Euro et Grèce : « Ni Jean ni Monnet, seulement… monnaie »

 

01grecePanagiotis Grigoriou, anthropologue grec, raconte sur son blog le quotidien d’une crise qui a touché toute l’Europe. A l’arrivée des élections présidentielles de 2012, le blogueur met en garde les habitants de l’hexagone…

 

2012. Nous scrutons le temps sans cesse. Nous sentons son accélération, palpable comme elle est dans l’air. « Se faire » ainsi son époque qui flambe dans une région qui partira en flammes, la société déjà brulée au second degré, cela ne relève plus tout à fait que de l’analyse politique.

Les radios et la presse s’occupent des affaires supposées courantes : le moine aux multiples offshore et aux deux cent biens immobiliers spoliés au détriment de la collectivité, les juges démissionnaires, un haut gradé aux impôts, démissionnaire aussi pour une affaire de paiement des dommages et intérêts demandés, liés à un cas multiple de contrebande et de trafic de carburant.

Notre baronnie nationale sous occupation, se décompose déjà davantage. En d’autres baronnies, plus petites où règnent les trafiquants des carburants, tous entrepreneurs et contrebandiers de la branche, bien connus, propriétaires de raffineries selon la presse, buvant encore leur whisky, et invitant les politiques sur leurs yachts. Ainsi aussi, certains magnats de la presse qui depuis des années ont été les grands bénéficiaires du financement de l’État et qui menacent de mettre la clef sous la porte si cela s’arrête. Dans le même ordre d’idées tordues, aucune enquête judiciaire réellement efficace ne peut aboutir, ni à l’encontre des uns ni à celle des autres.

Notre théâtre et ses marionnettes sur le pont du Titanic. Et cette semaine en plus, nous restons sans anxiolytiques. Les pharmacies sont en grève, les hôpitaux n’assurent plus que les urgences en ce moment, pour la même raison, le tiers payant est supprimé et à l’École des officiers de la marine marchande, les certificats du brevet sécurité et incendie, indispensables aux futurs marins-ouvriers qui ont achevé leur formation le 30 novembre 2011, ne sont pas encore délivrés. « Il y a une panne d’ordinateur depuis le 3 décembre, lorsque l’employée qui est en charge des certificats reviendra après le 9 janvier on va mieux vous informer… »

« Déconfiture sur la planète Andros, soupe populaire sur celle de Paros »

A Paroikia, capitale de Paros — cette île bien connue des surfeurs et des cycladophiles œcuméniques — certains enfants du collège se rendent tous les jours à l’église voisine pour se nourrir à la soupe populaire. Un comité d’élèves a même saisi le conseil municipal et la presse locale s’alarme (journal, Nea Tis Parou – Antiparou, 24/12/2011). Voilà où peut conduire la monoculture du tourisme et du P.S. grec.

Ragousis, ami de Georges Papandréou, ancien maire de Paros, figure emblématique de son parti, ne se manifeste plus ! Attention, on prévient « qu’une petite flamme peut provoquer une explosion, détruisant la cité entière et jusqu’aux remparts des barons. Ces derniers, ne semblent pas entendre la longue marche de tous ceux qui dans le pays, désormais ont faim ». Ce n’est pas Rizospastis, le quotidien du P.C. grec qui nous prévient ainsi, mais www.capital.gr, un site d’information axé cotations boursières, nouvelles économiques et … investissements, sous la plume de son éditorialiste, Thanassis Mavridis (04/01/2012). Après tout, toutes nos nouvelles sont inlassablement économiques. Et la gauche (non P.S.), attend encore le grand soir en pleine nuit noire. Kairoscopes ?

L’euro en Grèce : oui, mais pour combien de temps ?

Nous sommes pourtant plus lucides qu’avant, pris toutefois dans l’épais brouillard du futur, car nous sommes convaincus de la sortie de la Grèce de la zone euro et c’est sauve qui peut. Cela devient du burlesque, scénarisations incessantes à la radio, tantôt l’euro du sud, tantôt l’ex-drachme, tantôt le dollar, tantôt une monnaie de change — et de singe — en guise de tickets de rationnement. Ces derniers émis par les banques qui doivent couvrir le marché intérieur, de plus en plus noir et enfin mardi matin, la nouvelle trouvaille à la radio: « Nous serons payés en obligations de l’État », quelle obligeance !

