Les terminales S dispensés d’histoire mais gavés de Dukan ?

  • Jacques Sapir – chercheur et économiste

(Moritz Hager - Flickr - cc)Nicolas Sarkozy multiplie les références historiques. Pourtant, à la rentrée prochaine, les élèves de terminale S pourront être dispensés d’histoire et de géographie. Alors que le sport n’est pas optionnel, que Dukan fait du poids des élèves une condition de réussite au bac, et que la Journée défense et citoyenneté, qui n’est autre qu’une propagande de l’armée, est obligatoire, l’histoire de la France et du monde au XXème siècle est considérée comme secondaire. Un moyen d’effacer la colonisation, la Guerre Froide et la Vème République des esprits de demain ?

 

Notre président, flanqué de l’inénarrable Luc Chatel, ex-chef de produit à L’Oréal et ci-devant ministre de l’Éducation Nationale (ou de ce qu’il en reste), a ainsi décidé de commémorer le 600ème anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc. Ce soudain engouement pour l’histoire nous toucherait plus s’il ne venait couronner deux ans de mauvais coups ayant abouti à une dégradation sans précédent de l’enseignement de cette discipline. Car, l’histoire pour notre président n’a d’utilité qu’instrumentale. Son subit engouement pour les lois mémorielles, même mis au service d’une cause juste – la mémoire du génocide des Arméniens en 1915 – est là pour nous le prouver.
Veut-il donc que nous reprenions tous en coeur la célèbre chanson, Au Lycée Papillon, de Georgius et Juel (1) :
« Vercingétorix né sous Louis-Philippe
Battit les Chinois un soir à Ronc’vaux
C’est lui qui lança la mode des slips
Et mourut pour ça sur un échafaud… » ?

Un enseignement élitiste

La réalité est tout autre. À la rentrée 2012, en effet, les élèves de terminale scientifique, qui représentent 50 % des élèves des sections générales, n’auront plus d’enseignement obligatoire d’histoire et de géographie. Je m’étais élevé en décembre 2009, dans les colonnes de Marianne, contre cette réforme, indiquant bien ses conséquences funestes. Nous savons aujourd’hui que l’option de deux heures, arrachée au ministère par l’APHG (Association française des professeurs d’histoire géographie) ne sera pas mise en place dans tous les établissements. La logique des réductions de crédits conduira à la réserver à des lycées et surtout à ceux considérés comme « d’élites ». Ainsi, par rapport aux anciens programmes, un élève de terminale scientifique n’étudiera plus l’histoire de la Vème République. S’il ne peut prendre l’option dans son lycée, il n’étudiera plus ni les évènements ayant conduit à la situation actuelle au Moyen-Orient, ni l’histoire et la géographie des Etats-Unis au XXème siècle, ni l’Asie du Sud-Est en Géographie (soit le Japon, la Chine, la Corée…)… Excusez du peu !

Vite fait, mal fait

Mais ce n’est pas tout. Les programmes de toutes les premières des sections générales ont été bouleversés par la disparition de l’histoire et de la géographie en terminale S. On exige des professeurs et de leurs élèves de faire en une année ce qui se faisait en deux. Le résultat de cette aberration est que la chronologie disparaît, que l’on prétend enseigner la seconde guerre mondiale avant d’aborder le national-socialisme et Hitler. On va perdre l’attention des élèves dans ces programmes dits « thématiques » au moment où il est si important de les passionner pour les instruire. On oublie un peu vite que la maîtrise de la chronologie est un moment décisif dans la capacité à structurer les grands thèmes. La capacité d’un élève à se repérer dans le temps comme dans l’espace est un moment indispensable de sa formation.

La justification de cette mesure était supposée résider dans un souci de « rééquilibrage » entre la terminale S et les autres terminales. Bien faible prétexte en réalité ; les choix, des parents comme des élèves, ne sont nullement influencés par une telle suppression. En réalité, il faut y voir la volonté de quelques-uns de constituer une section S qui soit débarrassée de toutes scories rappelant les sciences humaines. C’est bien l’esprit critique que l’on attaque par cette réforme. La présence de l’histoire et de la géographie dans le « socle commun » en classes de premières ne saurait donc faire oublier les implications de leurs disparitions en terminale S.

Formater les esprits

Il est important de bien mesurer les conséquences de cette suppression en terminale S et de ces mutilations en premières. L’intelligence des événements historiques du XXème siècle, qui est cruciale pour la formation des citoyens futurs, disparaît. La mémoire des crises passées, si importante pour comprendre la crise actuelle et ses possibles conséquences, sera ainsi occultée. Comment jauger les politiques de déflation aujourd’hui menées si l’on ignore les conséquences de la politique de Ramsay Mac Donald en Grande-Bretagne, de Pierre Laval en France ou du Chancelier Brüning en Allemagne de 1930 à 1932 ?

