Toulon : Sarkozy et la sémantique en trompe-l’œil

 

 

Toulon : Sarkozy a fait du Guaino, du Merkel… et du Sarkozy
de Philippe Cohen et Laureline DupontMarianne

Revenant dans la ville de son premier discours de crise, en 2008, le président de la République a commencé par les gammes de son conseiller spécial anti-néolibéral, avant de redevenir le toutou d’Angela Merkel, qu’il rencontrera lundi. Le décorum et certains aspects du discours montraient surtout un Président déjà en selle sur son cheval de candidat.

Guaino président !

C’était un discours comme une valse. A trois temps.

Le Président a commencé par le plus séduisant. Du Guaino dans le texte. Comme à Toulon voici deux ans, le Président s’est transformé en ventriloque de son conseiller spécial, Henri Guaino. Nicolas Sarkozy a repris, avec ses qualités pédagogiques bien connues, l’essentiel de l’analyse de la crise économique telle que la font, depuis trois ans, la plupart des économistes dissidents, de Jacques Sapir à Paul Jorion en passant par Jean-Luc Gréau. Nul doute qu’en rédigeant son discours, le conseiller spécial avait en tête leurs raisonnements, dont il demeure proche en pensée et en paroles.

Drôle de job !  La figurine du marionnettiste, le Président, a ainsi parfaitement expliqué que la crise actuelle a une origine lointaine, dans le tournant des années 1970, qui a vu le partage de la valeur ajoutée se tordre au détriment des salariés. Il a expliqué en quoi la crise n’était pas seulement le résultat de l’endettement public, mais aussi celui de l’endettement privé : on a prêté aux salariés devenus impécunieux pour maintenir artificiellement la machine économique. « On a ainsi construit «une pyramide de dette» Nicolas Sarkozy a ensuite annoncé « un nouveau cycle économique qui sera un cycle de désendettement », qui ramènera « le balancier de l’économie vers le travail et la production ». Une vision sans doute juste, mais bien optimiste, comme si la pyramide de dettes n’obstruait pas, justement, l’avenir.

Concernant ce même avenir, le Président a quasiment annoncé une TVA sociale sans, bien entendu, prononcer l’expression : « On ne peut pas financer notre protection sociale comme hier en prélevant uniquement sur les salaires quand les frontières sont plus ouvertes et qu’il faut faire face à la concurrence de pays à bas salaires. La réforme du financement de notre modèle social est devenue une urgence absolue. » Là encore, le Président a repris l’une des antiennes d’Henri Guaino, partagée d’ailleurs par Jean-François Copé.

Le deuxième temps du discours était arrivé. Le Président est carrément passé de Guaino à Merkel, sans que l’on sache pour le moment qui a tenu « la plume de la Chancelière », qui semblait parler à travers les mots du Président. Ce dernier a justifié l’exigence d’une discipline budgétaire plus forte en improvisant un cours d’histoire allemande bien élémentaire : l’hyperinflation des années 1920, le nazisme, etc.

Seule affirmation légèrement décalée par rapport aux exigences allemandes, Nicolas Sarkozy a réaffirmé privilégier une sorte de troisième voie entre la cure d’austérité pure et simple et le déni de crise. Une fois encore, le Président a réitéré le même mantra répété par les gouvernements depuis trente ans : sans euro, sans solidarité européenne, sans couple franco-allemand, la France serait ramenée à l’âge de pierre.

L’éclatement de l’euro doublerait, a-t-il même déclaré (sans le prouver bien entendu) la dette par deux. Comme Jacques Delors et bien d’autres depuis le début des années 1980, Nicolas Sarkozy a simplifié de façon caricaturale le choix qui s’offre au pays : soit exercer sa souveraineté avec les autres, soit la fermeture  qui «serait mortelle pour notre économie, pour nos emplois. Les sociétés fermées n’ont qu’un destin possible: le déclin. Déclin économique, intellectuel, moral.. », a-t-il ajouté. Là, on était plus proche d’Alain Minc que d’Henri Guaino.

