Conférence de presse du 14 janvier 1963

publishableAu cours de cette conférence de presse, le général de Gaulle trace les perspectives de l’action de la France : aménagement du territoire, vie politique intérieure, mais aussi la construction européenne, la place de la France dans le monde, sa diplomatie et sa défense indépendante. Il y développe tous ces points, avec une vision à long terme que l’histoire des cinquante dernières années validera.

La politique intérieure.

Il revient sur la réforme constitutionnelle qui a instauré l’élection au suffrage universel du Président de la République Française

« En décidant que le Chef de l’État sera élu au suffrage universel, en approuvant, après quatre ans d’expérience, la façon dont sont exercées les attributions du Président de la République, en consacrant le principe et les conditions d’emploi du référendum, tout le monde pense que notre pays a tranché les controverses qui s’étaient présentées en ce qui concerne le caractère, le sens, la portée, de la réforme constitutionnelle que nous avons accomplie. » commence Charles de Gaulle en guise d’introduction.

Puis le Général rappelle l’importance du rôle de l’Etat…

« Il est banal de constater que l’évolution actuelle rend toujours et de plus en plus essentiel le rôle de l’État et il n’y a pas d’activité nationale qui, dès a présent, puisse s’exercer sans son consentement, souvent sans son intervention, et parfois sans sa direction ».

Et la nécessité « d’avoir au sommet une autorité permanente qui soit en mesure d’assumer le destin et, le cas échéant, de prendre instantanément des décisions d’une immense portée. Ce sont ces conditions qui ont exclu dorénavant l’ancien système des partis, instables, incertain, inconstant, et ce sont ces mêmes conditions qui ont porté le pays, dans son instinct et dans sa raison, à répondre comme il l’a fait, d’abord en confirmant encore une fois les institutions nouvelles, puis en choisissant ses députés. »

Il brocarde les partis politiques, et montre ainsi sa détermination à sortir définitivement d’une IVe République que certains groupements voudraient rétablir, maintenant que l’affaire algérienne est réglée par le général de Gaulle.

« Il ne faut pas s’attendre, bien sûr, à ce que les professionnels de la nostalgie, du dénigrement, de l’aigreur, renoncent, tout au moins pour le moment, à suer le fiel, à cracher la bile et à lâcher le vinaigre. Seulement, c’est un fait que le jeu de naguère, celui des continuelles intrigues, combinaisons, chutes, élévations, qui était pratiqué par les spécialistes, ce jeu-là ne peut pas reprendre. La simple application des dispositions de la Constitution s’y oppose et, s’il le fallait, le recours au jugement du pays serait là pour l’empêcher. »

Contrairement à ce que ses ennemis de toujours veulent faire croire, le Général s’intéresse aussi à la vie quotidienne des Français.

« Cette transformation touche aussi à la vie collective dont il faut s’efforcer qu’elle soit de plus en plus aisée et de plus en plus féconde, et cela pour les familles, pour les villes, pour les campagnes, pour les professions : d’où la nécessité de ces investissements sociaux qui s’appellent l’Éducation, le Logement, l’Hospitalisation, l’Équipement urbain, agricole, sportif. Transformation qui embrasse l’ensemble de la nation ; soit par l’aménagement de son activité et de son administration sur son propre territoire ; soit par le resserrement de ses rapports avec les autres États, en particulier avec ses voisins, puis avec ceux qui sont portés par leurs besoins ou par leurs tendances à coopérer de préférence avec elle. »

Il prêche donc pour une coopération entre Etats européens, position structurante de la pensée gaulliste pour ce qui concerne la construction européenne.

Mais le progrès ne se décrète pas. Il est le résultat d’une politique budgétaire volontairement en équilibre : « Tout ce que nous voulons avoir en plus de ce que nous avons ne proviendra que de l’augmentation régulière de notre produit national. Il n’y a pas une seule société humaine dans le monde, quel que soit son régime politique, économique et social, qui puisse nourrir le progrès autrement que par l’expansion. »

Le Chef de l’Etat évoque aussi la « participation », cette troisième voie qui restera son œuvre inachevée malgré les avancées qu’il mènera plus tard.

