L’Allemagne de Sarkozy, un pays imaginaire

02 février 2012 | Par Mathieu Magnaudeix (médiapart)

clip_image002L’obsession allemande de Nicolas Sarkozy est née vers le printemps 2009. Auparavant, le chef de l’Etat n’en parlait guère. Mais avec la crise, la référence à l’Allemagne, première économie d’Europe dont les performances macro-économiques sont en effet enviables (à commencer par son excédent commercial), est devenue obsessionnelle.

 

Dimanche dernier, le chef de l’Etat a prononcé le mot « Allemagne » à de multiples reprises. « Il ne s’agit pas de tout faire comme les Allemands (…) mais c’est quand même le meilleur exemple économique d’Europe », affirmait le chef de l’Etat en novembre 2010 lors d’un entretien à l’Elysée. Comme le montre un examen des discours et interventions télévisées du chef de l’Etat durant son quinquennat réalisé par Mediapart, Nicolas Sarkozy a bien souvent justifié ses choix en affirmant que l’Allemagne avait fait la même chose auparavant. Et bien souvent, c’était faux, ou au minimum imprécis.

Pendant ces cinq années, inlassablement, Nicolas Sarkozy a raconté une fable allemande. Un conte de fées économique. Il a inventé des statistiques, multiplié raccourcis et omissions, attribué par erreur des mesures à l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder pour mieux tancer les socialistes français, invoqué à tout bout de champ « Madame Merkel » pour justifier ses réformes. A contrario, le chef de l’Etat n’a pas hésité à taper sur l’Allemagne quand la comparaison le servait politiquement – pour noter l’atonie démographique allemande ou critiquer le choix de renoncer au nucléaire.

Bouclier fiscal, impôts, coût du travail, retraites… : voici comment Nicolas Sarkozy a tenté de vendre aux Français un «modèle» pas si exemplaire.

Le faux bouclier fiscal

Ce mensonge-là a duré un an et demi. Nicolas Sarkozy a toujours prétendu que l’Allemagne disposait d’un bouclier fiscal assurant aux contribuables de ne pas être imposés à plus de 50 %, comme celui instauré en 2007. C’était faux. Première salve à Bruxelles, le 20 mars 2009 :

« Ils [Les Allemands] ont le bouclier fiscal, ils l’ont depuis 25 ans, il n’y a pas une formation politique qui en demande la suppression, pas une. »

Rebelote quelques jours plus tard, à Saint-Quentin (Aisne) : « Ne pas prendre par l’impôt direct plus de 50 % du revenu d’un ménage, c’est un principe de liberté, de liberté. C’est un principe qui est en Allemagne inscrit dans la Constitution – nos amis allemands, principaux concurrents, principaux partenaires, notre grand voisin. (…) Les Allemands y sont tellement attachés qu’ils l’ont inscrit dans la Constitution. » « Il ne viendrait naturellement à l’idée d’aucun membre de la CDU [le parti chrétien-démocrate de la chancelière Angela Merkel, ndlr] de revenir sur cet engagement, mais – plus intéressant – d’aucun socialiste allemand non plus. »

Le chef de l’Etat remet le couvert à Nîmes, le 5 mai. Et à nouveau, le 14 décembre 2009, lors d’une conférence de presse sur le grand emprunt :

« L’Allemagne a un bouclier fiscal et le bouclier fiscal est inscrit dans la Constitution. »

Dès mars 2009, Mediapart explique pourtant que l’Allemagne n’a jamais eu de bouclier fiscal. En 1995, les juges constitutionnels de Karlsruhe avaient bien indiqué qu’un contribuable ne devait pas verser au total plus d’« environ la moitié » de ses revenus au fisc au nom du respect de la propriété privée. Mais la décision est restée sans effet dans le droit, et elle a été cassée en 2006.

