Bouches-du-Rhône : l’UMP entrouvre la porte au FN

 


« Entre eux et nous, il y aura toujours une croix de Lorraine », avait dit Alain Juppé dans les années 1990, au sujet des alliances entre la droite et l’extrême droite. Aujourd’hui, la digue a sauté dans certaines circonscriptions. Dans l’Ain,
un conseiller général UMP a annoncé sa candidature sous l’étiquette frontiste. Dans la Somme, une ancienne dirigeante de Chasse pêche nature et traditions (CPNT), associé à l’UMP, a été investie par le FN. Leurs exclusions ont été annoncées. D’autres candidats, souvent membres de la Droite populaire, ont fait part de leur désir de « rapprochement » avec les frontistes (lire notre article). Dans les Alpes-Maritimes, la porosité est importante, comme l’a vérifié Mediapart dans ce reportage.

Mais c’est dans les Bouches-du-Rhône que les signaux d’ouverture entre les deux partis sont sans doute les plus flagrants à l’approche des législatives. Au premier tour de la présidentielle, Marine Le Pen est arrivée en tête dans trois des seize circonscriptions du département et en deuxième position dans sept autres. Même dans la 5e circonscription marseillaise, celle de Renaud Muselier, le redécoupage opportun d’Alain Marleix, spécialiste électoral de Sarkozy, n’empêchera sans doute pas une triangulaire (le FN a recueilli 18,8 % au premier tour). Aux cantonales en 2011, déjà, le parti frontiste était arrivé premier à Marseille.

Les échanges ont donc commencé. Le conseiller régional FN, Stéphane Durbec, militant historique du FN, a rejoint l’UMP marseillaise où il a été « très bien accueilli ». La droite n’a pas à « être la plus bête du monde en bunkérisant le FN », a lancé le député Dominique Tian, en recevant sa nouvelle recrue lors d’un meeting, le 9 mai. Valérie Boyer, autre députée UMP sortante, n’a « rien a priori contre Stéphane Durbec » et estime qu’« il n’y a aucune raison de se boucher le nez ». « On discute avec tout le monde. Pourquoi on tolérerait tous ces chanteurs de cantiques de L’Internationale et pas les autres? » a interrogé le sénateur et maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin. « Les valeurs qu’a Marine Le Pen, je les ai toujours défendues », a lâché la députée et maire UMP d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains, tout en se déclarant « imperméable à toute négociation », « au moins jusqu’au second tour ».

« Des discussions existent avec l’UMP à Aix », affirme de son côté Bernard Marandat, conseiller municipal et régional FN de Paca et candidat aux législatives dans la 7e. Contacté par Mediapart, il différencie « la théorie et la pratique, les positions officielles nationales et les positions officieuses locales » et affirme qu’« il y a des discussions à titre individuel ». « On milite tous depuis trente ans ici, on se connaît, quand on se voit on discute. Les appels de l’UMP parisienne à voter à gauche en cas de duels avec le FN sont moins vrais au niveau provincial et notamment provençal. On essaye de voir comment faire pour battre le PS. Mais rien ne se fait gratuitement, sans contrepartie, c’est donnant-donnant : si on les aide quelque part, ils nous aideront ailleurs. » Certes, « rien n’est prévu comme en 1986-1988 où il y avait des désistements réciproques », reconnaît-il, mais « au soir du premier tour, tout est possible. il y aura des coups de téléphone, en général c’est de leur part ! ».

« A quoi joue la droite », interrogent les socialistes locaux, tandis qu’au centre droit, on condamne à l’avance « toute tentation d’ouverture bleu Marine» et « main tendue au FN » (Parti radical) ou on dénonce « le racolage des ex-FN » (Nouveau centre). Officiellement, bien sûr, l’UMP des Bouches-du-Rhônes reste sur la « même ligne que le parti » : « pas d’alliance ». « Notre position est très claire », « le FN est un adversaire politique, à chaque fois ils veulent m’éliminer ! » résume à Mediapart le patron de la fédération, Renaud Muselier. « Impossible et inenvisageable », « la question ne se pose pas », explique aussi Yves Moraine, patron du groupe UMP au conseil municipal de Marseille et dauphin de Gaudin.

