Lettre à John F. Kennedy-De Gaulle veut résister aux “soviets”

cdg-ecrivain Dans cette lettre, le général de Gaulle, tout en considérant la position du Président des USA comme légitime, montre sa détermination de ne pas céder « aux soviets ».Malgré sa politique de détente qu’il souhaite mener avec l’Europe de l’Est et l’URSS, il ne veut accepter, d’aucune manière, la menace constante de M. Khrouchtchev.« En effet, pour M. Khrouchtchev, conclure un « traité » avec M. Ulbricht, c’est se signer un papier à lui-même. » écrit-il !

 

Cher monsieur le président,

Par votre lettre du 14 octobre, vous voulez bien m’indiquer les conclusions qui vous paraissent ressortir des entretiens récents que vous-même et M. Dean Rusk avez eus au sujet de l’Allemagne avec M. Gromyko. Vous pensez que les soviets ont pu y discerner le sérieux danger que présente pour eux leur politique actuelle. Vous estimez, d’autre part, que les lignes directrices du cadre d’une négociation éventuelle semblent s’en être dégagées et qu’il y a lieu, pour les préciser, d’en poursuivre l’exploration par votre ambassadeur à Moscou. Vous prévoyez que, vers la mi-novembre, nos ministres des Affaires étrangères pourraient, le cas échéant, se réunir pour voir si nous devons proposer aux soviets des négociations en bonne et due forme.

Je ne puis que me féliciter de l’avertissement que vous avez donné aux soviets et espérer qu’ils en tiendront compte. Cependant, le fait qu’ils admettent que les négociations sur l’Allemagne et sur Berlin doivent avoir lieu entre nous et eux, et non point entre nous et la « République démocratique allemande », ne me semble pas apporter un élément qui soit important.

En effet, pour M. Khrouchtchev, conclure un « traité » avec M. Ulbricht, c’est se signer un papier à lui-même. Quant à nous, nous savons bien que quoi que doivent faire à Berlin les communistes de Pankow, c’est toujours l’Union soviétique que nous avons et aurons devant nous. Elle seule est et sera responsable.

Aussi ne me parait-il nullement justifié de considérer cette procédure comme une concession des soviets. Encore moins puis-je penser que nous, Occidentaux, aurions « un prix à payer » parce que le Kremlin, en nous invitant à régler d’abord l’affaire avec lui sans passer aussitôt par Pankow, semble reconnaître que Pankow n’est rien, ce qui n’est guère qu’une évidence. Et s’il ne le reconnaît pas, en quoi l’affaire sera-t-elle pratiquement différente et plus difficile pour nous ? Je ne vois pas, en effet, que ce point de procédure modifie les exigences soviétiques et atténue les graves inconvénients que présenterait actuellement une négociation proprement dite.

Car c’est là le fond des choses. Le seul fait que la négociation soit engagée, – et elle l’est en réalité –, ne peut manquer de donner à penser que les États-Unis acceptent un changement dans le statut de Berlin et, en même temps, admettent que la situation de l’Allemagne (division en deux États, frontières, défense, participation à l’Alliance atlantique, etc.) peut être, tout au moins, discutée comme le réclament les soviets. Cela, sans qu’il y ait d’autre base de départ pour les pourparlers que les exigences du Kremlin, ni d’autre raison immédiate de les entamer que la menace publique qu’ils dressent contre l’Occident. Dans ces conditions, et à moins qu’il y ait rupture et, par suite, aggravation, on ne voit pas que la négociation puisse aboutir à autre chose, de la part des États-Unis, qu’à des concessions qui, forcément, modifieront plus ou moins le rapport des forces politiques, risqueront de jeter dans les pays qui participent à notre alliance, notamment en Allemagne, un trouble psychologique difficile à limiter, et pourraient porter les soviets à entreprendre, à partir de là, une nouvelle avance.