D’autres médias embraient (Le Monde, Libération). Mais Nicolas Sarkozy persiste. Face à David Pujadas, le 12 juillet 2010, il se lance dans une démonstration passionnée : « Le bouclier fiscal existe en Allemagne depuis plus de 20 ans », dit-il. Passionnée, mais d’abord destinée à défendre sa politique – «moi je me suis dit : « je crois en l’Europe, la France est en concurrence avec l’Allemagne, je vais donc faire la même chose en qu’Allemagne en France ». »

« Les socialistes allemands ont été au pouvoir huit ans dans les années 90, ils n’y ont pas touché », affirme le chef de l’Etat. De fait, ils n’ont pas pu y toucher… car il n’existait pas. D’ailleurs, les sociaux-démocrates allemands ont gouverné le pays de 1998 à 2005, et pas « huit ans dans les années 90 ».

Le 16 novembre 2010, lors d’un entretien avec Claire Chazal, David Pujadas et Michel Denisot, Nicolas Sarkozy commence à admettre la réalité. Mais à moitié seulement ! D’après le chef de l’Etat, «l’Allemagne avait un bouclier fiscal» mais elle l’a « supprimé » « quand elle a supprimé son impôt sur la fortune ». Suppression attribuée, une fois de plus, aux « socialistes allemands ». Or l’impôt sur la fortune a été supprimé en Allemagne en 1997, sous le gouvernement du conservateur Helmut Kohl.

Rendue visible par les chèques du fisc à Liliane Bettencourt, la réalité du bouclier fiscal devient un boulet politique. Nicolas Sarkozy opère alors une jolie volte-face rhétorique : pour justifier sa politique – abandon du bouclier fiscal en 2011, mais allègement parallèle de l’impôt sur la fortune (ISF) –, il se met à insister sur cette absence d’ISF en Allemagne, en ressortant sa rengaine frelatée des « socialistes allemands » :

« Nous sommes le dernier pays d’Europe à avoir un impôt sur la fortune. Les socialistes allemands comme les socialistes espagnols l’avaient supprimé» (« Face à la crise », 27 octobre 2011).

L’impôt sur la fortune (qui consiste à imposer le patrimoine) est en effet une exception en Europe. Reste qu’en Allemagne, et Nicolas Sarkozy se garde bien de le dire, les hauts revenus sont plus taxés qu’en France : selon la Cour des comptes, la France a baissé son taux marginal supérieur d’impôt sur le revenu de 48 % à 40 % en 2006 – il a été relevé à 41 % lors de la réforme des retraites. En Allemagne, les hauts revenus sont taxés à plus de 47 %.

Depuis, des ministres ont reconnu que le bouclier fiscal allemand n’existe pas. Christine Lagarde a même utilisé l’argument pour justifier l’urgence… de sa suppression en France, au nom de la nécessaire « convergence » fiscale avec l’Allemagne ! Le pays de « Mme Merkel » a vraiment bon dos.

Mais au contraire de ses ministres, Nicolas Sarkozy, lui, n’a jamais reconnu que le bouclier fiscal n’a jamais existé en Allemagne. « En supprimant l’impôt sur le patrimoine, les Allemands ont supprimé le bouclier fiscal », continuait-il à asséner le 13 janvier 2011.

Deux mois plus tard, la Cour des comptes insistait : « De fait, n’a donc jamais été appliqué, en pratique, un quelconque principe de « bouclier fiscal » en Allemagne. »

L’Allemagne, paradis fiscal ?

clip_image004Augmenter la TVA «serait injuste». 27 octobre 2011

Nicolas Sarkozy dit régulièrement que nos prélèvements obligatoires (impôts + cotisations sociales) sont « les plus élevés du monde » ou « d’Europe ». Dans les deux cas, c’est faux. A 42,9 % selon l’OCDE, la charge fiscale est d’un niveau élevé (en raison du poids de la protection sociale), mais moindre qu’en Belgique, Suède, Danemark et Italie.

« Nos prélèvements obligatoires sont déjà parmi les plus élevés d’Europe : 43,6 % du PIB en 2007, soit 7 points de plus que l’Allemagne et 9 points de plus qu’en 1970. » Cette phrase de Nicolas Sarkozy, prononcée en 2010, est juste si l’on prend les chiffres de l’OCDE. Mais, depuis, la Cour des comptes a rendu un travail exhaustif sur la comparaison fiscale France-Allemagne, qui revoit à la hausse le taux de prélèvements obligatoires outre-Rhin, à plus de 39 % (cliquer ici, format pdf).