« Très rares seront les candidats qui s’écarteront de la ligne nationale », assure-t-il. Car pour l’élu marseillais, « l’époque de 1986-1988 est terminée. Avant, il y avait des liens sociologiques, humains, ils se connaissaient tous depuis longtemps, dit-il en citant les exemples des frontistes Jean Roussel, Gabriel Domenech et Ronaldo Perdomo, qui ont bénéficié d’accords de désistement entre la droite et l’extrême droite. Aujourd’hui ce n’est plus le cas ». Muselier explique que, depuis qu’il est à la tête de la fédération, « il n’y a jamais eu de fausse note dans le département ». Les « écarts » seraient selon lui le fait « de candidats novices, pas encore bien formés, qui n’ont pas l’habitude des turbulences » : « Il faut les comprendre, ils sont dans des circonscriptions difficiles, ils ont peur pour leur peau. » Le ralliement de Durbec ? « C’est un cas bien particulier, il veut se recycler. »

L’homme fort de l’UMP marseillaise laisse tout de même une porte entrouverte et des interrogations. « On ne fait aucun procès d’intention à Hollande qui s’allie à Mélenchon, on en fait à la droite. Moi, les drapeaux rouges et l’Internationale, ça me gêne, pas les drapeaux tricolores et la Marseillaise », explique-t-il. Dans La Provence, il évoque aussi « une situation locale particulière » avec le PS. Nicolas Sarkozy l’avait déjà souligné le 26 avril, sur France-2 : l’UMP verra « au cas par cas » et ne pourra pas voter pour des Guérini (voir notre vidéo ci-après).

« Est-ce qu’on peut poser la question d’un accord ? »

Dans les trois circonscriptions du département où le FN est arrivé en tête le 22 avril (la 12e de Marignane, la 13e d’Istres-Martigues, la 16e d’Arles), les candidats UMP, membres de la Droite populaire, adressent des signaux clairs aux électeurs du FN. Deux d’entre eux (le troisième n’a pas souhaité répondre à nos demandes – lire notre Boîte noire) n’excluent pas des alliances locales.

A Marignane, la ville où le FN fait l’un de ses meilleurs scores nationaux, le député sortant Eric Diard a délégué la séduction des électeurs frontistes à son suppléant pied-noir, ancien sympathisant du parti d’extrême droite au discours populiste. A Martigues, Michèle Vasserot, élue municipale et candidate pour la première fois aux législatives, a expliqué à Canal Plus que cela ne lui paraissait « pas idiot » « de laisser sur le terrain, en fonction de la situation locale » les candidats « faire des accords » :

Candidate dans une circonscription historiquement communiste, où le poids du FN est important (25,6 % au premier tour de la présidentielle), cette enseignante ne sait pas encore ce qu’elle fera si elle arrivait derrière le Front national le 10 juin. « C’est la seule chose qui intéresse les médias, s’agace-t-elle. Si par malheur j’étais derrière, je verrai. Mais on fera en sorte que la question ne se pose pas, en faisant campagne en amont. » L’élue municipale estime que l’UMP locale « est enfermé(e) dans un piège » dont « profite la gauche ». Elle nous explique son « dilemme » : « Vous prenez les chiffres, vous additionnez les voix du FN et celles de l’UMP, on est largement devant. Or, depuis 50 ans, la gauche est au pouvoir. Les électeurs obtiennent le contraire de ce qu’ils veulent. Avec une triangulaire, on va faire réélire le maire communiste ! »

Bien sûr, « ça (la) gênerait d’avoir à faire ce choix (d’alliance) qui n’est pas dans la ligne du parti », mais « est-ce que cette ligne doit nous empêcher de penser ? Est-ce qu’on ne peut pas entendre ce qui est dit quotidiennement sur le terrain ? Est-ce qu’on peut poser la question de l’hypothèse d’un accord ? » interroge-t-elle, évoquant les « particularismes de chaque circonscription ».