Sarkozy candidat

Mais le discours présidentiel comportait une troisième dimension, celle du candidat-président. Les socialistes peuvent s’en donner à cœur joie. Eux qui subissent depuis plusieurs semaines les tacles intempestifs de la majorité, ont enfin du grain à moudre : Sarkozy fait campagne sur les deniers de l’Etat.

En choisissant de prononcer le discours de Toulon II dans un Zénith plein à craquer (et prêt à filmer), il donne à son intervention des allures de meeting. Les applaudissements bruyants et répétés du public accentuent l’effet « candidat en campagne », mais les observateurs bienveillants rétorqueront que Sarkozy n’est pas responsable de l’enthousiasme de l’auditoire. Admettons.

En revanche, difficile pour le chef de l’Etat de s’affranchir de la responsabilité des phrases prononcées à la tribune par lui et par lui seul. Certain de leurs effets, il n’a pas hésité à décocher de nombreuses flèches en direction des socialistes.

« La France a des atouts […] Ce n’est pas en boudant le nucléaire que la France valorisera au mieux ses atouts », a prévenu Sarkozy. Une attaque en règle contre le volet nucléaire de l’accord PS-Europe écologie-Les Verts qui prévoit notamment la fermeture en 2013 des deux réacteurs de la centrale alsacienne de Fessenheim et la fermeture d’ici 2025 de 22 autres réacteurs. Déjà la semaine précédente, le président, en visite dans le Vaucluse, avait dénoncé le risque de « délocalisation » lié à la diminution de la part du nucléaire dans la production énergétique de la France. 

Le deuxième coup de griffe adressé à son adversaire François Hollande tient en deux phrases, étonnantes de contradiction : « Il y a une réalité que chacun doit accepter : la souveraineté ne s’exerce qu’avec les autres. On défend mieux sa souveraineté avec des alliés que tout seul. » Après la controverse sur le chapitre nucléaire de l’accord PS-EELV, une autre polémique a pris le relais depuis une semaine et concerne cette fois le droit de veto de la France à l’ONU dont EELV réclame la suppression. Pour être certain d’être reçu 5 sur 5 par les Français-électeurs, Sarkozy a donc précisé le fond de sa pensée : « Renoncer à notre place au Conseil de sécurité et au droit de veto serait invraisemblable, sans cette place et sans ce véto, la France n’aurait pu aider le peuple de Libye à se libérer. » A croire que Sarkozy n’a pas entendu Hollande affirmer que s’il était élu, le droit de veto ne serait pas remis en cause.  A croire, aussi qu’il ne s’était pas entendu lui-même proclamer justement que la souveraineté ne s’exerçait qu’avec les autres.

Après le blâme vient l’encouragement, voire la reconnaissance. Implicite bien sûr. Se réapproprier les bonnes idées des autres, d’accord, leur en reconnaître la paternité, jamais. Sarkozy a toujours refusé l’idée de protectionnisme, et ce n’est certainement pas l’endettement des pays de la zone euro et l’affaiblissement de la compétitivité de la France qui le fera changer d’avis. Sa solution ? Aller chasser sur les terres du PS en se rapprochant de leur concept de juste échange. « L’Europe qui ouvre ses marchés sans exiger la réciprocité de la part de ses concurrents, cela ne peut plus durer. » Donc, d’un côté on refuse le protectionnisme, stigmatisé comme un repli sur soi, et de l’autre on promeut la nécessité de se défendre dans la mondialisation.

Après cette affirmation digne des réunions d’Attac, le chef de l’Etat ne pouvait que conclure sur une ritournelle umpiste : la légendaire irresponsabilité du PS. « Si l’on veut plus de solidarité, alors nous devons avoir plus de discipline budgétaire. Chaque pays de la zone euro devra adopter une règle d’or, la France doit l’adopter comme les autres. L’idéal, si chacun faisait preuve de responsabilité, serait de le faire avant l’élection présidentielle. » Les socialistes, ces dangereux inconscients, se retrouvent piégés. Après avoir approuvé l’objectif de ramener le déficit budgétaire à 3% en 2013, difficile pour eux d’expliquer leur refus de voter la réforme constitutionnelle. La boucle est bouclée. La valse présidentielle était terminée. Et Sarkozy a prouvé une fois de plus qu’il était champion du monde de bonneteau. Mais ça, on le savait depuis longtemps….

