Conférence de presse du général de Gaulle – 15 mai 62

 

L’introduction

Avant de répondre aux questions des journalistes de la presse française et étrangère venus nombreux, comme à l’accoutumée, aux conférences de presse du Chef de l’Etat, le général de Gaulle aborde, dans son introduction, les sujets importants : la situation du monde, l’Europe, la stabilité politique…

IntroductionNotre temps et notre monde sont dominés par un fait immense qui tient en suspens le destin de chaque peuple et de chaque individu. Il s’agit, bien sûr, du fait atomique. Deux puissances dans l’univers détiennent, l’une et l’autre, les moyens de détruire des nations en quelques heures. Je pense qu’il ne faut pas chercher ailleurs la raison fondamentale de cette sorte de doute et de désintéressement politiques que les générations d’à présent manifestent à l’égard des principes, des doctrines, qui naguère suscitaient la foi et l’ardeur. Beaucoup ne croient pas qu’il y ait lieu de se fier aux idéologies, dès lors qu’en un instant tout peut être anéanti jusqu’au tréfonds et que, dans ces conditions, les grands problèmes du monde ne peuvent pas être délibérément résolus. Dans cette situation générale, la politique de la France s’inspire. autant que possible, de sens pratique et, tranchons le mot, de modestie. Elle cherche à réaliser ce qui lui paraît possible et ce qui est à sa portée. Tirant parti de la continuité, de la stabilité, que ses institutions lui procurent, elle vise, pour mener son action internationale, trois objectifs essentiels et qui, d’ailleurs, sont liés entre eux. 

La
décolonisation
décolonisationD’abord, se dégager, vis-à-vis des peuples d’outre-mer qui étaient naguère sous sa dépendance, des obligations politiques, économiqueet militaires qui lui incombaient chez eux et que l’évolution général rendait chaque jour plus vaines et plus coûteuses et transformer ses rapports avec eux en une coopération contractuelle et régulière où trouvent leur compte le développement et l’amitié et qui, d’ailleurs,, peut s’étendre à d’autres.
L’Europe europeD’autre part, contribuer à construire l’Europe dans les domaines de la politique, de la défense et de l’économie, de telle sorte que l’expansion et l’action de cet ensemble aident à la prospérité et à la sécurité françaises et, en même temps, fassent renaître les possibilités d’un équilibre européen vis-à-vis des pays de l’Est.
La défense
de la France
defenseEnfin, conjuguer la création d’une force nationale moderne avec nos progrès scientifiques, techniques, économiques et sociaux, afin que, dans le cadre d’une alliance nécessaire et dans l’espoir d’une détente internationale, nous puissions, quoi qu’il arrive, avoir notre propre part dans notre propre destin.
 

Les principales réponses du Général aux questions des journalistes.