Dans la circonscription voisine, la 16e (Arles), le candidat UMP, Roland Chassain – maire et conseiller général de Saintes-Maries-de-la-Mer depuis 1994 –, tient un discours similaire. Elu député en 2002, battu en 2007 par le patron socialiste du conseil régional de Paca, Michel Vauzelle, il explique que « les portes ne sont fermées à personne ». « Laissons passer le premier tour et on verra. Je vais d’abord faire ma campagne », dit-il. Pour lui, la balle est dans le camp de Marine Le Pen : « Ce n’est pas à nous de mettre des passerelles avec le FN, c’est à elle de faire des propositions. Pour l’instant, elle veut faire exploser l’UMP. Pour une droite élargie, je crois qu’il faudra encore une décennie. » Sollicité cette année pour un parrainage par son adversaire frontiste, il avait refusé : « Je lui ai dit : « Vous voyez le portrait au mur, c’est celui de Nicolas Sarkozy ! » »

Pour le programme en revanche, pas besoin d’attendre « une décennie » pour se rapprocher du FN. En dehors de leurs désaccords sur « le programme économique » et « le retour au franc », la proximité idéologique est évidente. Roland Chassain la revendique d’ailleurs : « Mon programme est très très proche de celui du FN, mais sans les slogans tournés vers le passé de Jean-Marie Le Pen. Je suis pour une France droite et respectée : contre le droit de vote aux étrangers, contre l’assistanat, pour le contrôle des frontières – il faut juguler les flux, sinon on va être envahis –, pour la peine de mort pour les terroristes et agresseurs de personnes âgées et d’enfants », dit-il en rappelant qu’il a signé, en 2004, la proposition de loi pour le rétablissement de la peine de mort pour les auteurs d’actes terroristes.

« Je vais hausser le ton et toute ma communication va être basée sur ces points, promet-il. Notre gouvernement (sortant) a manqué de communication sur ces sujets. » « Il y a des gens qui ne votent plus pour nous car ils considèrent qu’on n’a pas rempli notre mission », renchérit Michèle Vasserot. « Le FN exprime un peu plus violemment ce que nous disons. La seule façon de s’en sortir, c’est que la droite soit la droite, qu’elle ne transige pas avec ses valeurs : le droit de vote aux étrangers, le port du foulard, les horaires de piscines réservés, le halal, le droit de vote des étrangers. » « On peut être rigoureux sur la question des alliances et ne pas céder au politiquement correct en défendant certaines idées », estime Yves Moraine, qui « refuse la stigmatisation morale sur le FN », « rentré depuis longtemps dans le champ républicain ».

« Il faudra que l’UMP vienne vers le FN »

Pour ces élus UMP, les demandes des électeurs du FN ne sont pas en premier lieu économiques et sociales. « Mes rencontres ne se font pas sur le terrain économique, ce sont souvent des gens aisés qui ont peur de la modification de leurs modes de vie, de l’islam radical, de l’immigration, affirme l’adjoint de Jean-Claude Gaudin. Il justifie cette hypothétique « peur » par « la sociologie locale ». « Quand le FN dénonce une islamisation rampante dans les cités, au-delà des termes, cela correspond à une réalité. Il y a des thématiques non traitées qui vont nous péter à la figure et qui ne cessent de faire monter le FN. »

Michèle Vasserot fait le même constat. « A Martigues ou Fos-sur-Mer, le FN est important et ce sont des villes où il y a de l’argent, des entreprises avec la pétrochimie », souligne-t-elle. L’explication selon elle ? Les « pressions communautaires ». Une situation dont serait responsable « la gauche ». A Port-de-Bouc, ville que géra Michel Vaxès, député sortant et mentor de son adversaire Front de gauche, « c’est le tiers-monde », affirme-t-elle. « La population est maintenue dans l’assistanat. Avant, les marchés de Provence, c’était les nappes à carreaux, l’huile d’olive, maintenant ce sont des stands de foulards, des femmes voilées, des barbus. Il faut faire en sorte de moins choquer les gens, qu’ils soient moins visibles. Avant ils étaient dix, puis 50, maintenant 200. Quand il y en a trop, on n’arrive pas à les intégrer. »

