Ce qui ne va pas avec les universités étasuniennes

 

PinsolleLes universités de l’Oncle Sam dominent l’ensemble des classements internationaux, qui sont taillés pour elles. Mais avec le temps qui passe, les failles de ce système apparaissent de plus en plus clairement, comme le démontre une nouvelle fois un article de The Economist.

La faillite du modèle californien

L’hebdomadaire anglais revient sur les évolutions des universités publiques depuis une vingtaine d’années. Cet Etat propose deux universités : la California State University, moins prestigieuse, pour les études supérieures de courte durée, et la plus prestigieuse la University of California. La première coûtait seulement deux mille dollars par an en 2001, moitié moins que la moyenne nationale, alors que la seconde coûtait quatre mille dollars, dans la moyenne.

Dix ans après, la situation s’est sacrément détériorée puisque les frais annuels de scolarité dépassent six mille dollars pour la moins chère et plus de treize mille dollars pour la seconde (la moyenne nationale est passée à huit mille dollars). En effet, la part de financement public est tombée de 78% du coût en 1990 à 47% l’an dernier, et devrait encore baisser sensiblement cette année étant donnée la situation dramatique des finances publiques de l’Etat.

Résultat, le coût de l’éducation supérieure devient totalement prohibitif d’autant plus qu’ils ne prennent pas en compte le coût de la vie. Une étude démontre que le coût complet dépasse aujourd’hui trente mille dollars par an. Résultat, de moins en moins de personnes font des études supérieures et la Californie est tombée à 41ème place des Etats Unis pour la proportion d’étudiants par rapport au nombre de lycéens ! Seuls les plus riches et les surdoués peuvent faire des études.

Les conséquences dramatiques de la libéralisation

La situation des Etats-Unis nous démontre à quel point la privatisation de l’éducation supérieure est dévastatrice pour l’ascenseur social. Paul Krugman avait souligné dans « L’Amérique que nous voulons » que dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, un mauvais élève riche a autant de chance d’aller à l’université qu’un bon élève pauvre, environ 30%.

La libéralisation provoque inexorablement une explosion des prix car pour les meilleures universités, la concurrence se fait sur le campus et des professeurs. En outre, les meilleures études rapportent tellement d’argent que des investissements très lourds peuvent être rentabilisés, ce qui permet aux grandes universités de faire payer leur scolarité plus de trente mille dollars par an.

Résultat, les universités étasuniennes ont créé une forme de nouvelle aristocratie où seuls les plus riches peuvent accéder aux études supérieures à de rares exceptions prêts. Un véritable mur d’argent sépare les classes aisées des classes populaires mais aussi moyennes. Pire, comme l’avait montré The Economist, les meilleures universités ont tendance à faire un bien mauvais usage de cet argent, qui n’est pas vraiment utile et est trop souvent gaspillé dans des projets pharaoniques.

L’intérêt de cette expérience est de démontrer qu’il faut absolument résister à la privatisation de l’éducation supérieure car elle est un puissant frein à l’ascenseur social, une reconstitution, par la cherté de l’éducation supérieure de l’aristocratie d’antan.

3 commentaires sur Ce qui ne va pas avec les universités étasuniennes

  1. L’analyse n’est certainement pas complète mais montre bien que les EU ont un problème sérieux. Les remarques de Charles Durand indiquent que sur le fond nous auront nous aussi bientôt le même problème. L’occident, malgré des déclarations unanimes sur l’intérêt de la recherche scientifique, est de fait de moins en moins intéressé par la science et l’innovation. Les formations scientifiques de haut niveau ne motive plus la jeunesse. Attrait de l’argent facile, mollesse générale d’une société qui est prête à presque tout pour continuer à consommer (cf. l’excès de dettes), mais pas à se mettre au travail pour produire intelligemment et en tenant compte de la récente prise de conscience des contraintes écologiques.