On comprend la logique de cette réforme. Elle va accentuer la tendance à former des spécialistes dont la culture générale, en particulier en histoire et en géographie, sera limitée. Nous savons d’expérience combien cette culture générale est indispensable dans la vie sociale et politique. Ces futurs citoyens, dont les connaissances en histoire et en géographie auront été ainsi limitées, seront d’autant plus susceptibles d’accepter des décisions qu’ils en ignoreront les tenants et les aboutissants. En 2009, en réponse à mon article, un collègue de l’Université de Louvain m’écrivait ainsi : « si la science permet de construire des trains, seule l’histoire permet de savoir que certains vont à Auschwitz… ».

Sur un mode plus léger, que l’on me permette alors de citer le dernier couplet du Lycée Papillon :

« Oui, je suis l’dernier, je pass’ pour un cuistre

Mais j’m’en fous, je suis près du radiateur

E puis comm’ plus tard j’veux dev’nir ministre

Moins je s’rai calé, plus j’aurais d’valeur »

Est-ce donc cela que veulent notre président et son ministre ? Est-ce donc cet avenir qu’ils entendent réserver à la moitié des élèves de séries générales en terminales ?

On oublie trop, en effet, que la connaissance des événements historiques passés est une base essentielle pour la compréhension des problèmes d’aujourd’hui et pour la définition des politiques qu’il faudra mettre en place demain.

C’est donc dans cette situation, à un moment crucial, que l’APHG organise le 28 janvier des « États Généraux de l’Histoire et de la Géographie pour refonder l’école et la citoyenneté républicaines » (2).

Cette initiative sera un point fort d’une mobilisation qui se développe déjà mais qui doit absolument se renforcer. Les enjeux ici dépassent, et de très loin, les seules deux disciplines en cause. Il convient que tous, nous exprimions à travers différentes formes d’action dans les semaines à venir notre inquiétude et notre incompréhension devant ces mesures.

(1) Que l’on pourra écouter dans son intégralité à l’adresse suivante : http://www.bide-et-musique.com/song/7882.html
(2) Voir sur le site de cette association : www.aphg.fr

5 commentaires sur Les terminales S dispensés d’histoire mais gavés de Dukan ?

  1. Cela fait longtemps que l’histoire n’est plus en résonance avec les élèves et on peut les comprendre
    Manque de rigueur, refus de réfléchir, catéchisme républicain ou marxiste souvent mensonger Bref nous avons fait d e l’histoire le chien de garde d’un régime. alors que nous somme hantés par l’enfant du Temple! ( et que nous refoulons donc l’horreur de la fondation de notre régime ! ) Aujourd’hui plus personne n’y croit en profondeur malgré les gesticulations On peut supprimer la culture générale à Science -po, culture générale qui est le patrimoine des pauvres, sans faire « hennir les constellations » et laisser le capitaine calamiteux à Science-Po benoîtement à son poste au lieu de le virer avec perte et fracas.
    . Peut-on revenir à l’histoire, en dehors de l’école des Chartes, dans le cadre l’Ecole publique? Oui au niveau de certains professeurs inspirés parce qu’ils y croient et sont souvent en marge du système qui nous gouverne, qui déborde les programmes scandaleux, non si on fait confiance à ce système, (l’école de la république ) qui fait eau de tout part ; bref il faut mettre à plat l’école de la république. Bon courage
    Comment expliquer qu’ ‘en 1960 mes manuels me vantaient le développement économiques des pays socialistes alors que le communisme a dans ce domaine plutôt été calamiteux dans bien des domaines et que les chiffres avancés se sont révélés sans signification.
    Après faut-il s’étonner que les pays du Tiers monde se soient engagés ans de ruineuses expériences marxistes au lieu d’une coopération bien pensée et des greffes fructueuses. .
    L’histoire ne s’enseigne pas, elle s’assume et nous fait vibrer pour une reviviscence, comme de Gaulle ou Marie-Notre grande poétesse nous l’ont appris. Il n’ya pas opposition entre l’histoire ie et l’action, bien au contraire, elle est une perpétuelle leçon de courage dans ce domaine. Courage de Charrette, de « La Rose Blanche » en Allemagne , et de bien d’autres de Jeanne à nos résistants
    Tout le reste est mauvaise langue de bois. Avoir foi à son histoire, c’est savoir qu’elle n’est pas finie et qu’il dépend de nous de la reprendre, qu’il faut la regarder en face dans sa complexité qui échappe aux cuistres, bref reprendre Jean-Claude Michéa allié à la tradition qui fait vivre.