En face, le FN ne peut qu’acquiescer. « Nous avons des idées en commun : la défense de la nation, de l’identité nationale, de notre culture, nos racines, et de l’honnêteté », croit Bernard Marandat. Des idées suffisantes pour envisager plus que de simples accords. « La droite doit être reconstruite. Il faudra que l’UMP vienne vers nous. Le problème, ce n’est pas la droite populaire ou le FN, c’est la défense de nos convictions communes. » Michèle Vasserot, elle, préfère que les élus du FN « nous rejoignent » que « l’inverse » : « Si demain il y a un élu du FN qui veut venir à l’UMP, je dis oui. Ça ne pose de problème à personne. »

En attendant, les candidats UMP sont décidés à porter leur parole « un peu plus fort » pendant cette campagne. Michèle Vasserot parcourt la circonscription, étalée sur 100 km, à bord d’un camion qui fait office de permanence. Pour « aller à la rencontre des gens », dit-elle, et ratisser des zones plus rurales. Roland Chassain a installé sa permanence « à l’entrée d’un quartier difficile » d’Arles. Tous deux enchaînent marchés, porte-à-porte, et tractages, en ciblant leur véritable adversaire, la gauche. « A Martigues, le maire a cumulé sept mandats, tout est noyauté, l’opposition n’a aucune liberté. On croule sous les affaires dans le département », dit-elle en énumérant Jean-Noël Guérini, René Raimondi (maire de Fos-sur-Mer et soutien de celui-ci), Bernard Granié (président PS d’une intercommunalité des Bouches-du-Rhône, condamné à deux ans de prison ferme pour corruption).

« Je fais campagne contre la corruption du département. Mon slogan, c’est “Le choix d’un député honnête et efficace” », explique aussi Roland Chassain, citant les mêmes personnalités et s’en prenant à son adversaire Michel Vauzelle. Renaud Muselier mise lui aussi sur « un effet Guérini », qui avait permis à l’UMP de rafler deux cantons en 2011. Son credo ? « “Le choix du courage”, le courage des réformes, de se battre contre Guérini », raconte-t-il. Mais « l’effet Guérini » ne suffira pas, d’autant qu’il pourrait n’être que « ponctuel », déplore Yves Moraine car « les effets des affaires locales sur des élections plus nationalisées comme les législatives sont réduits ».

L’UMP locale affiche en tout cas une grande confiance. Est-ce parce qu’elle sait qu’elle pourra éviter certaines triangulaires avec les nombreuses candidatures divers droite (ou extrême droite) qui viennent affaiblir le FN (le détail ici) ? « J’ai déjà gagné deux fois en triangulaires », « quand vous additionnez Le Pen et Mégret avant, c’était les mêmes scores », « aux cantonales de 1993, le FN faisait 44 % ici », explique Renaud Muselier. « Quand les candidats sont enracinés, il n’y a pas de problème », soutient Yves Moraine en citant le député Guy Tessier qui « fait face à un FN à 25 % et va le battre ». L’adjoint de Gaudin estime que la stratégie de droitisation de l’UMP « est la bonne », mais le reconnaît : « Entre Pierre Méhaignerie et Lionnel Luca, c’est le grand écart. »

 

1 commentaire sur Bouches-du-Rhône : l’UMP entrouvre la porte au FN

  1. dixhuitjuin // 28 mai 2012 à 15 h 16 min //

    Je vois mal le Général De Gaulle faire alliance avec De Vignancour de l’extème droite.La doite en France est devenue folle ,complètement folle.

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