Enfin mardi soir, une amie vivant au Canada vient de téléphoner et fait état de ses « informations », à savoir : la fin de l’euro pour la Grèce sera pour la deuxième quinzaine de mars … Cela nous rapproche encore plus de l’accélération des rumeurs durant les temps de guerre. Donc on perd toute notre tête. Concentration zéro. Sa dégradation est telle, que les accidents de la route causant la mort de nombreux automobilistes sont en hausse alarmante, selon les derniers chiffres sur la ville même d’Athènes.

Le temps météorologique athénien de ce début janvier 2012 est pourtant beau et frais. « Cela durera au mieux deux jours, le vent du sud va se changer brusquement en vent du nord, je le sens … Ah pas un seul client depuis midi, l’Europe c’est une p… », telle était la prévision empirique d’un marchand de poisson du port, ancien pécheur lui même à Rafina, sur la côte Nord-Est d’Athènes. Pour le reste, il n’y a plus de quoi prévoir. On laisse alors venir. Nos radios, nos journaux se déchainent, l’avenir est incertain à la petite semaine, à la petite cuillère, on clôturera notre compte avec l’euro, janvier, février, mars, avril ….

Les trains étaient bondés lundi soir en provenance du Nord de la Grèce. Retour bon marché depuis le kairos (temps) des fêtes, mais l’arrivée devient-elle coûteuse dans une Athènes si « dechronisée ». Les voyageurs se donnent à cœur joie sur notre temps de crise : désaccords sur le fait de la supposée responsabilité collective, unanimisme pourtant sur la responsabilité des politiques.
Une dame interpelle le contrôleur :
« En montant dans le train il n’y avait plus personne pour nous guider afin de trouver nos wagons, et à la gare, un seul agent, celui travaillant au guichet : une honte ».
– « Mais Madame, vous le savez, nos anciens collègues se sont vus vite mutés au ministère de la Santé. Suivant les termes du mémorandum II, il fallait réduire les effectifs dans le chemin de fer, donc ils sont devenus ambulanciers … ».
(la dame poursuit) : « Bon passons, vous n’étiez pas un peu profiteur vous aussi ? Puis, il nous faut pas mal de kairos jusqu’à Athènes, non ? ».
– « Non Madame, je n’ai jamais profité de rien, sauf de mon salaire même amputé, je ne fais que travailler comme vous, je l’espère en tout cas, et je suis toujours à votre service, souriant comme vous voyez ».
(elle continue) : « Je suis au chômage vous savez … ».
« Excusez moi madame, je vous souhaite de retrouver du travail cette année 2012, ah oui, nous arriverons à Athènes dans quatre heures, le kairos sera un peu long ».
(elle conclue) : « Merci, je vous souhaite également de ne pas le perdre … votre travail cette année …. ».

PS français utopiste, PS grec pessimiste

Regarder et voir droit devant dans le temps, le kairos des Grecs anciens, la météo, par un certain glissement sémantique chez les Grecs modernes.

« Un homme politique se juge aussi à sa capacité à saisir ce que les Grecs anciens appelaient le kairos : le moment opportun. Pour faire basculer une situation, accélérer, prendre l’avantage », affirme aussi Nicolas Demorand dans un édito de Libération (03/01/2012). Et voila que selon le directeur de publication de ce journal : « Pour la première fois avec autant de netteté, il – François Hollande– déroule la feuille de route de sa campagne et décrit les valeurs qui guideraient son quinquennat. Quels seraient les leviers dont il disposerait comme président d’un pays en crise, dans une économie mondialisée. »

La chaîne de télévision Bloomberg, ce matin, se dit convaincue « que la meilleure solution pour la Grèce n’est pas la sortie de l’euro mais la dévalorisation violente de son économie intérieure, c’est-à-dire par un chômage élevé, les syndicats et le monde du travail accepteront les très bas salaires. Ainsi le pays redeviendra concurrentiel et la croissance reviendra » (sic), cité par www.in.gr (4/1/2012). Quelle démonstration franche sur le but et le vrai mécanisme de la plus grande tromperie de la décennie pour ne pas dire de l’après 1945. Ni grande idée de l’Europe, ni Jean ni Monnet, seulement … monnaie.

Puis ces jours, nous avons toujours une pensée pour la France et sa douloureuse campagne électorale. « Ah ces Français vont-ils comprendre, nous y songeons… », me disait hier un ami traducteur. Il avait également lu la presse française où, François Hollande explique de son coté que « le chômage est au plus haut parce que la croissance est au plus bas » et que la crise « est le produit de la mondialisation débridée, de l’arrogance et de la cupidité des élites financières, du libéralisme effréné, sans oublier l’incapacité des dirigeants européens à dominer la spéculation » (Libération, 03/01/2012).