En revanche, quand le président de la République décrit l’Allemagne comme une sorte de paradis fiscal pour les entreprises, il se trompe :

« J’aimerais qu’on m’explique comment on peut augmenter les impôts sur les entreprises et continuer à vendre des avions comme vous y arrivez. Ou comment on peut continuer à augmenter les impôts sur les entreprises, huit points de plus que les Allemands et préserver le pouvoir d’achat.» (Vœux aux forces économiques, 13 janvier 2011.)

Selon la Cour des comptes, le niveau de taxation effectif des bénéfices des sociétés est en réalité assez proche : 34,43 % en France contre 30,95 % en Allemagne, soit une différence de 3,48 points. A cause des possibilités nombreuses d’optimisation fiscale, les grandes entreprises françaises paient en outre très peu, voire pas du tout d’impôt sur les sociétés, tandis qu’en Allemagne, dans leur écrasante majorité, les entreprises (82 %) sont imposées par le biais de l’impôt sur le revenu.

En France, les entreprises bénéficient chaque année de 30 milliards d’euros d’exonérations de charges sociales sur les bas salaires, tandis que ces exonérations sont quasi inexistantes en Allemagne. « Une priorité a effectivement été donnée en Allemagne à l’objectif de compétitivité des entreprises, qui s’est traduit par une baisse des prélèvements », explique la Cour des comptes. Mais elle rappelle surtout que la France comme l’Allemagne ayant des impôts élevés, la fiscalité des entreprises n’est pas un élément décisif pour leur « attractivité » et leur « compétitivité » – cette dernière repose surtout sur un bon réseau de financement, des produits de pointe, une recherche-développement performante. Autant d’atouts des PME allemandes, qui délocalisent aussi souvent une partie de la production dans les pays d’Europe de l’Est, ce qui baisse les coûts de production.

Les interventions du chef de l’Etat sont également truffées de références au taux de TVA en Allemagne. Au début du mandat, quand il s’agissait de défendre la baisse de la TVA dans la restauration en France, Nicolas Sarkozy est allé jusqu’à inventer une fausse baisse de la TVA sur la restauration outre-Rhin.

Le 14 décembre 2009, quand une journaliste de Paris-Match lui demande s’il ne considère pas la baisse de la TVA en France comme un « échec », il répond sur un ton véhément :

« Si c’est un tel échec, je pose la question de savoir pourquoi Mme Merkel, à la tête de la première économie d’Europe, vient de décider de baisser la TVA sur la restauration à 7 %. Mme Merkel est quelqu’un de sensé, quelqu’un qui réfléchit. Pourquoi a-t-elle décidé de faire la même chose ? Essayez d’élargir votre réflexion aux autres. Non seulement cette décision qu’a prise la France n’est pas combattue par les autres, mais dans son programme Mme Merkel a dit : « une des premières décisions économiques que je vais prendre, c’est de baisser la TVA sur la restauration en Allemagne ». C’est donc que cette mesure demande une autre appréciation. »

En fait, Angela Merkel n’a jamais baissé la TVA dans les restaurants, mais sur les seules nuitées dans les hôtels, auberges ou campings. Elle est toujours à 19 % dans les restaurants, selon ce document officiel de la Commission européenne.

A l’inverse, le chef de l’Etat a invoqué l’exemple allemand pour justifier cette fois une hausse de la TVA au 1er octobre 2012 – si toutefois il est réélu. Ce fut le cas dimanche dernier, quand il a annoncé une hausse de 19,6 à 21,2 % :

« En Allemagne, ils n’ont eu aucune augmentation des prix. La concurrence est telle que le risque d’inflation n’existe pas. »

Faux, encore une fois. L’Allemagne a fait passer au 1er janvier 2007 son taux de TVA de 16 % à 19 %, mesure faussement attribuée par Nicolas Sarkozy à Gerhard Schröder alors qu’elle a été décidée par la grande coalition conservateurs-SPD qui a dirigé le pays de 2005 à 2009. Et les prix ont bien augmenté. « Une grande partie de cette augmentation de la TVA a été répercutée dans les prix », selon une étude de la Bundesbank citée par la Cour des comptes.