L’Europe
et le plan
Fouchet
Dans un monde où tout se ramène à la menace d’un conflit général, l’idée d’une Europe occidentale unie et qui aurait assez de force, assez de moyens et assez de cohésion pour exister par elle-même, cette idée-là apparaît tout naturellement. D’autant plus que les inimitiés qui avaient séculairement déchiré l’Europe, en particulier l’opposition entre l’Allemagne et la France, ont actuellement cessé. Du coup, voilà mis en lumière, d’abord le caractère qu’on peut appeler complémentaire – au point de vue géographique, stratégique, économique, culturel, – des peuples de cette partie de l’ancien continent, l’Europe occidentale. Et puis, en même temps, la capacité globale qu’ils représentent en fait de puissance, de production, de création, d’échanges, par rapport à l’activité générale de l’univers. Enfin, les possibilités que leur ensemble pourrait offrir aux deux milliards d’hommes qui peuplent les pays sous-développés. Voilà des données de fait qui ont conduit six États du Continent à tenter d’établir entre eux des liens particuliers. Aux yeux de la France cette construction économique ne suffit pas. L’Europe occidentale – qu’il s’agisse de son action vis-à-vis des autres peuples, ou de sa propre défense, ou de sa contribution au développement des régions qui en ont besoin, ou de son devoir de détente et d’équilibre internationaux – l’Europe occidentale doit se constituer politiquement. D’ailleurs, si elle n’y parvenait pas, la Communauté économique elle-même ne pourrait à la longue s’affermir. ni même se maintenir. Autrement dit, il faut à l’Europe des institutions qui l’amènent à former un ensemble politique, comme elle en est un déjà dans l’ordre économique. Qu’est-ce que la France propose à ses cinq partenaires ? Je le répète une fois de plus. Pour nous organiser politiquement, commençons par le commencement. Organisons notre coopération. Réunissons périodiquement nos Chefs d’État ou de Gouvernement pour qu’ils examinent en commun les problèmes qui sont les nôtres et pour qu’ils prennent à leur égard des décisions qui seront celles de l’Europe. Formons une commission politique, une commission de défense et une commission culturelle, de même que nous avons déjà une commission économique à Bruxelles qui étudie les questions communes et qui prépare les décisions des six Gouvernements. Naturellement, la commission politique et les autres procèderont, à cet égard, dans des conditions propres aux domaines particuliers qui seront les leurs. En outre, les ministres compétents à ces divers points de vue se réuniront chaque fois qu’il le faudra pour appliquer de concert les décisions qui auront été prises par le Conseil. Enfin, nous avons une Assemblée parlementaire européenne qui siège à Strasbourg et qui est composée de délégations de nos six Parlements nationaux. Mettons cette Assemblée à même de discuter des questions politiques communes comme elle discute déjà les questions économiques. Après expérience, nous verrons dans trois ans comment nous pourrons faire pour resserrer nos liens. Mais, tout au moins, nous aurons commencé à prendre l’habitude de vivre et d’agir ensemble. Voilà ce que la France a proposé. Elle croit que c’est là ce qui peut être fait de plus pratique.Puis le Général répond aux oppositions notamment de ceux qui veulent plus d’intégration européenne et qui clament en direction de la France : « Vous voulez faire l’Europe des patries. Nous voulons, nous, faire l’Europe supranationale ». Il enchaine : « Je ne crois pas que l’Europe puisse avoir aucune réalité vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l’Allemagne avec ses Allemands, l’Italie avec ses Italiens, etc. Dante Goethe, Chateaubriand, appartiennent à toute l’Europe dans la mesure où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit, en quelques « espéranto » ou « volapük » intégrés… »… et de conclure sur ce chapitre qu’il: «  ne peut pas y avoir d’autre Europe que celle des Etats, en dehors naturellement des mythes, des fictions, des parades. »
L’Alliance Atlantique et l’OTAN Le général de Gaulle trace un historique de l’organisation.« L’alliance atlantique existe. Tant que les Soviets menacent le monde, cette alliance doit être maintenue. La France en fait partie intégrante. Si le monde libre était attaqué, dans l’ancien ou dans le nouveau continent, la France prendrait part à la défense commune aux côtés de ses alliés et avec tous les moyens qu’elle a. Ceci dit, qui est indiscutable, il y a dans l’alliance atlantique une certaine organisation militaire, l’O.T.A.N., qui a été bâtie il y a treize ans, dans des conditions qui ont aujourd’hui profondément changé. Ill est apparu, depuis lors, un certain nombre d’éléments nouveaux qu’il suffit d’évoquer pour faire comprendre à tout le monde que, pour ce qui concerne la défense de la France, le problème n’est plus ce qu’il était auparavant. A l’origine, seules dans l’univers, l’Amérique et, dans une certaine mesure, la Grande-Bretagne, possédaient des armes nucléaires. Alors l’Europe occidentale a trouvé fort expédient de remettre aux États-Unis la responsabilité de sa protection, étant admis que les bombes américaines suffisaient à empêcher toute agression qui serait dirigée contre l’Europe. En échange, l’Europe occidentale — ou du moins l’Europe occidentale du continent — remettait aux Etats-Unis le commandement de ses forces et, par conséquent, sa politique et sa stratégie de défense. C’est ce qu’on appelait l’intégration. L’Amérique, sur cette base, a transporté en Europe une partie de ses armes atomiques et y a organisé un corps expéditionnaire. En même temps, elle gardait par devers elle des moyens immenses pour les employer, le cas échéant, où que ce soit, suivant les circonstances. L’Angleterre, de son côté, affectait à la défense de l’Europe certains éléments terrestres et aériens, et elle se réservait le reste.
… Et déjà se profile la situation qui sera à l’origine de ce qui se passera en 1966.
Pour la France, il était entendu, à ce moment-là, que tout ce dont elle disposait en Europe appartenait à l’O.T.A.N. Seulement, comme le plus clair de ses moyens militaires était engagé outre-mer, sa contribution directe était assez limitée. Mais, depuis lors, des éléments nouveaux d’une extraordinaire dimension se sont introduits dans le sujet et la France doit en tenir compte.
D’abord, la Russie soviétique a maintenant, elle aussi, un armement nucléaire énorme et qui s’accroît tous les jours, comme d’ailleurs celui des États-Unis. Désormais, l’Amérique et la Russie soviétique sont en mesure de se frapper directement l’une ou l’autre et, sans doute, de se mettre réciproquement à mort. Il n’est pas sûr qu’elles s’y risquent. Nul aujourd’hui ne peut savoir ni quand, ni comment, ni pourquoi, l’une ou l’autre de ces grandes puissances atomiques emploierait son armement nucléaire. Il suffit de dire cela pour comprendre, qu’en ce qui concerne la défense de la France, la bataille de l’Europe et même la guerre mondiale telles qu’on les imaginait quand l’O.T.A.N. est né, tout se trouve actuellement mis en cause. D’autre part, une force atomique française de dissuasion commence à exister et va se développer sans cesse.
 
 

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