« Il s’agit de multiplier et de développer les moyens dont nous disposons, ce qui incombe à la recherche scientifique et technique et ce qui exige des investissements continuels et rigoureux prélevés sur les bénéfices obtenus. Il s’agit de tirer de ces moyens un rendement meilleur et cela ne peut résulter que du travail fourni et de l’élévation des capacités professionnelles déployées. Il s’agit de faire en sorte que tous ceux qui accomplissent l’œuvre économique soient mieux informés de ses réalités et participent d’une manière plus effective à ses responsabilités, ce qui implique à la base une association plus étendue du personnel à la marche des entreprises et au sommet la collaboration plus étroite des représentants des activités nationales, économiques, sociales, administratives, culturelles, aux travaux des Conseils où sont élaborés et contrôlés le développement de nos régions et celui de notre pays. »

Il donne à son gouvernement la charge et le devoir de permettre aux personnes âgées de finir dignement leur vie, mais aussi aux jeunes de recevoir une éducation en mesure de les inclure, demain, dans une vie professionnelle enrichissante.

Pour y parvenir, il met en avant le Plan, cette « ardente obligation. »

Eh bien ! nous nous sommes fixé à cet égard les objectifs à atteindre et les moyens d’y parvenir ; nous nous les sommes fixés par le Plan, dont toutes les parties sont étroitement liées, qui s’étend sur quatre années et qui mesure pour cette durée un progrès déterminé et prépare pour la suite une nouvelle et rationnelle avance. Ce plan est notre Plan, l’essentiel de notre politique économique et social c’est de l’appliquer nettement et fermement.

L’Europe : Non à la Grande-Bretagne

A propos de la demande d’adhésion de la Grande Bretagne au marché commun, le Général rappelle que « le Traité de Rome a été conclu entre six États continentaux. Des États qui, économiquement parlant, sont en somme de même nature. Qu’il s’agisse de leur production industrielle ou agricole, de leurs échanges extérieurs, de leurs habitudes et de leurs clientèles commerciales, de leurs conditions de vie et de travail, il y a entre eux beaucoup plus de ressemblances que de différences. D’ailleurs, ils sont contigus, ils s’interpénètrent, ils se prolongent les uns les autres par leurs communications. Le fait de les grouper et de les lier entre eux de telle façon que ce qu’ils ont à produire, à acheter, à vendre, à consommer, ils le produisent, l’achètent, le vendent, le consomment, de préférence dans leur propre ensemble est donc conforme aux réalités. »

Mais, regrette-t-il, ce traité est incomplet, puisque l’agriculture, élément essentiel de notre activité, n’y a pas sa place. « Nous ne pouvons concevoir un Marché commun dans lequel l’agriculture française ne trouverait pas des débouchés à la mesure de sa production et nous convenons d’ailleurs que, parmi les Six, nous sommes le pays auquel cette nécessité s’impose de la manière la plus impérative. » précise-t-il tout en insistant sur le fait que « toutes les décisions prises l’ont été par les Gouvernements, car il n’y a nulle part ailleurs d’autorité, ni de responsabilité. Mais je dois dire que, pour préparer et éclairer les affaires, la Commission de Bruxelles a travaillé d’une façon très objective et très pertinente. »

Le Général veut une règle identique à tous les membres de la communauté européenne et l’on mesure aujourd’hui toute la sagesse de ses propos : « On a pu croire parfois que nos amis Anglais, en posant leur candidature pour le Marché commun, acceptaient de se transformer eux-mêmes au point de s’appliquer toutes les conditions qui sont acceptées et pratiquées par les Six ; mais la question est de savoir si la Grande-Bretagne, actuellement, peut se placer, avec le Continent et comme lui, à l’intérieur d’un tarif qui soit véritablement commun, de renoncer à toute préférence à l’égard du Commonwealth, de cesser de prétendre que son agriculture soit privilégiée et encore de tenir pour caducs les engagements qu’elle a pris avec les pays qui font partie de sa zone de libre-échange. Cette question-là, c’est toute la question. »

Le Chef de l’Etat a bien conscience que la Grande-Bretagne dans une Europe indépendante est souhaitable. C’est dans ce sens qu’il propose un accord d’association entre le Marché commun et la Grande-Bretagne « de manière à sauvegarder les échanges, et rien n’empêcherait non plus que soient maintenues les relations étroites de l’Angleterre et de la France et que se poursuive et se développe leur coopération directe dans tous les domaines, notamment ceux de la science, de la technique et de l’industrie, comme d’ailleurs les deux pays viennent de le prouver en décidant de construire ensemble l’avion supersonique Concorde. »