  2. Bravo, cher Jacques Sapir !
    Hélas, ce n’est pas l’insignifiant M. Chatel qui dirige le ministère de l’Education nationale, mais c’est le « Nouvel Ordre Mondial » dans sa déclinaison française, avec ses gnomes partout postés, et notamment là où tout s’élabore de l’avenir de notre pays. Faire des adolescents ignorants de l’Histoire de leur pays, incultes, voilà bien l’objectif de ces malfaisants, à l’UMP ou au PS, peu importe, l’essentiel étant pour eux de déconstruire l’idée de nation.
    Mais qui sait ? il se pourrait qu’en avril prochain la voix du peuple soudain surgie des tréfonds du pays leur donne du fil à retordre…
    JK

  3. Une fois n’est pas coutume, je suis en profond désaccord avec ce texte et cela pour plusieurs raisons. La première réside dans le fait que les cours d’histoire à l’école sont bien trop orientés et visent davantage à inculquer aux élèves un catéchisme bien discutable sur l’histoire qu’une vision objective.
    La deuxième est que l’histoire et la géographie devraient déboucher sur la géopolitique, c’est leur ultime vocation. Or, cela ne se fait jamais d’une part et si l’on regarde le niveau de nos élites en la matière, on se dit que même ceux qui ont fait des études supérieures et ont eu des cursus centrés sur l’histoire et la géographie, ne sont pas mieux armés que ceux qui n’ont pas fait de telles études. Nous avons hélas, de récents et nombreux exemples qui s’appellent Afghanistan, Tunisie, Libye, et nous ne serons bien entendu pas exhaustifs.
    La troisième raison, et je m’en arrêterai là pour faire court, c’est que l’histoire ne ressert jamais deux fois le même plat. Connaître ce qu’a fait Mac Donald, Laval & Co dans les années post dépression de 1929 ne sert pas à grand chose tant la situation aujourd’hui est différente: mondialisation, financiarisation, rapport masse monétaire mondiale sur PIB mondial supérieur à 20, les banquiers sont des fabricants de fausse monnaie (cf Maurice Allais), etc. Hélas, peut-être, l’histoire ne nous apprend rien sur ce que nous devons faire sinon que nos prédécesseurs, en d’autres circonstances ont failli. Par ailleurs, il faudrait, pour un élève de terminale S, pour pouvoir apprécié l’action des personnalités citées plus haut, comprendre les mécanismes élémentaires de la finance. ce n’est bien entendu pas le cas, car il n’y a pas d’économie au BAC S. Aujourd’hui, même, un élève de terminale S ne sait pas ce qu’est un prix d’achat, un prix de vente, un bénéfice; il ne l’a jamais vu dans aucun programme de son cursus scolaire. Il y a plus urgent que l’histoire et la géographie…

  4. Au risque de paraître paranoïaque, je pense que cette diminution des heures d’histoire et de géographie a une origine plus ancienne. Il me paraît raisonnable de supposer que, globalement depuis 1968, la désorganisation de l’enseignement de ces matières a été organisée sciemment par des gouvernements successifs et mise en place par des administratifs non représentatifs dont le but caché était la formations d’ilotes, déconnectés de leurs racines et, par conséquent, incapables de réflexions susceptibles de leur permettre de comprendre les évènements actuels et de voter comme des homme libres à toutes les échéances électorales. Comme il faut bien remarquer que la présentation de la littérature française a également très fortement diminué depuis les années 70-80, on ne peut que s’interroger sur les buts poursuivis : former de bons européens, faire oublier toute référence au génie de la nation, faire même que la notion de nation soit édulcorée jusqu’au point où il ne sera même plus nécessaire de l’évoquer. Après cela, comment s’étonner de l’avalanche des lois mémorielles, quelles qu’elles soient (Shoah, colonisation, Arménie), privilégiant l’émotion à la réflexion, à la liberté, à la culture ?

  5. ces (réformes) sont justes, à leur yeux, des économies; matière ou je n’étais pas maitre; avant de me plonger dans l’histoire car il n’y à pas de présent sans passé, il n’y pas de vision, perception d’évolution d’un futur sans être nourri de l’evolution de l’être et son passé dans les subdivisions de doctrines, la gouvernance étatique à soumission européenne budgétaire et destruction, apauvrisement de l’enseignement d’ordre général, est leurs solutions pour que les classes populaires, moyennes, n’accédent au postes de leurs monopoles, controle des pouvoirs étatiques et civil ect……………..

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