  2. Je ne suis que partiellement d’accord avec ce qui est dit. Tout d’abord, je suis d’accord sur le constat que le système américain qui était inégalitaire dès le départ, a amplifié ce défaut dans les dernières années. Je ne suis cependant pas d’accord avec le remède proposé qui est la « nationalisation » des universités. Rien n’a jamais prouvé qu’un système « national » soit meilleur qu’un système privé, ni l’inverse d’ailleurs. A titre personnel, je pense que la seule activité, en dehors du rôle régalien de l’Etat qui doit être nationalisée est la banque, car, et le passé récent nous l’a prouvé et le futur proche nous le reprouvera, c’est l’Etat, au final, qui sera le garant des banques. Pour l’éducation, il en va tout autrement. Si une université privée fait faillite, tout le monde s’en fichera ou presque. Cela ne veut pas dire que l’Etat ne doit pas jouer un rôle dans le système d’enseignement. Pour ma part, je pencherais plutôt pour le système suivant:
    – L’université (privée éventuellement) aurait un coût, pour un niveau d’étude donné, qui serait fixé par l’Etat et uniforme pour toutes les universités, lequel Etat donnerait, comme produit des impôts perçus, un chèque aux étudiants en paiement de ce niveau, chèque qui ne pourrait être dépensé que pour de l’éducation. L’étudiant irait donc proposer son chèque aux différentes universités qui l’accepteraient ou non selon le nombre de places disponibles, la qualité du candidat, etc. Par ailleurs, l’Etat exercerait un contrôle sur le niveau d’enseignement dispensé et sur le sérieux des épreuves d’examen. Dans ce cadre là, les universités pourraient, le cas échéant, obtenir des financements extérieurs, parce qu’elles seraient justement privées potentiellement, de la part de sponsors, mais en aucune façon des étudiants.
    Voilà, très rapidement décrit, un système qui me paraîtrait à peu près viable et équitable sans être pour autant public, mais qui donne la part belle au public en lui attribuant son rôle régalien: financer l’éducation et contrôler sa qualité.
    J’aurais beaucoup à dire encore sur la qualité de l’enseignement. Je n’irai pas plus loin, mais je terminerai néanmoins par ce point. On confond trop souvent, dans le système universitaire, le placement de l’université dans le secteur de la recherche avec ses vedettes qui ne font que se coopter au niveau mondial dans les publications et ce qui devrait être le réel cœur de métier de l’université, la transmission du savoir. Clairement, même en payant les enseignant, disons, 10% du salaire moyen d’un patron du CAC 40, ce qui fait quand même incomparablement plus qu’aujourd’hui, on arrivera à un système universitaire performant, équitable et financièrement abordable. La recherche, objectivement, doit se trouver d’autres sources de financement qu’en faisant payer les étudiants, ce qui se passe hélas dans les universités américaines avec, en plus, une mentalité d’esclavagiste où l’on n’hésite pas à menacer les étudiants de ne pas leur donner leur PhD s’ils ne font pas certains travaux en dehors du strict cadre de leur thèse parfois.

  3. Charles Durand // 25 septembre 2011 à 12 h 43 min //

    Cette critique est très superficielle. Elle analyse seulement l’impact de l’évolution des conditions d’admission dans les universités sur la société étasunienne. Il y a au moins deux autres aspects de cette évolution qui sont à mentionner.

    Tout d’abord, l’impact dévastateur qu’a eu, à partir des années 70, le règne de l’étudiant-client. Cela veut dire que ce sont en grande partie les étudiants que l’on charge implicitement de décider quel prof est bon ou pas. Au début, les professeurs ont arrosé de bonnes notes des étudiants médiocres pour leur empêcher d’être mobilisés et d’être envoyés au Vietnam y faire la guerre puis, petit à petit, une part de plus en plus grande a été accordée aux étudiants dans l’évaluation de leurs professeurs puisque, petit à petit aussi, les frais de scolarité ont augmenté dans des proportions telles que l’étudiant est devenu un véritable « client » dont la présence est indispensable pour que les universités ne ferment pas leurs portes.

    Ensuite, la curiosité intellectuelle des jeunes Etasuniens s’est effondrée, minée par la télévision et le mythe de l’argent facile. On a assisté à une véritable fuite des étudiants des disciplines scientifiques et techniques vers les lettres et, plus généralement, vers les matières qui, de par leur nature même, ne requièrent pas de discipline mentale stricte. Egalement, les étudiants sont aller se regrouper dans les programmes donnant accès à des professions où on est censé « faire beaucoup d’argent ». C’est ainsi qu’on a abouti à une économie qui ne construit plus rien mais qui gagne encore de l’argent avec ses productions hollywoodiennes et ses produits financiers dérivés tandis que l’Etasunien moyen se paupérise.

    Tous les ingrédients sont réunis pour que, dans 30 ans, si les tendances actuelles se confirment, les Etats-Unis deviennent un pays du tiers monde. Pourtant, l’Etasunien moyen se croit encore au sommet des sociétés du monde.

    Des cadres de notre pays, des financiers, des hommes d’affaire veulent persister à répandre le modèle étasunien ainsi que l’anglais alors que les Etats-Unis se vident de leur substance de l’intérieur et refusant de voir que les soubresauts actuels de l’économie de ce pays ne sont que les prémisses d’une chute dans tous les domaines qui ne tardera plus à se concrétiser.

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