Non au pacte budgétaire par J.P. Vesperini

 

  • Jean-Pierre VESPERINI
    Professeur agrégé des facultés de droit et des sciences économiques
    Membre du Conseil d’Analyse Economique

66699_france-s-president-sarkozy-speaks-during-a-news-conference-at-an-european-union-summit-in-brusselsLe pacte budgétaire que viennent d’approuver les dirigeants des pays de l’Euroland imposera désormais à ces pays de maintenir à zéro ou proche de zéro le montant de leur déficit public.

Ce pacte budgétaire présente quatre défauts majeurs.

Tout d’abord, d’une manière générale, il est rarement justifié ou recommandé de vouloir maintenir une variable économique constamment à la même valeur. L’économie appartient par essence au domaine du vivant. Elle n’échappe pas au mouvement continu de l’évolution. Sans cesse l’environnement économique d’une nation bouge, évolue et tout l’art de la politique économique est de savoir s’adapter à cet environnement indéfiniment changeant.

Dans le cas des pays de la zone euro, la contrainte de devoir maintenir à zéro le déficit public est d’autant plus injustifiée et dommageable que ces pays sont privés de leur souveraineté monétaire. La Chine par exemple a décidé de maintenir plus ou moins constant le taux de change de sa monnaie contre le dollar. Mais la Chine est un pays pleinement souverain qui dispose de tous les leviers lui permettant de compenser les effets négatifs que la stabilité de son taux de change peut avoir sur son économie. En revanche, les pays de la zone euro seront incapables de compenser par une politique monétaire appropriée les effets négatifs de la fixation à zéro de leur déficit public.

Certes les auteurs du pacte ont bien vu l’influence que les variations de l’environnement économique pouvaient avoir sur le déficit public. En effet, si la conjoncture extérieure d’un pays s’améliore, sa propre conjoncture s’améliorera et automatiquement ses dépenses d’intervention sociale diminueront, ses recettes fiscales augmenteront et par conséquent son déficit public diminuera. Inversement, si la conjoncture extérieure se détériore, le déficit public augmentera. C’est la raison pour laquelle, dans le pacte, ce n’est pas le déficit public courant qui doit être à peu près nul, mais le déficit public structurel qui est censé corriger le déficit courant des variations de la conjoncture. Malheureusement, la correction opérée par le déficit structurel est toujours imparfaite. En pratique, le déficit structurel suit, mais de manière atténuée, des variations semblables à celles du déficit courant. Ainsi en France, le déficit public courant est passé de  – 2,7 % en 2007 à  – 7,1 % en 2010, quand le déficit structurel est passé pendant le même temps de  – 0,9 % à – 3,0 % (source OCDE). On voit donc que si le pacte avait été en vigueur en 2010, la France aurait été contrainte de prendre de manière automatique des mesures visant à ramener le déficit structurel de  – 3,0 % à environ  0 %. Ainsi, au moment où la crise était à son paroxysme, la France aurait dû réduire ses dépenses et augmenter ses impôts. Si elle ne l’avait pas fait, elle aurait pu être poursuivie par un autre État européen devant la Cour de justice européenne qui aurait pu lui infliger une amende allant jusqu’à 0,1 % de son PIB. On retrouve donc ici ce qui était le défaut majeur du pacte de stabilité de 1997, c’est-à-dire l’obligation, au moment où l’économie se trouve en récession, de devoir prendre des mesures accentuant la récession pour pouvoir respecter le pacte.

Ce qui ne laisse alors que deux possibilités : soit respecter le pacte avec les conséquences négatives qui en découlent, soit, pour les éviter, le violer. C’est ce qui fut fait, en 2003, à l’initiative notamment de l’Allemagne qui jugeait, à juste titre d’ailleurs, que cette violation était nécessaire à l’amélioration de la situation de son économie.

Le second défaut majeur du pacte est qu’il ne repose sur aucune justification économique sérieuse. Aucun raisonnement économique ne permet de démontrer qu’un pays doit avoir un déficit structurel approximativement nul. Cette obligation revient à interdire à l’État de financer par l’emprunt des investissements qu’il jugerait utile au pays, par exemple dans l’énergie ou dans les secteurs d’avenir. Le pacte budgétaire est donc inacceptable pour la France à moins que l’État renonce à toute politique d’investissement ambitieuse. À cet égard, en dépit des critiques que l’on peut adresser à la notion de solde structurel, la règle que David Cameron se propose de suivre en Grande-Bretagne, qui vise à annuler le déficit structurel hors dépenses d’investissement, apparaît beaucoup plus raisonnable que celle figurant dans le pacte budgétaire. Une autre règle peut également être légitimement adoptée : c’est celle que le président de la Réserve fédérale vient de proposer devant le Congrès, qui consiste à stabiliser, puis à diminuer graduellement la dette publique par rapport au PIB. En vérité, la règle exagérément rigoureuse du pacte budgétaire n’a pas d’autre justification que le souci de l’Allemagne de payer le moins possible pour sauvegarder l’euro dont elle est pourtant la principale bénéficiaire. 

Le troisième défaut majeur du pacte, c’est qu’il sèmera la discorde entre les peuples européens. Cette discorde résultera de l’absence de détermination incontestable du solde structurel. Cette détermination dépend de la méthode adoptée. Et le choix de cette méthode est arbitraire. Il y aura donc un risque permanent de contestation devant la Cour européenne de la valeur retenue pour le solde structurel.

Cette contestation sera d’autant plus vive que les États pourront être condamnés à payer des amendes si le déficit structurel s’éloigne de zéro. Qui ne voit qu’il est dangereux de confier à des juges la gouvernance budgétaire des nations européennes ?

Le quatrième défaut majeur du pacte, c’est qu’il empêchera l’Europe de sortir de la crise dont elle est prisonnière. En effet, le pacte obligera plusieurs pays de la zone euro, dont la France et l’Espagne, à adopter des politiques budgétaires très restrictives au moment où leur politique budgétaire devrait au contraire soutenir la croissance.

Pourquoi les pays de la zone euro devraient-ils adopter des politiques budgétaires beaucoup plus rigoureuses que celles adoptées par les États-Unis ou la Grande-Bretagne alors que leur situation budgétaire est bien meilleure et leur situation économique au contraire bien pire ? Ainsi, en 2011, le déficit structurel de la zone euro était égal à – 0,3 % du PIB, mais ceux des États-Unis et de la Grande Bretagne étaient respectivement égaux à  – 6,0 % et – 4,7 % Quant au chômage, il n’a jamais été aussi élevé dans la zone euro à 10,4 % de la population active contre 8,5 % aux États-Unis et 8,4 % en Grande-Bretagne.

Dans ces conditions, il est parfaitement injustifié que les pays de la zone euro soient contraints de fixer à zéro leur déficit structurel quand les États-Unis cherchent seulement à stabliser leur dette publique et la Grande-Bretagne à annuler son déficit structurel hors investissement public.

En définitive, adopter le pacte budgétaire, c’est condamner l’Europe à la discorde et à la stagnation. C’est aussi mettre fin à la souveraineté budgétaire de notre pays. Déjà, le traité de Maastricht, repris par celui de Lisbonne que l’on n’a pas osé soumettre à l’approbation du peuple, a supprimé la souveraineté monétaire. Le président de la République qui signerait le pacte budgétaire consentirait donc à l’abandon total de la souveraineté de la France. 

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