Les partis facturent des conseils à leurs candidats aux frais de l’Etat

 

Les partis français ont le chic pour exploiter les failles de la législation sur le financement de la vie politique. Dans son rapport sur les comptes 2010 d’environ 300 organisations (publié mardi 27 décembre), la commission indépendante chargée de les contrôler pointe une nouvelle dérive: les grosses formations politiques ont pris la mauvaise habitude, en période électorale, de facturer des prestations (notamment intellectuelles) à leurs propres candidats.

Cette tuyauterie alambiquée se révèle avantageuse: des partis, déjà financés par l’État, vendent des conseils en communication, en stratégie, etc., à leurs candidats “maison”, qui inscrivent ces dépenses dans leur compte de campagne et se les font rembourser (en partie) parles pouvoirs publics. C’est coup double pour le parti, mais coût double pour le contribuable, puisque l’État met en quelque sorte deux fois la main au portefeuille.

Ce système est aujourd’hui légal, mais les chiffres s’emballent. Si l’ensemble des formations politiques avaient facturé à peine plus d’un million d’euros de prestations à leurs candidats en 2008 (année d’élections municipales), la somme globale a explosé en 2009 et 2010 (lors des européennes et régionales), atteignant respectivement 8,8 et 5,1 millions d’euros. Clairement, les partis exploitent un filon.

Tout y passe: la vente de chartes graphiques, d’éléments de communication, de logos, etc. L’UMP et Europe Écologie-Les Verts ont ainsi facturé 2,8 millions d’euros chacun à leurs troupes, l’une en 2009, l’autre en 2010; quant au PS, il a monnayé l’an passé 1 million d’euros de prestations à ses candidats.

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«Personne ne va vérifier si le prix facturé est justifié ou surévalué»

Dans son avis, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (la CNCCFP) souligne ainsi l’aberration: «La réalisation de prestations intellectuelles pour les candidats relève de l’activité naturelle d’un parti politique.» En toute logique, ces dernières ne devraient pas faire l’objet d’une vente, certainement pas «d’un remboursement» aux candidats, sachant que «les partis politiques (sont) déjà bénéficiaires d’une aide publique»! Et la commission de suggérer, au minimum, que «seules les prestations matérielles puissent donner lieu à facturation, la réalité de celles-ci pouvant être contrôlée».

Car la question se pose: certains partis ne sont-ils pas tentés de facturer des prestations fictives à leurs candidats, ou de surfacturer? L’acheteur et le vendeur étant du même bord, défendant le même intérêt, qui va protester? Au moment de valider les comptes des partis, la CNCCFP n’a pas les moyens d’enquêter sur la valeur réelle des services déclarés, surtout lorsqu’il s’agit de conseils immatériels.

L’exemple d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) est parlant. En contrôlant les comptes de campagne des écologistes au lendemain des régionales de 2010, la commission a décidé que certaines prestations vendues par le parti à ses candidats ne leur seraient pas remboursées. Qu’est-ce qui a gêné la CNCCFP? Les Verts avaient monté un circuit sophistiqué, pour centraliser et mutualiser certaines dépenses de communication de leurs têtes de liste régionales. Une association liée au parti (l’Acieer) et spécialisée dans la communication achetait en fait des prestations groupées à des entreprises professionnelles (de webdesigners, d’imprimeurs, etc.), avant de refacturer ces services à chaque tête de liste… à un prix plus élevé. Officiellement, l’Acieer apportait une plus-value.

La commission l’a – dans certains cas – contesté. Si elle n’a pas nié qu’un parti puisse jouer les intermédiaires et revendre des prestations à ses candidats à un tarif supérieur au prix d’achat, elle a rappelé qu’une telle plus-value devait être «justifiée, quantifiable et démontrée». En l’espèce, ça n’a pas toujours été prouvé; la commission a considéré que l’Acieer avait parfois surfacturé. Parmi les prestations incriminées: la conception «de drapeaux», «d’autocollants»,ou encore une «charte graphique». La CNCCFP a refusé dans ces cas-là que la “plus-value” de l’Acieer, inscrite comme une dépense de campagne par les candidats, leur soit remboursée par l’État.

Le trésorier du parti écologiste à l’époque, Mickaël Marie, en a longuement débattu avec la commission. «Nous n’étions pas d’accord sur la hauteur de la plus-value apportée par l’Acieer, reconnaissait-il en mai. On a livré des éléments d’explication et convaincu la commission sur certains points, pas sur d’autres.» Une fois la décision de la CNCCFP rendue, Mickaël Marie ne l’a pas contestée en justice, malgré son agacement. «Pour les partis qui confient leur communication à Publicis, Havas ou Euro-RSCG, personne ne va jamais vérifier si le prix facturé par ces sociétés est justifié, ou s’il est surévalué! Pourtant, ces dépenses-là se retrouvent aussi dans les comptes des candidats, et sont remboursables par l’État.» Depuis cet épisode, Mickaël Marie a passé la main comme trésorier. «La législation sur le financement de la vie politique est un marécage, confiait-il en mai. Il faut absolument y mettre de l’ordre.» Pour 2012, il est déjà trop tard.

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