À plusieurs reprises, Nicolas Sarkozy a affirmé qu’il voulait « des taux de TVA harmonisés » entre la France et l’Allemagne (par exemple, le 27 octobre 2011, face à Jean-Pierre Pernaut et Yves Calvi). En fait, la convergence existe déjà : la TVA est à peu près égale en France et en Allemagne et représente 7 % du PIB dans les deux pays.

« Règle d’or », l’envers du décor

« Nos amis allemands ont ainsi pris l’engagement de ramener leur déficit à 0 en 2016 si les conditions économiques sont normales. Cette règle en Allemagne est même inscrite dans la Constitution » (14 décembre 2009).

Nicolas Sarkozy a fustigé la hausse de la dépense publique française, et célébré par contraste la réduction des déficits en Allemagne et l’adoption d’une « règle d’or ». En fait, le « Schuldenbremse » allemand (« frein à l’endettement ») ne s’appliquera qu’en 2016 au niveau fédéral, et en 2020 dans les Etats régionaux (sauf catastrophe naturelle… ou récession). Il ne prévoit pas exactement un retour à 0% du déficit, mais prône un seuil maximum d’emprunt de l’Etat fédéral de 0,35 % du PIB.

De 1996 à 2008, l’Allemagne a drastiquement réduit ses dépenses publiques, s’infligeant une véritable cure d’austérité post-réunification. Le déficit budgétaire fédéral est aujourd’hui inférieur à 1 %. « Alors qu’en 1996 la dépense publique par tête était d’un niveau égal de part et d’autre du Rhin, elle était devenue en 2008 de 16 % supérieure en France et l’écart en termes de dépenses publiques en part de PIB a atteint 10 points de pourcentage », explique l’économiste Arnaud Lechevalier, qui a consacré sur son blog plusieurs billets à ce sujet. Une rigueur qualifiée d’« exceptionnelle » par l’économiste, tandis que l’évolution des dépenses publiques en France progressait selon la moyenne de l’Union européenne.

Un modèle ? Pas vraiment. La réduction des dépenses publiques s’est faite au détriment de la solidarité (les minima sociaux ont été baissés), et de l’investissement des communes et des Etats régionaux dans l’éducation, les infrastructures et équipements collectifs (bibliothèques, piscines, services sociaux).

Quand il s’agit d’expliquer le décrochage de la France par rapport à l’Allemagne ces dernières années, Nicolas Sarkozy a une bête noire toute trouvée : les 35 heures.

« Le jour où il y a eu les 35 heures en France, les syndicats allemands se sont réjouis, se sont réunis, ont dit : ah enfin une bonne nouvelle pour l’Allemagne», a-t-il raconté dimanche soir.

« Nous payons toujours le prix d’erreurs qui ont sapé durablement notre compétitivité : alors que l’Allemagne se réformait, la France a été le seul pays au monde à mettre en place les 35 heures, comme si on pouvait avoir plus de croissance en travaillant moins» (17 novembre 2011).

« Quand vous pensez ici que la France a perdu 30 % de compétitivité par rapport à l’Allemagne depuis 2000 ! Qu’est-ce qui s’est passé en 2000 ? Les 35 heures. Comment voulez-vous que notre pays soit compétitif si on explique aux gens qu’ils travailleront moins et gagneront autant ? À l’arrivée, cela conduit à quoi ? À des discussions sur les salaires qui n’existent plus et à la délocalisation de nos entreprises chez nos voisins. Cette réalité-là, nous ne pouvons pas l’accepter. Nous ne pouvons pas l’accepter parce qu’elle mortelle» (Vesoul, 15 janvier 2009).

Ces remarques n’ont guère de sens. En Allemagne, la réduction du temps de travail est une très longue histoire, mais – et là réside la différence avec la France – elle a été négociée dans les branches professionnelles et non par la loi. «Le processus de réduction collective du temps de travail a été initié en 1984 par des accords importants signés dans les secteurs de la métallurgie et de l’imprimerie. Bon nombre d’accords prévoyant un passage de 40 à 38 ou 35 heures hebdomadaires ont ensuite été signés entre 1984 et 1990, avec des réductions du temps de travail négociées au cas par cas», rappelle l’OCDE.

