Quand la Chine aide la zone euro… à sa manière

 

«Merkozy» a multiplié les appels du pied aux pays émergents, et à la Chine tout spécialement, pour que ces anciens pauvres nouvellement riches volent au secours de la zone euro menacée d’implosion par la crise des dettes souveraines. À la veille de la trêve des confiseurs, Pékin a répondu : «I did it my way.» Et on peut penser que la voie choisie par les dirigeants chinois a laissé un goût amer à la dinde de Noël de Frau Merkel. L’électricien public chinois China Three Gorges (CTG) a remporté la compétition pour le rachat de la participation de l’État portugais dans EDP, l’ancien monopole de l’énergie. L’acte de vente a été signé le 31 décembre à Lisbonne.

En offrant 2,7 milliards d’euros pour les 21,35% d’EDP mis aux enchères par Lisbonne, les Chinois ont coiffé sur le poteau le géant privé allemand E.On et le Brésilien Eletrobras. La chancelière allemande, encore lors du dernier sommet européen de Bruxelles, avait plaidé la cause de E.On auprès du Premier ministre portugais Pedro Passos Coelho. Mais Lisbonne a choisi de vendre au plus offrant.

Outre la prise de participation directe dans EDP, la Chine s’est engagée à aider à l’assainissement financier et au développement du groupe portugais, en particulier dans les énergies renouvelables. La secrétaire au Trésor du Portugal Maria Luis Albuquerque a évalué à quelque huit milliards d’euros l’apport total de Three Gorges et des banques et autres entreprises chinoises qui l’accompagneront dans cette aventure. CTG va apporter deux milliards d’euros de fonds propres supplémentaires à EDP, en prenant des participations minoritaires dans ses fermes éoliennes et les banques chinoises ouvriront des lignes de crédit allant jusqu’à 4 milliards d’ici 2020.

CTG envisage de renforcer encore sa présence dans EDP. Il reste le solde de la participation publique (3,69%), et d’autres actionnaires privés de l’énergéticien portugais, comme l’espagnol Iberdrola (6,79%) et la banque portugaise Millenium BCP (3,37%), lorgnant elle-même sur l’argent chinois pour traverser une phase financière délicate, ne font pas mystère de leur désir de se désengager. Les actionnaires devraient d’ailleurs décider en février un relèvement du plafond de participation de 20 à 25%.

Une diversification dans des actifs «réels»

Pour l’économiste Kenneth Courtis, «c’est un signal important de la façon dont la Chine va investir dans l’UE en difficulté, pas tant en achetant des dettes publiques ou en apportant des fonds au FMI, même si ces deux options sont également sur la table, mais en prenant des participations dans des actifs dont Pékin attend des dividendes stables, de long terme». Selon le fondateur de Themes Investment Managment, un fonds de capital investissement particulièrement actif en Chine, ce souhait de la Chine de «se diversifier dans des actifs réels et de se protéger ainsi contre le retour de l’inflation que les Chinois regardent comme inévitable» est tout sauf une surprise (lire ici).

L’ironie de l’affaire, bien entendu, est que la vente de la participation de l’État portugais dans EDP fait partie du programme de privatisation inclu dans le mémorandum que Lisbonne a signé en mai 2011 avec la «troïka» UE/FMI/BCE en échange d’une aide financière de 78 milliards d’euros, à laquelle l’Allemagne apporte la plus forte contribution. Devraient suivre en 2012 la vente de la participation publique dans REN, le gestionnaire du réseau de distribution de l’énergie, et les privatisations de la compagnie aérienne nationale TAP, des aéroports nationaux (ANA), du fret ferroviaire (CP Carga), de la poste (CTT) et d’une des chaînes de la télévision publique (RTP).

Côté chinois, la signature politique de l’investissement est indélébile. Three Gorges, détenu à 100% par l’État chinois, doit son nom à son principal actif, le gigantesque barrage des Trois Gorges sur le Yangtsé, le plus important équipement hydroélectrique au monde, projet chéri de l’ancien dirigeant communiste Li Peng (Premier ministre au moment du massacre de Tienanmen en 1989) et objet de violentes controverses à propos de son impact social (déplacement de millions de personnes) et écologique.

DamMais, outre la diversification de ses placements financiers, la Chine peut trouver un intérêt économique et industriel à sa prise de participation dans EDP. Ruban rectangulaire étiré sur la côte atlantique de la péninsule ibérique, le Portugal, en dépit de sa taille modeste, dispose d’un potentiel considérable dans les énergies nouvelles : solaire (l’Alentejo accueille déjà près de Serpa la ferme solaire la plus productive au monde), éolienne et océane. Domaine dans lequel l’industrie chinoise affiche à la fois des capacités certaines et de grandes ambitions. Goldwind, une filiale de CTG, prévoit d’ailleurs d’installer au Portugal, d’ici l’été 2013, une usine de turbines éoliennes.

Le destin du Portugal et celui de l’Europe

Sur un marché européen de l’énergie qui peine à se décloisonner et à laisser émerger une véritable concurrence, il ne serait guère surprenant que la tête de pont portugaise établie par la Chine ait un jour des prolongements. Cette transaction, a estimé le vice-président de CTG Lin Chuxue, «pourrait servir d’exemple aux autres entreprises chinoises qui pensent investir au Portugal».

Mais l’ironie paradoxale de l’affaire ne s’arrête pas au secteur de l’énergie. D’abord, les industries traditionnelles portugaises, textile et chaussure, ont payé un tribut exceptionnellement lourd à l’ouverture du marché européen à la concurrence chinoise après l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001 et la fin de l’accord multifibre. Ensuite, après avoir été longtemps dans la dépendance d’une alliance inégale avec l’Angleterre, puis pratiquement isolé du continent par un demi-siècle de dictature salazariste (adossée au régime franquiste dans l’Espagne voisine), le Portugal, démocratique depuis la Révolution des œillets en 1974, s’était trouvé avec l’Allemagne un nouveau«parrain» européen. Les grandes formations politiques allemandes, notamment le PSD à travers la Friedrich-Ebert Stiftungdans le cas du PS portugais, ont contribué financièrement à consolider l’arc démocratique pendant les premières années troublées de la jeune démocratie portugaise.

On peut même pousser plus loin la méditation sur le destin de ce petit pays, longtemps oublié à l’extrême ouest de la masse continentale eurasiatique après avoir été l’acteur principal de la première mondialisation, celle des grandes découvertes, et qui cherche aujourd’hui une porte de sortie à la crise économique et sociale du côté de son ancien empire. Plus de 500 ans après la fondation du Brésil, l’émigration portugaise, notamment celle de jeunes diplômés sans emploi, à destination du géant sud-américain, est aujourd’hui en plein boom. Même chose en direction de l’Angola, dont la rente pétrolière vient s’investir dans l’ancienne métropole.

Cela ne signifie pas que le Portugal pourrait, comme à l’époque du roi don Joao Secundo, larguer les amarres du Vieux Continent. Seulement qu’une Europe sans projet ni ambition sera de plus en plus ballottée au gré des vagues du grand basculement planétaire en cours.

1 commentaire sur Quand la Chine aide la zone euro… à sa manière

  1. Merci pour cet article lumineux…!

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