L’entente Franco-allemande

Le chef de l’Etat met l’accent sur le « fait franco-allemand ». Et il précise : « De là, part ce désir de rapprochement manifesté partout dans les deux pays, conforme aux réalités et qui commande la politique parce que, pour la première fois depuis maintes générations, les Germains et les Gaulois constatent qu’ils sont solidaires. Ils le sont évidemment quant à leur sécurité, puisque la même menace de domination étrangère se dresse devant eux, tandis que leurs territoires constituent une même aire stratégique. Ils le sont économiquement parce que, pour chacun d’entre eux, les échanges mutuels sont un élément essentiel et prépondérant. Ils le sont au point de vue de leur rayonnement et de leur développement culturels, parce qu’en fait de pensée, de philosophie, de science, d’art, de technique, ils se trouvent complémentaires. »

Il y voit aussi une chance pour l’Europe et rend un vibrant hommage au Chancelier Adenauer avec lequel il va pouvoir concrétiser, dans les jours qui viennent, un accord important de coopération entre les deux Nations. Ensemble, les deux hommes n’ont jamais cessé « de penser et de proclamer que la coopération de l’Allemagne et de la France était une nécessité absolue de la vie et du développement moderne des deux pays, mais aussi qu’elle constituait la condition et le fondement même de la construction de l’Europe, enfin qu’elle était dans le présent l’élément primordial de la sécurité de notre continent et, peut-être, dans l’avenir, celui de l’équilibre et de la paix entre les nations qui le peuplent de l’est à l’ouest.

Et de conclure « qu’en rendant leur coopération plus étroite, l’Allemagne et la France donnent un exemple qui peut être utile à la coopération de tous. »

A la question d’un journaliste demandant si l’armée de la République fédérale allemande pouvait être munie et disposer d’armements nucléaires, le général de Gaulle est sans ambigüité : « Monsieur, en l’occurrence, il appartient à l’Allemagne fédérale de dire ce qu’elle veut et de mener sa politique. Vous avez vu, qu’en matière de défense, la France mène la sienne. Il est évident qu’il y a une solidarité étroite entre la défense de l’Allemagne et celle de la France, mais chaque pays est maître chez lui et je ne répondrai pas pour le Gouvernement allemand. » La véritable indépendance est à ce prix.

Une défense indépendante

Le Général rappelle son attachement à l’alliance Atlantique et au rôle important qui est celui de l’Amérique, Nation amie. C’était avant.

Aujourd’hui, « …les Soviets ont eu, eux aussi, un armement nucléaire[1] et cet armement est assez puissant pour mettre en question la vie même de l’Amérique. … Alors la défense immédiate, et on peut dire privilégiée, de l’Europe et le concours militaire de l’Europe, qui étaient naguère les données fondamentales de leur stratégie, passent, par la force des choses, au second plan. On vient de le voir tout justement dans l’affaire de Cuba.

Après ce constat, sans mettre en cause nos alliances, et malgré ce qui peut être dit outre-Atlantique des expériences françaises tendant à en minorer l’importance et la portée, le général de Gaulle expose : « Ainsi, les principes et les réalités s’accordent pour conduire la France à se doter d’une force atomique qui lui soit propre. Cela n’exclut pas du tout, bien entendu, que soit combinée l’action de cette force avec celle des forces analogues de ses alliés. Mais, pour nous, dans l’espèce, l’intégration est une chose qui n’est pas imaginable[2]. En fait, on le sait, nous avons commencé, par nos seuls et propres moyens, à inventer, à expérimenter et à construire des bombes atomiques et les véhicules pour les lancer. »

Et de conclure ce chapitre : «  La France a pris acte de l’accord anglo-américain des Bahamas. Tel qu’il est conçu, personne sans doute ne s’étonnera que nous ne puissions y souscrire. Il ne nous serait vraiment pas utile d’acheter des fusées Polaris, alors que nous n’avons ni sous-marins pour les lancer, ni têtes thermonucléaires pour les armer. Dans doute, un jour viendra où nous aurons ces sous-marins et ces têtes nucléaires. Mais le délai sera long. Car la guerre mondiale, l’invasion et leurs conséquences nous ont beaucoup retardés dans notre développement atomique. »


[1] La première bombe atomique russe a explosé le 14 juillet 1949

[2] La force nucléaire multilatérale dont la création a été envisagée par M. Harold MacMillan et par le Président John F. Kennedy a Nassau, serait une force « intégrée ».

1 commentaire sur Conférence de presse du 14 janvier 1963

  1. THOBY PIHL // 7 mars 2017 à 0 h 43 min //

    Le lien n’est pas le bon. Où trouver le texte intégral de la conférence de presse de 1963?

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