Par ailleurs, selon l’institut COE-Rexecode, pourtant proche du patronat, la réduction du temps de travail a été relativement bien plus importante en Allemagne : le volume total d’heures travaillées a baissé de 5 % en Allemagne entre 1999 et 2010. Contre seulement 1 % en France sur la même période ! Le nombre de créations d’emplois en France a même été le double de celui de l’Allemagne entre 1999 et 2010 (+14% contre +7%). Le PIB a crû de 16 % sur la même période, contre 13 % en Allemagne.

« En moyenne, la croissance annuelle française entre 2000 et 2010 s’établit à 1,5 %, contre 1,1 % en Allemagne», rappelle la Cour des comptes. C’est la conséquence de la très grande austérité allemande pendant toutes ces années, qui s’est accompagnée d’une compression des salaires et d’une consommation atone, dans le seul et unique but de gagner des parts de marché à l’exportation. Une stratégie offensive, pas franchement reproductible en Europe, car l’Allemagne a surtout exporté massivement… vers ses voisins de l’Union européenne. Mais qui garantit aujourd’hui à l’Allemagne un commerce extérieur florissant et, depuis 2006, une croissance plus soutenue.

De plus en plus de précaires

« Le coût du travail a augmenté en France plus rapidement qu’en Allemagne sur les quinze dernières années. N’allez pas chercher ailleurs les bons résultats de l’Allemagne et les difficultés de la France», expliquait Nicolas Sarkozy le 15 novembre 2011, lors d’un déplacement à Bordeaux sur la lutte contre les fraudes.

C’est d’ailleurs au nom de l’impératif de réduction du coût du travail que Nicolas Sarkozy a justifié dimanche dernier la réduction des charges patronales en contrepartie de la hausse de la TVA. Mais là encore, ce que dit le chef de l’Etat est très contestable, en particulier lorsqu’il assène : « Les charges des salariés français sont deux fois plus élevées que celles des salariés allemands». En réalité, selon la Cour des comptes, le taux d’imposition du travail salarié en France était de 41,4 % en 2008, contre 39,2 % en Allemagne. On est loin des fourchettes citées par le chef de l’Etat.

En revanche, les cotisations patronales sont en effet moindres en Allemagne (et parfois de moitié), mais c’est parce que la structure des cotisations sociales n’est pas la même : organisation historique du financement de la protection sociale oblige, les cotisations sociales sont payées à égalité par les salariés et les employeurs en Allemagne, alors qu’elles sont financées aux deux tiers par les employeurs en France.

Cela dit, les employeurs bénéficient en échange de davantage d’exonérations sociales en France, si bien que le niveau de charges est quasiment nul au niveau du Smic (ce qui n’encourage pas la progression des salaires !). Au total, le rapport entre les prélèvements sociaux et le coût global pour l’employeur est sensiblement le même, selon la Cour des comptes.

Reste que les coûts salariaux ont progressé en France ces dernières années (comme ailleurs en Europe), alors qu’ils diminuaient en Allemagne. « La progression des coûts salariaux unitaires de l’industrie française a été supérieure de 10 points à celle de l’industrie allemande sur la période 2000-2008 », rappelle la Cour des comptes. Mais la baisse des charges patronales en Allemagne, du fait notamment de l’introduction de la TVA sociale en 2007, n’est pas l’explication principale. « Cet écart tient pour plus de 80 % à la modération salariale qui a caractérisé l’économie allemande sur cette période et qui a été exceptionnelle en Europe. » Ne pouvant pas dévaluer sa monnaie, l’Allemagne a en fait opéré une sorte de dévaluation fiscale en abaissant le coût du travail, via le gel des salaires et la réduction des charges sociales. Selon Arnaud Lechevalier, le coût réel du travail allemand a ainsi retrouvé en 2008 un niveau inférieur à 1995.

Dans Alternatives économiques, le chercheur dresse un constat catégorique : « L’évolution récente de l’Allemagne ne ressemble pas à une success story à copier d’urgence. » Car sous le gouvernement Schröder, les réformes du marché du travail ont créé un marché du travail à deux vitesses, précarisant des millions d’Allemands.

