A la Mutualité, Sarkozy tente de remotiver des élus déconcertés

  • 12 avril 2012  Par Marine Turchi et Valentine OBERTI (Médiapart)

Philippe Marini et Éric Woerth, parmi l'armée d'élus et ministres à la Mutualité« On l’a perdue la campagne. Nicolas Sarkozy fait sa campagne au-dessus de tout le monde avec Buisson. Ils sont enfermés tous les deux, c’est comme les époux Ceausescu. La seule bataille qu’on mène, c’est l’après. Il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui garde le parti. Moi je suis pour Fillon. » En quelques minutes, ce directeur de campagne d’un candidat aux législatives vide son sac, en marge du meeting.

photo : Philippe Marini et Éric Woerth, parmi l’armée d’élus et ministres à la Mutualité© MT

Nous sommes à la Mutualité, dans le Ve arrondissement, à Paris. Ce mercredi après-midi, toute la majorité présidentielle est réunie. Aux deux premiers rangs, une trentaine de ministres et anciens ministres entourent François Fillon et Jean-François Copé. Derrière, des centaines de parlementaires et élus locaux. Au fond, des militants invités par le parti. Quelques minutes plus tard, Nicolas Sarkozy doit monter sur scène pour remonter le moral des troupes et surtout rassurer les élus locaux de l’UMP malmenés pendant cinq ans. Ce sont Jean-Pierre Raffarin et Hervé Novelli qui l’ont vivement encouragé à leur adresser un signe.

Agnès Lebrun, maire UMP de Morlaix (Finistère), ville reprise à la gauche en 2008, intervient la première à la tribune. « C’est nous qui subissons les pressions. (…) Notre candidat, est-ce celui du dynamisme ou des excès ? Celui du courage ou des réformes ? Certains se posent ces questions car ils les entendent autour d’eux. Mais méfiez-vous du syndrome de Stockholm. Les régions, les départements, les grandes villes, le Sénat sont à gauche. La gauche a capturé nos collectivités. Voulons-nous leur donner les clés ? » dit-elle. Malaise dans la salle. Un brouhaha monte. Des élus sont consternés.

Aimery de Montesquiou, sénateur centriste du Gers et unique élu UMP du département, lui succède. « Mon premier parti a été le parti radical socialiste. J’insiste sur le “socialiste” car pour moi cela veut dire la générosité et l’imagination pour préparer le futur », raconte-t-il, avant de critiquer François Hollande. Silence gêné dans la salle.

N. Sarkozy à la Mutualité, le 11 avril.

Une heure plus tard, Nicolas Sarkozy achève son discours, une main dans la poche : « Nous vivons une campagne passionnante », dit-il. A l’exception de quelques gimmicks sur les socialistes, le président-candidat a pris soin de laisser au placard ses habituelles répliques, servies à chaque meeting, mais plus efficaces devant des militants-supporters survoltés que face à des élus.

Dans un long discours, il a alterné formules compassionnelles et pédagogie sur ses réformes. « Nous avons dû prendre des décisions difficiles pour vous, je le sais», explique-t-il en citant les réformes des cartes judiciaire, militaire et hospitalière. « Je ne dis pas que toutes ces réformes ont été accueillies avec enthousiasme. J’ai entendu les élus qui ne voulaient pas qu’on ferme un régiment, qui voulaient qu’on préserve une maternité. Mais il se trouve que je ne suis pas à votre place, je suis président de la République, j’ai dû assumer mes responsabilités » ; «J‘ai trop de respect pour les élus locaux pour ne pas imaginer qu’ils ne sont pas concernés par la lutte contre les déficits » ; « Quand on s’engage on subit les critiques. Vous connaissez mieux que moi le poids de la responsabilité de celui qui doit tracter, arbitrer, dans sa commune, son département. Vous mieux que d’autres connaissez la vérité. La vérité, c’est que nous sommes passés à côté du gouffre », a-t-il dit avant d’annoncer une mise au régime des collectivités territoriales.