 

 

Toulon, sanctuaire de la présidence de papier de Nicolas Sarkozy
par Laurent Pinsolle (DLR)

Hier, le président de la République est revenu à Toulon pour y faire un discours fondateur sur la crise, trois ans après un fameux discours prononcé au même endroit. Et si cette mise en scène, loin de le servir, démontrait justement toutes ses carences et incohérences ?

Toulon 2008, trois ans après

En effet, comment ne pas revenir sur ce fameux discours fondateur pour comparer ce qui avait été dit et ce qui a été fait. En outre, la France vient de présider le G20, donnant une occasion unique à Nicolas Sarkozy de faire avancer la réforme de l’économie. Mais comme très souvent avec lui, les mots sont essentiellement restés des mots. La moralisation du capitalisme ? Quelques mesurettes totalement superficielles sur les bonus. La fin des parasites fiscaux ? Rien n’a changé en réalité.

Le Figaro s’est penché sur les axes du discours de 2008. Un exercice douloureux pour le président. En 2008, il faisait des marchés les coupables de la crise. Aujourd’hui, il fait porter le chapeau à l’endettement (en faisant mine d’oublier que la Cour des Comptes l’a très sévèrement jugé sur le sujet), quand ce n’est pas aux 35 Heures, éternel coupable de tous les maux de la France pour l’UMP. En 2008, il pointait du doigt les agissements des banques et des agences de notation.

Pourtant, il n’a rien fait sur ces deux sujets, contrairement à la Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis qui ont fait des rapports qui se transforment en lois. Certes, ils sont imparfaits, mais c’est mieux que rien. En 2008, il parlait alors du besoin de relance alors qu’aujourd’hui, il ne parle que de rigueur. Enfin, il pointait les problèmes de fonctionnement de l’Union Européenne, mais faute est de constater que rien n’a bougé depuis 2008, la crise de la zone euro démontrant la faillite de cette organisation.

Paroles, paroles, paroles

Assez logiquement, la deuxième cuvée du discours de Toulon perd en force. Ne pouvant raconter la même chose qu’il y a trois ans, au risque de trop rappeler que rien de ce qu’il promettait n’a été fait, le président s’est contenté de platitudes contradictoires. Il veut relancer l’emploi tout en enclenchant un cycle de désendettement. A-t-on déjà vu pareille chose possible simultanément. C’est soit l’un soit l’autre. On voit bien en Europe que l’austérité casse la croissance et l’emploi.

En outre, le président s’est surtout fait candidat, ce qui pose légitimement la question de la mesure des dépenses électorales. Loin de parler comme un président, il a attaqué l’opposition de manière assez ridicule. La critique des 35 heures commence à suffire sachant que l’UMP est au pouvoir depuis près de dix ans et avait donc tout le loisir de revenir dessus depuis 2002 si elles sont si mauvaises. Les attaques contre les socialistes au sujet de sa règle de plomb sont également mesquines.

Voici un président de la République dont la Cour des Comptes a dénoncé la mauvaise gestion, lui imputant plus de la moitié de la dégradation de nos comptes publics depuis le début de la crise, qui somme l’opposition de voter une camisole budgétaire qui ne prendra effet qu’après la prochaine élection. En gros, faites ce que je dis, pas ce que je fais. Bref, il est apparu comme un politicien prompt à la polémique bassement partisane et stérile, pas comme un président.

Par la magie des mots d’Henri Guaino, Nicolas Sarkozy s’est inventée une belle présidence de papier, où il moralise le capitalisme, sauve l’Europe, gère bien nos finances, nous protège de la crise et de l’insécurité. En revenant à Toulon, il rappelle que ce n’est que du vent, un vent qui le balaiera dans quelques mois.

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