"Les dirigeants européens travaillent en aveugles"

Le sommet européen sur la crise de la dette dans la zone euro n’a pas abouti à une solution ce week-end. Un nouveau sommet est convoqué pour mercredi. Voyez-vous une porte de sortie à la crise ? C’est le seul moyen de casser la spéculation. Malheureusement Mme Merkel et M. Trichet l’ont écartée

Jean-Pierre Chevènement : Il y a une porte de sortie possible, c’est celle qui a été proposée par la France, à savoir l’adossement du Fond européen de stabilité financière (FESF) à la BCE.

001JPCEntretien de Jean-Pierre Chevènement au site internet de Public Sénat, lundi 24 octobre 2011.

 

Le sommet européen sur la crise de la dette dans la zone euro n’a pas abouti à une solution ce week-end. Un nouveau sommet est convoqué pour mercredi. Voyez-vous une porte de sortie à la crise ?

Jean-Pierre Chevènement : Il y a une porte de sortie possible, c’est celle qui a été proposée par la France, à savoir l’adossement du Fond européen de stabilité financière (FESF) à la BCE. C’est le seul moyen de casser la spéculation. Malheureusement Mme Merkel et M. Trichet l’ont écartée. La politique d’austérité à perpétuité qu’on propose aux Etats en difficulté ne peut déboucher que sur la récession et l’aggravation de la situation, comme l’a d’ailleurs remarqué Joseph Stiglitz (prix Nobel d’économie 2001, ndlr).

Il me semble que les dirigeants européens travaillent en aveugles. Ils ne voient pas que la crise de l’euro procède de son vice constitutif : la monnaie unique a juxtaposé des économies trop différentes par leur structure et la culture des peuples concernés. Je ne voix pas d’autres solutions durables que la transformation de la BCE (Banque centrale européenne) pour en faire l’équivalent de la FED (Federal Reserve Act). A défaut, la seule perspective est l’effilochage de la zone euro.

Selon le journaliste Jean Quatremer, Nicolas Sarkozy et Angela Merckel ont critiqué Schröder, Jospin et Chirac pour avoir fait entrer la Grèce dans la zone euro. Croyez-vous possible une explosion de la zone avec une sortie de la Grèce ?

C’est une critique superficielle. Le problème était posé d’emblée, en 1989, quand le Conseil européen de Madrid a adopté les statuts de la monnaie unique, qui par définition supprime toute possibilité d’ajustement entre les pays. J’entends bien Nicolas Sarkozy incriminer ses prédécesseurs : « Ils avaient peut-être une vision, mais ils ont omis de régler des questions qui n’étaient pas des détails », a-t-il dit. L’erreur était de signer le Traité de Maastricht. Mais Nicolas Sarkozy n’est pas le seul à l’avoir commise.

Le chef de l’Etat est-il à la hauteur ?

Je pense qu’il a fait une proposition intéressante, celle d’adosser le FESF, transformé en banque, aux ressources de la BCE. Les moyens du FESF ne sont pas suffisants. Il a 440 milliards d’euros alors que le total des dettes des pays en difficultés est de 3.400 milliards…

Les Allemands bloquent sur l’augmentation du FESF…

Les Allemands ont une culture de stabilité, ils ont l’obsession de l’inflation. L’Europe méditerranéenne n’a pas la même culture.

Et sur le risque d’explosion de la zone euro, est-elle possible ?

Malheureusement, oui. Très peu de gens réalisent que c’est un risque bien réel. Il faut imaginer les solutions, j’en ai proposées deux dans mon nouveau livre, Sortir la France de l’impasse : le recours à la Banque centrale, ou à défaut, la transformation de l’euro de monnaie unique en monnaie commune. Si la Grèce fait défaut et reprend sa liberté monétaire, on aura accompli un premier pas dans cette direction. On pourrait garder l’euro comme toit européen commun, c’est-à-dire un panier de monnaie pour les échanges internationaux. Puis cette monnaie commune pourrait accueillir la Grande-Bretagne ou les pays du sud de la Méditerranée. Puis, il faut penser l’après crise.

A court terme, pensez-vous que les dirigeants européens trouveront une solution à la crise de la dette de la zone euro ?

Je crains qu’ils ne trouvent que des rustines.

Propos recueillis par François Vignal

 

 

 

Verbatim express

  • Le but d’un homme politique devrait être de servir son pays. Il ne peut le servir efficacement que s’il rappele au citoyen ce qu’est la réalité, ce que sont les choix, les virtualités qui existent dans cette réalité. A partir de là, il peut élever le niveau de conscience. C’est cela le débat républicain.
  • J’ai toujours pensé que ma voix était importante à certains moments pour fixer un cap. Par exemple, pour dire à la gauche qu’elle faisait fausse route en cédant à la dérégulation ou en jetant les bases d’une monnaie unique pour 17 pays très différents par leur structure économique, leur culture, leur langue.
  • J’exerce une fonction de rappel à la réalité qui n’est pas toujours facile (…) Les erreurs commises il y a 20 ans se vérifient. Il faudrait que les hommes politiques qui négocient à Bruxelles réfléchissent aux raisons pour lesquelles ils en sont arrivés là.
  • Je suis un homme de gauche, mais un homme de gauche indépendant. Je m’adresse à tous les citoyens.
  • « Sortir la France de l’impasse » a été écrit cet été mais pour comprendre la crise de l’euro, on peut le lire, il n’a pas vieilli. Il dit ce qui est en train de se passer. Par exemple, il suggère que l’on fasse appel aux ressources de la Banque centrale européenne : c’est ce que propose M. Sarkozy.
  • Il faut bien comprendre une chose : les ressources du FESF (Fonds européen de stabilité financière) représentent 440 milliards d’euros. La dette cumulée des 5 pays sous tension représente 3 400 milliards d’euros. Les fonds disponibles du FESF sont insuffisants.
  • Il y a un plan B en dehors de tout cela : la mutation de l’euro de monnaie unique à monnaie commune. On y viendra si les Européens, et les Allemands en premier lieu, ne sont pas capables d’effectuer un grand saut conceptuel quoi leur permettrait de considérer que le BCE doive agir comme la Fed.
  • Les élites, par la politique qu’elles mènent, par les choix de la globalisation faits il y a déjà 3 décennies, se sont éloignées du peuple. Il y a un vrai malaise : il n’y a plus de mobilité sociale et en même temps il n’y a plus de communication. La responsabilité principale, je l’impute aux élites
  • Les oligarchies de l’argent dominent le monde moderne.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*