Les applaudissements sont rares et timides. Bien loin des grands-messes sarkozystes. Une militante de longue date nous le fait remarquer. « C’était froid, sec, figé. Moins d’enthousiasme, moins de fans. Si cela avait été mon premier meeting, je n’aurais pas été propulsée au septième ciel », nous confie-t-elle. Ancienne hôtesse d’Air France « dans les belles années », Françoise-Laure Mondot habite à Suresnes (Hauts-de-Seine), où Nicolas Sarkozy a été élu à 58 % en 2007 et milite à la fédération UMP de Neuilly. Le quinquennat ? « Ça n’a pas été facile, on s’est pris des claques. Maintenant il faut remotiver les élus et les militants », raconte cette fan « de Sarkozy et de Copé ». « Avant j’habitais à Royan, c’était du petit lait. A Suresnes, c’est limite si on me crache pas dessus », dit-elle. « Les gens font un rejet, il y a une volonté de changement », explique-t-elle :


Une militante UMP raconte le tractage à Suresnes… par Mediapart

« On ne veut pas du retour des gaucho-trotsko-communistes ! »

Élus, militants et ministres UMP réunis à la Mutualité, avril 2012

Ces difficultés (racontées déjà ici et par Mediapart) et la crainte de voir le retour de la gauche au pouvoir ont mis les militants à cran. Ils sont nombreux à renvoyer la faute aux journalistes et à dénoncer le « matraquage médiatique » de leur candidat. Nous abordons un couple de retraités à la fin du meeting. Elle a pris sa carte UMP « cette année » parce qu’« il le fallait ! ». Lui se dit « indépendant » mais assène : « On ne veut pas du retour des gaucho-trotsko-communistes ! Je suis un ancien policier, j’ai 84 ans, je les ai eus face à moi en 1968, je ne veux pas de cette clique ! »

Quelles sont les idées phare qui les séduisent dans le programme de Sarkozy ? « Il en a entre les jambes ! » répond-il en désignant son entrejambe. L’ancien policier hurle désormais et empoigne notre bras. « Hollande c’est un rigolo ! Les trotskistes vont revenir foutre la merde et c’est de votre faute à vous les médias ! » dit-il en nous secouant, sans nous lâcher. Pas le temps de poser d’autres questions, sa femme se met elle aussi à hurler : « Vous trouvez ça normal que tous les journalistes soient de gauche ?! Vous, les journalistes, vous l’avez matraqué, dès le lendemain du 6 mai 2007 ! C’est honteux ce que vous avez fait, honteux ! Vous avez sali le président ! » Le couple a attiré les regards des derniers militants et journalistes présents dans la salle. Eric Woerth s’arrête et demande : « Qu’est-ce qu’elle avait cette dame ? »
« On revient de très loin, raconte José-Grégoire Lumumba, directeur de cabinet de Valérie Paparemborde, adjointe au maire du XVIIe arrondissement de Paris et candidate aux législatives dans la 3e circonscription. Ce n’était pas des inquiétudes qu’on avait, on était dans un gouffre ! On n’a peut-être pas assez fait de pédagogie. Il faut expliquer la crise. Le problème, c’est que Nicolas Sarkozy est peut-être parti un peu tard. » L’autre problème, pour lui, « c’est qu’on va très vite faire le plein des voix au premier tour. Et-ce qu’il y a des réserves ? C’est la question que je me pose. »

V. Paparemborde.

Valérie Paparemborde (Photo), sa candidate, veut croire que « le déclic va se faire », un déclic « plus raisonnable contrairement à 2007 » « car il n’y a pas d’homme providentiel ». « Les gens expriment un certain mécontentement mais dans l’isoloir, il y aura une réaction de raison, car en face, ils demandent trop de concessions ».
C’est aussi ce que veut croire Charles Kaazan, conseiller municipal UMP de Vanves. « Il y a un rejet de Sarkozy. Une partie des gens qui avaient voté pour lui en 2007 réfléchissent, reconnaît-il, mais au moment de mettre un bulletin, ils se demanderont qui est le plus crédible, ils réfléchiront à deux fois ! » L’élu s’inquiète tout de même de « voir les gens juger le président de la République sur les trois premiers mois et oublier les réformes – autonomie des universités, retraites. Il faut une continuité ! ». Ce chef d’entreprise franco-libanais affirme que ses carnets de commandes « sont gelés jusqu’au 7 mai » et que « les agences de notation sont en embuscade ».

