaire porteur de ses 16 missiles mer-sol à têtes nucléaires mégatonniques ?

Voilà pourquoi la France doit continuer de disposer d’une force nucléaire nationale de dissuasion.

Claude GAUCHERAND – Contre-Amiral (2S)

6 commentaires sur Une force nucléaire nationale de dissuasion : Pourquoi ?

  1. Jean Claude GENTY // 1 juin 2012 à 19 h 26 min //

    Quand va-t-on regarder un peu derrière nous pour en tirer quelque enseignement valable.
    De tout temps, tout seigneur ou prince, pour affirmer sa puissance et par là même préserver
    la liberté et la paix de son fief menait trois actions fondamentales.
    1) il battait monnaie
    2) il se dotait d’une armée digne de ce nom
    3) il rendait justice
    Alors, à ce jour, la France, notre France a abandonné la maitrise de sa monnaie, dépend pratiquement
    totalement de la Justice européenne.
    Il ne lui reste plus que la dissuasion nucléaire dont elle soit encore totalement maîtresse.
    Beaucoup de Français qui se disent pacifistes devraient se souvenir de Munich et surtout de sa suite.
    Nous ne sommes pas du tout sûrs que jamais cela ne recommence et surtout de qui cela peut-il provenir.
    Pour ma part, en qualité de Français farouchement indépendant, je dis :<<Gardons notre dissuasion nucléaire,
    Perfectionnons là et faisons bien comprendre tout autour de nous que nous tenons à notre indépendance et nous donnons les moyens de la conserver.
    N'est-ce pas M. François Hollande, Président ?

  2. Si nous voulons rester une  » grande nation  » libre et indépendante , nous devons conserver , entretenir , améliorer
    et miniaturiser notre armement nucléaire : c est le concept meme de la dissuasion .
    Les Américains sont-ils nos amis ? Leur comportement vis-à-vis de la FRANCE depuis plus de 60 ans me permet
    d ‘ en douter : qui a armé le FLN ? . . .

  3. Selon l’Amiral GAUCHERAND la France doit garder la force de dissuasion nucléaire pour défendre ses intérêts.
    Nécessaire assurément, mais insuffisant car l’arme est certes au service d’un pays, mais est mise en oeuvre par sa population et ses représentants.
    Alors qui me dit que nos institutions et représentants à venir auront la capacité d’appuyer sur le bouton rouge et surtout d’entretenir l’idée qu’ils en seraient capables si nécessaire ?
    Est-ce que cela restera possible avec une population française fortement imprégnée par l’islam, religion qui tend à s’affranchir des frontières, des états, des races…et pour qui le monde doit être sous le règne de la charia ?
    On ne se connait peut-être plus d’ennemis aux frontières, mais force est de constater que l’on ne maîtrise plus le coin de la rue ou le toit des immeubles dans des centaines de nos cités couvées par le Qatar, l’Arabie saoudite, le Maroc, l’Algérie…alors qu’on a la prétention de « projeter » nos forces à 5 ou 10000km s’il le fallait (cf l’Afghanistan et même la Syrie maintenant, nous n’apprenons rien du passé !)

  4. Bravo, Amiral !
    On ne pouvait pas dire les choses plus clairement que vous le faites.
    Il n’est pas si fréquent de voir écrites des vérités aussi dérangeantes par rapport à la propagande historique habituelle telles que celles-ci sous votre signature : « Quelques années plus tard, la crise économique mondiale était passée par là et, avec l’aide de la grande finance étatsunienne et celle de la City, le National-Socialisme avait pris les rênes à Berlin, constituant aux yeux du capital le rempart le protégeant du péril rouge. Nous connaissons tous la suite (…) »
    Oui, un pays comme le nôtre n’a pas d' »amis » – et certainement pas le gouvernement US -, il n’a que des intérêts à défendre sur la scène du monde. Et la dissuasion nucléaire, pour le présent, en est le moyen dissuasif indispensable. N’écoutons pas les Sirènes de la décadence, si stridentes, à droite et à gauche.
    Encore merci, en pleine communion de pensée (et d’action) avec vous !
    JK

  5. tout à fait d’accord; La France doit garder son arme nucléaire; Et elle ne doit pas vendre cette technologie à d’autres pays. Car ces pays là risquent de s’en servir contre nous ou contre d’autres pays; nous ne savons pas l’avenir des différents pays et du notre ;;;; Qui sera à la tête des différents pays , dans n’importe quelle région du monde;
    Ne vendons pas ce que nos chercheurs , nos scientifiques ont mis des années et des années à faire pour que notre pays puisse vivre en paix; Arme de dissiduation qui nous protège.Ne le vendons pas quelle que soit la somme proposée. car cet argent serait vite dépensé et l’on se retrouverait démuni; si le monde entier a cette arme atomique
    L’HISTOIRE doit effectivement nous faire réfléchir; Rien n’est jamais acquis ; Soyons prudent et prévoyant !
    Si nous n’avions pas cetta force nucléaire , il y a longtemps que notre pays serait envahi et occupé !!!
    Nous sommes un petit pays , mais un Grand Pays grâce à toutes les découvertes scientifiques , à notre culture , à notre démocratie que nos Anciens nous ont légués; Soyons responsables et dignes d’eux; Ne tombons pas dans le « tout le monde il est beau , tout le monde il est gentil ;;; » .

  6. Les raisons d’entretenir une force nucléaire française compétitive sont les mêmes que celles qui avaient conduit à sa création et sont renforcées par l’expérience de 50 années de paix dans une Europe qui n’avait, depuis la préhistoire, jamais cessé d’être en guerre.

    Rappelons-les simplement sans tomber dans une apologie par trop naïve de cette arme, qui pas plus qu’aucune autre, ne garantit la paix.

    Nagasaki, plus encore qu’Hiroshima, est là pour nous rappeler que la dissuasion nucléaire est une stratégie spécifiquement française qui ne vaut que pour le théâtre européen.

    Tchernobyl nous a apporté un avertissement sans frais qui confirme le raisonnement de Charles de Gaulle : si des bombes atomiques américaines venaient à tomber sur Moscou, l’Europe entière serait mortellement contaminée, bien plus encore que ne l’avaient été les deux villes japonaises.

    Voilà pourquoi une bombe française était nécessaire et suffisante pour tenir l’Armée Rouge en respect.

    Ce qui a changé aujourd’hui, c’est que les bombes susceptibles de tomber sur cette Europe unie par le vent d’Est, peuvent venir non seulement de l’Ouest et de l’OTAN, mais également du Sud.

    L’accroissement du risque nucléaire vient non seulement des progrès technologiques de l’armement nucléaire et de la balistique, mais également et surtout, de la prolifération de centre de décisions dans le monde.

    Malheureusement, ce que Truman a décidé, bien d’autres chefs d’Etat seraient bien capables de le décider.

    Que la France se garde un armement nucléaire compétitif, c’est indispensable. Qu’elle vende cette technologie militaire à l’étranger, c’est suicidaire !

    Et l’absence de toute réflexion stratégique dans les débats qui ont précédé l’élection présidentielle n’est pas rassurante.

    Jean-Michel COGET

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*