Certes, le chômage est très bas et ne cesse de baisser. Il s’élève à environ 6 % de la population active – soit 3 millions de chômeurs, contre 10 % en France. Mais un emploi sur trois n’est ni à temps plein ni à durée indéterminée. Un emploi sur dix est un minijob, ces emplois à moins de 400 euros par mois, non assujettis aux cotisations sociales salariées. Quelque sept millions d’Allemands occupent des minijobs, qui existaient déjà, mais qui ont explosé fin 2002. Ces minijobs parfois cumulés avec d’autres emplois sont exonérés de cotisations sociales, mais cela va de pair avec une couverture sociale réduite.

Les emplois faiblement rémunérés ont progressé de six points sur les dix dernières années : un million d’Allemands travaillent pour moins de 5 euros de l’heure, 3 millions et demi moins de 7 euros. L’Allemagne n’a pas de salaire minimal national, seulement des minima de branche. Mais les accords garantissent des salaires parfois très bas, et 50 % des salariés échappent à toute convention collective, signe d’une érosion de la tradition de dialogue social outre-Rhin.

Conséquence de cette politique : selon la Cour des comptes, « les inégalités de revenus se sont récemment creusées », davantage qu’en France, et le taux de pauvreté a notablement progressé entre 2000 et 2009, alors qu’il a un peu baissé en France. Une face cachée du « nouveau miracle allemand » que Nicolas Sarkozy n’évoque jamais.

Les « Pactes pour l’emploi »

Dimanche dernier, Nicolas Sarkozy a exigé l’ouverture d’une discussion entre syndicats et patronats sur les « accords compétitivité-emploi ». Entreprise par entreprise, à condition d’obtenir l’accord de syndicats représentant 30 % des voix aux élections professionnelles, le temps de travail pourrait être revu à la baisse, le salaire aussi.

Malgré la demande présidentielle d’aboutir sous deux mois, il ne se passera sans doute rien sur ce sujet avant le scrutin d’avril. Il s’agirait en effet d’une transformation profonde du droit du travail. Les « accords compétitivité-emploi » se veulent le décalque des « pactes pour l’emploi » allemands, « choisis à la demande du Premier ministre socialiste Schröder, il y a plus de dix ans », selon le chef de l’Etat (Lyon, 19 janvier 2012).

Rien de plus faux. Gerhard Schröder (encore lui !) n’a rien à voir là-dedans. Selon Adelhaid Hege et Christian Dufour, chercheurs à l’IRES (lire ici leur article), les « pactes pour l’emploi » se sont répandus « à partir du milieu des années 90 », dans les périodes difficiles mais aussi pour soutenir la compétitivité après la Réunification. Dès 1994, les salariés de Volkswagen consentent à des baisses de salaires en échange d’une garantie d’emploi – quatre ans avant que Gerhard Schröder ne devienne chancelier.

Les salariés ont souvent accepté des « sacrifices » lourds, comme la flexibilisation des horaires, la réduction des primes… – des efforts consentis aussi en France avec l’annualisation du travail rendue possible avec la loi sur les 35 heures.

Les représentants du personnel ont signé de tels deals en échange du maintien en Allemagne des savoir-faire et de la production, mais en exigeant aussi parfois un droit de regard sur les choix stratégiques de l’entreprise. Un donnant-donnant dans la lignée de la cogestion des relations sociales typique de l’Allemagne (même si ce modèle est aujourd’hui en crise). Combinés au chômage partiel, ces accords et cette pratique du dialogue ont permis de limiter la casse en emplois industriels pendant la crise.

Au contraire, la France a perdu 100.000 emplois industriels en trois ans et n’a pas assez recouru au chômage partiel. Mais les relations sociales sont si exécrables chez nous, les syndicats si faiblement représentés, que si les accords compétitivité-emploi y voyaient le jour dans quelques semaines, les salariés en paieraient certainement le prix fort, surtout dans les PME et les TPE.

D’ailleurs, si l’idée était tellement bonne, pourquoi Nicolas Sarkozy ne l’a-t-il pas proposée avant ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*