A côté de lui se tient Dominique Van Der Waren, élue d’Issy-les-Moulineaux dans la majorité d’André Santini. Militante depuis 25 ans, cette enseignante a « connu Nicolas Sarkozy à Neuilly » et assure être «toujours aussi fascinée» par le candidat aujourd’hui. « Après les vacances de février, on avait l’impression de marcher sur des œufs. Depuis quinze jours, cela va beaucoup mieux, on le voit sur le terrain. (…) Mais Sarkozy aura besoin de chaque voix, il faut aller les chercher avec les dents. »

« C’est super compliqué », admet aussi Jonathan Naïm, 47 ans, président d’honneur du Conseil national des Français pour la diversité (créé par l’UMP en novembre 2011). Encarté depuis deux semaines à l’UMP (« Ce qui m’a convaincu chez Nicolas Sarkozy, c’est qu’il dit ce qu’il fait et qu’il fait ce qu’il dit »), lui aussi mise sur un « déclic entre les deux tours » et pense que l’UMP « récupérera des votants de Bayrou ». « Je rencontre beaucoup d’indécis et de déçus de Sarkozy. Ils voient que depuis cinq ans, leur niveau de vie s’est déterioré mais ils ne voient pas comme la crise a été grave et qu’on a évité le pire grâce aux actions de Nicolas Sarkozy. »

« Eh dis donc, je te vois plus ! » lance un élu à Patrick Balkany, député et maire de Levallois, ami de trente ans de Sarkozy. Pierre-Charles Capo est maire de Coutarnoux (Yonne). « Sarkozy a fait une erreur monumentale au départ : ses premières journées, le Fouquet’s, des problèmes avec les médias », soupire-t-il. Mais il se rassure : « La France est à droite, les résultats des dernières élections présidentielles l’ont montré ! (…) Les électeurs de François Bayrou se reporteront sur Sarkozy au second tour. » L’élu est plus mitigé sur la campagne en elle-même : « Il faudrait élever le débat, le permis de conduire ce n’est pas un sujet majeur, surtout chez nous où les problèmes majeurs, ce sont l’emploi, l’école. »

C’est aussi l’avis de Pierre Méhaignerie, député d’Ille-et-Vilaine emblématique des centristes de l’UMP. « J’aurais aimé qu’on aborde davantage les sujets essentiels pour l’avenir : la compétitivité de la France car l’emploi en dépend, le pouvoir d’achat, le financement de la protection sociale et la maîtrise de la dépense publique. » La dynamique de campagne de Nicolas Sarkozy ? « Compte tenu du point de départ qui était le sien, c’est pas mal ! »

Fin janvier et fin mars, Nicolas Sarkozy avait reproché à ses ministres leur absence dans les médias et à ses côtés dans les déplacements (lire notre article). Mercredi, tout en cajolant les élus, il a fait passer quelques messages. « Les plus virulents hier, pourquoi sont-ils si silencieux aujourd’hui ? » a-t-il interrogé. « Cette campagne n’est pas faite pour les gens qui ont la colonne vertébrale fragile », a-t-il lancé en conclusion. Une pique aux socialistes qui sonne tout autant comme un avertissement à son propre camp.

1 commentaire sur A la Mutualité, Sarkozy tente de remotiver des élus déconcertés

  1. Je suis d’accord avec vous, le permis de conduire n’est pas un sujet sérieux pour la présidentielle. La maitrise de la dépense publique est un sujet dont tout le monde parle, les dépenses des collectivités territoriales est un sujet brûlant…..le cumul des mandats et le renouvellement des mandats sans limite qui laisse le pouvoir entre les mains des mêmes durant plusieurs générations parfois sont une entrave au développement éonomique maitrisé (je suis dans le Tarn et Garonne, vous comprendrez de qui et quoi je parle….). Un directeur de quotidien régional ne devrait pas pouvoir l’élu d’une collectivité territoriale .

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