Allocution radiotélévisée du 5 février 1962

Gaulle5_2_62Comme il en a pris l’habitude, et avant d’aborder les sujets les plus d’actualité, le général de Gaulle expose l’état de la France
(inter-titre de la rédaction)

 

« Oui ! Nous vivons des jours assez tendus, et la route n’est pas toujours facile. Y sont évidemment pour beaucoup les troubles suscités par des agitateurs qu’il faut réduire et châtier. Mais rien ne serait plus absurde que d’en être obnubilé alors que nous sommes en période de grandes réalisations. Levons la tête pour les voir ! Du coup, les incidents, si odieux qu’ils puissent être, ne revêtent d’importance que relative et les médiocrités ne paraissent que ce qu’elles sont. Aujourd’hui, et de nouveau, je veux montrer au pays où nous en sommes et vers quoi nous marchons

Une photographie de la France

Personne au monde, excepté quelques partisans aveugles, ne méconnaît en effet le puissant développement de la France. Chacun de nous en est saisi quand il parcourt le pays, fût-ce en regardant les images. Jamais il n’a été en France produit, construit, instruit autant. Jamais le niveau de vie moyen des Français n’a atteint celui d’aujourd’hui. Jamais nulle part on n’a compté moins de chômeurs que nous n’en avons. Jamais notre monnaie et notre crédit ne furent plus forts qu’ils ne le sont, au point qu’au lieu d’emprunter nous prêtons maintenant aux plus riches

Sauvegarder la liberté dans l’univers

Qui peut contester de bonne foi que la France, directement menacée, et dès lors que d’autres nations possèdent les moyens de la détruire en un instant, doit être armée, elle aussi, de telle sorte qu’aucun Etat ne puisse penser à la tuer sans risquer lui – même la mort ; que, pour sauvegarder la liberté dans l’univers, la France doit être actuellement l’alliée effective de l’Amérique, tout comme celle – ci doit être la sienne ; que la France enfin, grâce au fait que sont effacés pour la première fois de l’histoire les grands griefs entre elle – même et ses voisins européens, doit aider à bâtir l’Europe occidentale en une union organisée d’Etats, afin que s’établisse peu à peu, de part et d’autre du Rhin, des Alpes, peut-être de la Manche, l’ensemble politique, économique, culturel et militaire le plus puissant, le plus prospère et le plus influent du monde ? Sans doute parce que maintenant nous marquons une volonté, édifions une force, déployons une politique, qui sont les nôtres, ce cours nouveau ne laisse-t-il pas de contrarier le réseau des conventions antérieures qui nous assignait un rôle de nation dite « intégrée », autrement dit effacée. Il en résulte forcément des étonnements, voire des aigreurs. Mais comme l’action propre à la France nouvelle est à la fois inéluctable et salutaire à tous, c’est un fait qu’on s’en accommode en attendant qu’on s’en félicite…

Force nucléaire

C’est ainsi que réapparaît notre défense nationale. Avant la fin de cette année la majeure partie de notre armée sera stationnée en Europe et en pleine réorganisation. Avant la fin de l’année prochaine nous disposerons d’un premier élément opérationnel de force atomique française. Par la suite nous poursuivrons le développement de ces moyens de dissuasion, à moins qu’il n’en existe plus aux mains d’aucune autre puissance. Nous croyons que les possibilités matérielles et morales du monde libre tireront grand profit du redressement des armes de la France. D’autre part, en prenant le parti de ne point négocier ni sur Berlin ni sur l’Allemagne tant que l’Union Soviétique n’aura pas cessé ses menaces et ses sommations et créé une situation de vraie détente internationale, nous pensons avoir évité à nos alliés et à nous – mêmes soit le recul catastrophique, soit la rupture dramatique, soit l’enlisement tragi-comique à quoi eût évidemment abouti la conférence…

L’Europe des réalités

Enfin nous nous appliquerons activement à faire sortir l’union de l’Europe du domaine de l’idéologie et de la technocratie pour la faire entrer dans celui de la réalité, c’est-à-dire de la politique. Par exemple, nous n’avons pas consenti, comme nous y invitaient pourtant une mystique et des dates assez artificieuses, à développer un marché commun qui n’eût pas englobé l’agriculture et où la France, pays agricole en même temps qu’industriel, aurait vu son équilibre économique, social et financier, bouleversé de fond en comble. Au contraire, nous avons fait pour notre part en sorte que la grave omission que comportait à cet égard le traité de Rome fût réparée pour l’essentiel et que les dispositions et les sauvegardes voulues fussent décidées par les 6 Etats contractants. Mais, aussi, nous avons proposé, nous proposons à nos partenaires, une organisation d’ensemble pour la coopération des Etats, sans laquelle il ne peut y avoir d’Europe unie, excepté dans des rêves, des parades ou des fictions…

La paix en Algérie malgré les épreuves

Alors, à mesure qu’était tracée et suivie la voie qui mène à la paix, des Français indignes se sont lancés dans des entreprises subversives et criminelles. Exploitant et exaspérant l’irritation et l’inquiétude d’une partie de la population d’origine européenne, la nostalgie de quelques éléments de l’armée, la rancune et l’ambition de plusieurs chefs militaires ou politiciens disponibles, des conspirateurs ont essayé, essaient et sans doute essaieront, de créer des bouleversements, à la faveur desquels ils s’imaginent saisir le pouvoir…

Il n’empêche, d’ailleurs, que nous approchions de l’objectif qui est le nôtre. Pour nous il s’agit, dans le moindre délai, de réaliser la paix et d’aider l’Algérie à prendre en main son destin en y ménageant aussitôt la création d’un Exécutif provisoire et en nous tenant prêts à reconnaître, sans nulle restriction, ce qui ne manquera pas de sortir de l’autodétermination, c’est-à-dire un Etat souverain et indépendant. »

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