Je dois vous dire, monsieur le président, qu’aujourd’hui, plus que jamais, je crois que la conduite à tenir en commun par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, devrait consister en ceci : refuser d’envisager le changement du statut de Berlin et de la situation présente de l’Allemagne, et par conséquent, de négocier à leur sujet, tant que l’Union soviétique ne renoncera pas à agir unilatéralement et ne cessera pas de menacer. À mon avis, vous-même, M. Macmillan et moi, devrions déclarer ensemble et publiquement à M. Khrouchtchev : « Vous prétendez négocier avec nous. Eh bien ! au lieu de vous répandre en invectives et en sommations, donnez des preuves de votre volonté pacifique et de votre respect de nos droits et des droits des autres, alors nous pourrons causer. Mais, sachez que si vous tentez d’employer la force contre nous, où que ce soit, nous emploierons la force contre vous. C’est à vous qu’il appartient de choisir. »

Je suis, d’ailleurs, persuadé que la Russie soviétique, tout en disposant de moyens de destruction extrêmement puissants, tout en en faisant état d’une manière sensationnelle pour impressionner l’Occident et épouvanter le tiers-monde, tout en étant résolue sans doute à risquer la guerre totale si elle était attaquée, ne vise aucunement à déclencher elle-même un conflit qui lui serait désastreux autant qu’il le serait aux autres. C’est ainsi que l’affaire de Berlin, où, depuis trois ans, les mises en demeure, les limites, les délais, périodiquement fixés par l’Union soviétique, sont à mesure, toujours reportés, ne donne pas l’impression qu’au Kremlin on soit réellement disposé à lancer la foudre. Le fauve qui va bondir le fait sans attendre autant.

Cependant, il me faut convenir que cette manière de voir, si elle est celle de la France, peut ne pas correspondre aux conceptions des États-Unis. Sans qu’il y ait là rien qui puisse mettre en cause notre solidarité fondamentale, vous et nous ne sommes pas sur le même continent et n’avons pas fait les mêmes expériences. C’est pourquoi je ne puis m’opposer au fait que, de votre côté et en considération de l’opinion publique américaine, vous jugiez utile de poursuivre à Moscou des

sondages qui, d’ailleurs, ne peuvent manquer de ressembler à une négociation. Mais la France n’envisage pas d’y participer dans la conjoncture présente, pour des raisons qui tiennent à ce qu’elle est elle-même et au souci primordial qui est le sien de maintenir, autant que possible, la solidarité propre à l’Europe occidentale. Cela ne saurait certes pas empêcher mon gouvernement de rester en contact étroit avec le vôtre. Pour le moment, je crois qu’à cet égard, le meilleur système est et demeure celui des entretiens réguliers de notre ambassadeur à Washington avec votre secrétaire d’État.

De toute façon, je salue comme très salutaires et très importantes les mesures que vous prenez pour renforcer les moyens de guerre des États-Unis, tant sur leur sol que sur celui de l’Europe. C’est là, à coup sûr, l’atout essentiel de notre alliance. Quant à nous-mêmes, dans la mesure de nos possibilités, nous accroissons aussi nos forces de combat en France et en Allemagne. Comme je vous l’avais naguère fait prévoir, nous les avons augmentées depuis trois mois, par prélèvements, sur celles qui se trouvent en Algérie, d’une cinquantaine de mille hommes avec le matériel correspondant, et de plusieurs escadrilles. Nous projetons de poursuivre et de développer ce mouvement au cours des prochains mois. En même temps, nous continuons de travailler à nous doter d’une force atomique, ainsi que d’avions et, plus tard, de fusées capables de porter nos engins. J’espère qu’avant la fin de l’année prochaine, la réapparition d’une réelle puissance militaire française en Europe sera un fait accompli. Si, alors, la structure de l’organisation de la défense atlantique devra en être modifiée, je suis sûr que notre alliance elle-même ne s’en portera que mieux.

Sincèrement à vous.

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