Faire face à la menace des pays émergents

  • par Gérard LAFAY *

42lafay Face à la concurrence des nations émergentes, les politiques doivent tenir compte de l’évolution de la spécialisation internationale, du rôle des taux de change, ainsi que des formes déloyales de compétition.

Depuis plusieurs décennies, un schéma de spécialisation régissait les relations économiques internationales. Les pays du Sud, possédant une main d’œuvre abondante et peu qualifiée, étaient les mieux placés dans les industries requérant ce type de facteurs. Inversement, les pays plus développés, en Amérique du Nord et en Europe occidentale, étaient les mieux placés dans les industries de haute technologie. Il était donc jugé normal que les emplois de faible qualification y disparaissent. Leur main d’œuvre devait ainsi pouvoir s’adapter, soit en élevant le niveau général du système éducatif, soit en orientant les travailleurs les moins qualifiés vers des emplois de services, abrités de la concurrence internationale.

La grande erreur des pays occidentaux a été de considérer qu’un tel schéma était immuable. Pour le perpétuer, il suffisait de conserver chez nous les tâches les plus nobles de la conception des produits. On pouvait alors concéder aux pays émergents leur fabrication, en fournissant les caractéristiques désirées, et assurant ensuite la commercialisation. Lorsque la Chine s’est mise à son tour à se lancer dans l’aventure internationale, certains ont même été jusqu’à considérer qu’elle était devenue l’atelier du monde. Or les pays émergents se sont révélés capables d’élever rapidement leur niveau de développement.

Les entreprises transnationales ont évidemment joué un rôle très actif dans ce processus, en assurant le nécessaire transfert de technologie. Cependant, afin d’obtenir des contrats, elles ont accepté de transférer leurs technologies les plus en pointe. Le néocapitalisme a ainsi révélé le même comportement que celui qui avait été décrit autrefois par Lénine pour les anciens capitalistes : ceux-ci étaient assez cupides pour vendre les cordes qui allaient permettre de les pendre !

Dans les échanges internationaux, la compétitivité des économies dépend de leurs taux de change respectifs, et donc des stratégies suivies. Les monnaies bon marché sont celles où le niveau moyen des prix est relativement bas : c’est le cas pour la Chine par rapport au reste du monde, en raison de la politique pratiquée ; c’est aussi la situation la plus fréquente pour les États-Unis vis-à-vis de l’Europe, à cause de l’insuffisance chronique de l’épargne. Les monnaies chères sont celles où le niveau moyen des prix est relativement élevé : ce fut à certains moments la position du Japon, de façon involontaire ; c’est le cas le plus fréquent pour l’Allemagne, puis maintenant pour la zone euro, en raison d’une politique délibérée.

De tels taux de change réels ont de profondes implications sur le comportement des économies dans l’espace mondial. Une monnaie chère permet de ralentir la hausse des prix intérieurs, mais elle rend ces prix, et par conséquent les salaires, trop élevés vis-à-vis de l’extérieur ; favorable aux consommateurs, cette situation est désastreuse pour la production, étant un facteur majeur de chômage. Inversement, une monnaie bon marché peut créer des tensions inflationnistes si elle n’est pas maîtrisée, mais elle attire l’investissement productif et stimule la croissance économique ; lorsqu’elle est excessive, elle en vient même à engendrer un dumping monétaire.

À la sous-évaluation systématique de certaines monnaies s’ajoute souvent un dumping social et environnemental. De bénéfique autrefois, la compétition internationale est ainsi devenue déloyale. Pour faire face à la concurrence des nations émergentes, trois politiques complémentaires sont désormais nécessaires : gérer convenablement notre propre taux de change, nous protéger contre toutes les formes de dumping, innover massivement dans la recherche et le développement.

La politique de change doit être révisée profondément dans les nations européennes, entravées depuis plus de trente ans par une monnaie chère. La politique commerciale vise, quant à elle, à rendre la compétition équitable en luttant contre le dumping. Le plus simple est ici de s’inspirer de la méthode préconisée naguère par Maurice Lauré, en appliquant des montants compensatoires antidumping. Vis-à-vis d’un pays fautif, on opère ainsi un prélèvement à l’importation, tandis que l’on opère une restitution du même taux à l’exportation, afin d’abaisser symétriquement le prix de vente.

La lutte contre la concurrence des nations émergentes ne doit cependant pas s’en tenir à des politiques défensives. Le troisième instrument réside dans la politique industrielle. Celle-ci implique d’abord que l’État facilite, par des mesures fiscales, l’effort de recherche des entreprises. Elle concerne ensuite les achats opérés par la puissance publique : c’est ce que les États-Unis ont compris dans le cas des petites entreprises, en appliquant le Small Business Act, et c’est également la fonction que le budget militaire américain joue depuis de longues années. Toutes les économies pratiquent ce type de politique industrielle.

Toutefois, la performance du système national d’innovation repose sur la qualité de l’enseignement. Des nations émergentes, comme la Chine ou l’Inde, forment chaque année des centaines de milliers d’ingénieurs. Or, chez nous, la qualité de l’éducation nationale s’est profondément détériorée depuis le début des années 1970, suivant les méthodes pédagogistes. Si la France veut conserver un rang acceptable dans la compétition mondiale, une réforme radicale de son système d’enseignement, du haut jusqu’en bas, constitue par conséquent la toute première priorité.


* Dernier ouvrage : Douze clés pour sortir de la crise, L’Harmattan, à paraître en mai 2011.

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