Et alors ? Je ne vois pas la « netteté, [dont] il – François Hollande – déroule la feuille de route de sa campagne », souligne Nicolas Demorand. D’autant plus que, la bonne question, selon François Hollande, n’est-t-elle pas : « plutôt que de reconduire un président qui aurait tellement changé, pourquoi ne pas changer de président, tout simplement ? » Mais que faire face à l’euro, cette monnaie des spéculateurs … attitrés, aux mains desquels les pays de la zone ont depuis longtemps déposé leur souveraineté.

Les spéculateurs (banques connues et autres ramifications kairoscopiques moins connues), ont alors fabriqué les dettes dites souveraines, pour passer ensuite au stade suivant, celui de la dictature. Le but de l’euro, tout comme celui des instances de l’U.E. est notre asservissement, ni plus ni moins. Comme si, amputer les salaires dans le public ou dans le privé réduirait la dette, eh bien NON, c’est faux. Un tiers de la population grecque se trouve sous le seuil de pauvreté et la dette explose. Car en réalité il n’y a plus de seuil de pauvreté … estimable en Europe sous le destin bancocratique. La mort, tout simplement !

La kairoscopie (supposons de bonne foi, pourquoi pas) de François Hollande, consiste à affirmer : « Nous pouvons, même dans une économie mondialisée, maîtriser notre destin. Nous le pouvons en comptant d’abord sur nos propres forces, et en agissant au niveau de l’Europe, à condition que celle-ci soit réorientée (…) le choix que vous aurez à faire sera décisif. Décisif, il le sera pour vous, pour vos enfants, pour l’avenir de votre patrie, pour l’Europe aussi, qui attend et espère entendre à nouveau la voix de la France, une France dont elle a besoin pour retrouver un projet et un destin ».

Cette Europe ne sera jamais réorientée et son seul projet est celui des banques, pour la simple raison que l’époque où les illusions sur les chars de combat qui peuvent se transformer en engins agricoles est terminée. Game over ? Camarades du P.S. français, éteignez votre console et ouvrez les yeux, ceux du P.S. grec ont carrément éteint le … pays.

Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog.

1 commentaire sur Euro et Grèce : « Ni Jean ni Monnet, seulement… monnaie »

  1. Patrick AUBIN // 10 janvier 2012 à 12 h 32 min //

    Êtes-vous sur de ne pas vous trompez lorsque vous imaginez que le niveau de vie et la monnaie ont un rapport et donc de faire de l’euro, le bouc émissaire des causes du mal grec ?

    Tout d’abord permettez-moi de vous dire qu’entre le niveau de vie au sein du département des Hauts de Seine et de la Lozère, l’écart est surement supérieur à celui entre les allemands et les grecs, et pourtant, nous n’avons jamais remis en cause le fait que les deux départements avaient la même monnaie!!! Donc attribuer les problèmes des grecs à la monnaie est identique à attribuer le problème des habitants de la Lozère.

    Vous nous faites typiquement du socialisme, c’est à dire que vous rejetez toujours la faute sur ce qui n’est pas le problème. Les États européens prélèvent trop d’impôts à leurs citoyens pour faire tout et n’importe quoi : il n’y a aucune responsabilité individuelle. Il est ainsi préférable de rejeter la faute sur un élément du système, cela évite de montrer que les politiques sont les vrais coupables de la gabegie….

    Et surtout vous voudriez égaliser les revenus des uns et des autres. Or c’est la grande erreur de cette vieille Europe de courir après des lunes de luttes sociales qui n’ont rien de naturel… et nous nous prenons en retour notre histoire coloniale qui fait que nous avons profité du monde pendant une période et qu’aujourd’hui ce monde veut aussi exister…

    La richesse se crée, elle n’a rien de stable… vouloir la partager par un système de nature macroéconomique est une ineptie. Le seul et unique destin que la France peut avoir ce n’est pas de repartir sur le gaullisme qui n’a fonctionné qu’à la période de la véritable reconstruction de la France, et donc de penser qu’il y aura un nouveau sauveur, mais bien de repartir sur les bases de la responsabilité individuelle et d’appliquer correctement les bases que nos ancêtres ont fondé à partir de la déclaration des droits de l’homme mais qui ont été immédiatement bafouées par les hommes de pouvoir, et notamment par un empereur!!!

    Le destin de la France, c’est celui de la motivation de son peuple, pas celui de dirigeants corrompus et qui vivent grassement avec l’argent qu’ils volent sous un couvert de légalité à leurs citoyens…

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