Allocution télévisée du 14 juin 1960

 

Plan de face du gÈnÈral Charles DE GAULLE gesticulant, assis devant un micro, lors d''une confÈrence de presse ‡ PARIS.

 

Il était une fois un vieux pays tout bardé d’habitudes et de circonspection. Naguère le plus peuplé, le plus riche, le plus puissant de ceux qui tenaient la scène, il s’était, après de grands malheurs, comme replié sur lui-même. Tandis que d’autres peuples allaient croissant autour de lui, il demeurait stationnaire. A une époque où la puissance des Etats dépendait directement de leurs valeurs industrielles, les grandes sources de l’énergie lui étaient chichement mesurées : il avait peu de charbon, il n’avait pas de pétrole, son industrie était frappée de routine, son agriculture restait figée.

D’autre part, sa population ne s’accroissait pas, comptant même, en certaines années, moins de naissances que de décès, dans le doute et l’amertume que cette situation lui inspirait vis-à-vis de lui-même. Les luttes politiques, sociales, religieuses ne laissaient pas de le diviser. Enfin, deux guerres mondiales l’ayant décimé, ruiné, déchiré, beaucoup dans le monde se demandaient s’il parviendrait à se ressaisir.

Or ce peuple, la France, s’est ressaisi. Déjà dans le mouvement national qui marqua la Résistance, il y avait une volonté vigoureuse de renouveau. Après la Libération, une forte impulsion fut donnée et par la suite, malgré maintes traverses, la tendance ne cessa pas d’être tournée vers l’expansion. Mais les lourdes séquelles d’un passé de stagnation continuaient à peser sur la nation et puis surtout, quelle que fut la valeur des hommes, l’impuissance de l’Etat vouait le pouvoir à être toujours précaire et toujours contesté. Il y a deux ans, nous nous trouvâmes soudain au bord de la guerre civile. Sans doute l’occasion de cette crise était-elle l’affaire d’Algérie, succédant à l’aboutissement humiliant de celle d’Indochine et exigeant une action nouvelle. Mais, nous nous trouvions en même temps dans nos territoires d’Afrique noire en présence du grand mouvement qui soulève ce continent. Et puis, comme tout se tient, l’arrêt des échanges extérieurs, l’épuisement de notre crédit, la ruine de notre monnaie, conséquences de l’inflation que l’on ne parvenait pas à endiguer, menaçaient d’un instant à l’autre de nous précipiter au gouffre !

C’est alors que le pays reconnut la nécessité d’une grande et forte politique. Il fallait d’abord assurer la vie de la nation en établissant sur une base solide et stable la production, les échanges, les finances, la monnaie, le niveau de vie ! Je sais quel sacrifice coûta, notamment aux Français modestes, le coup d’arrêt donné à la facilité mais l’équilibre a été rétabli, la récession a été évitée et, maintenant, l’activité reprend dans des conditions assainies. Il va de soi que ce n’était pas tout car d’autre part, en Afrique noire et à Madagascar, la route ouverte, et raisonnablement ouverte aux élans empêcha que ceci n’entraîne des suites qui auraient été catastrophiques. Et en Algérie, la décision de la France, jusqu’alors paralysée par des partis pris contraires et par des chimères opposées, fut prise et proclamée.

progrès de la puissance française et  de la condition humaine

Devant cet ensemble cohérent de résolutions politiques et en présence de la confiance exemplaire dont la nation a donné la preuve, le monde entier reconnaît que chez nous l’ordre et le progrès ont retrouvé toute leur chance ! Mais pourquoi faire ? Pour faire beaucoup car il s’agit de transformer notre vieille France en un pays neuf et de lui faire épouser son temps : il s’agit qu’elle en tire la prospérité, la puissance, le rayonnement. Il s’agit que ce changement soit notre grande ambition nationale. Etant le peuple français, il nous faut ou bien accéder au rang d’un grand Etat industriel ou bien nous résigner au déclin. Notre choix est fait : notre développement est en cours ! Il vise tout à la fois au progrès de la puissance française et à celui de la condition humaine. Nos plans prévoient qu’il s’accomplira pendant les prochaines années au rythme de 5 ou 6 % par an, élevant d’environ 4 % annuellement le pouvoir d’achat moyen.

Encore, peut-on imaginer que le marché commun des Six accélérera ce développement. Cela veut dire que, dans 20 ans, la France -à moins de catastrophe- sera deux fois plus prospère qu’elle ne l’est à présent. Cela veut dire aussi qu’un jeune couple, à qui un bébé est né ce matin, a toutes chances de voir ce petit garçon (quand il sera père à son tour) se trouver deux fois plus à l’aise que ses parents ne le sont aujourd’hui. Mais si nous vivons à l’époque industrielle, cela n’empêche que l’agriculture doit demeurer une branche essentielle de l’activité française puisque nous avons l’avantage de pouvoir nous nourrir de ce que produit notre sol, puisque nous avons ce qu’il faut pour être le pays du beau blé, de la viande de choix, du lait pur, du bon vin. Nous ne laisserons pas tarir cette grande valeur économique, sociale et nationale.

Françaises, Français, vous avez sous les yeux ce qui est fait pour promouvoir la France. Naturellement, c’est à la doter des sources d’énergie qui lui manquaient que d’abord nous nous appliquons. Le point où nous sommes parvenus justifie amplement nos peines : charbon en large suffisance, pétrole français ou africain qui, dans cinq ans, couvrira nos besoins, gaz de Lacq peu à peu réparti, bientôt gaz du Sahara dont les réserves inépuisables sont susceptibles de transformer la vie de l’Algérie et d’influer sur celle de l’Europe, électricité produite par l’hydraulique en quantité deux fois plus grande qu’il y a 10 ans, énergie atomique que les installations modèles ont commencé à fournir. L’accession de la France au rang d’un peuple qui bientôt trouvera chez lui force, courant et carburant et en fournira les autres est un des faits les plus saisissants de l’évolution mondiale et qui, pour notre indépendance, comporte des suites incalculables !

A condition bien entendu que, en même temps, s’accomplisse l’équipement industriel qu’il nous faut. A cet égard, je n’affirmerais pas que tout soit encore pour le mieux. Pourtant, regardez quels changements sont apportés jours après jour à l’appareil industriel français, quel effort y est déployé pour se reconvertir à mesure, quelle part des profits s’est réinvestie en vue du développement, quelle ambiance sociale meilleure, en attendant l’association, y règne dans nos entreprises. Et voici que se dessine dans nos exploitations agricoles l’aménagement des structures, des productions, du matériel, des ventes et des achats qui, seul, peut mettre l’agriculture française au niveau des réalités et que va d’ailleurs accélérer l’impulsion donnée par la loi ! Enfin, constatez à quel rythme se développe notre infrastructure : réseau routier, chemins de fer, ports, aérodromes, distribution de l’eau ! Il n’est pas un voyageur, un touriste, un campeur qui ne le voie de saison en saison.

Mais ce développement matériel, à quoi servirait-il s’il n’allait de pair avec le développement des moyens humains ? Or, on sait que la natalité française a repris vigoureusement, que l’excédent moyen des berceaux sur les tombeaux approche de 300 000 et que cet investissement-là va influer puissamment sur l’économie du pays. On sait quelle sécurité les assurances sociales procurent aux Français et, par là, à notre activité. On sait que 300 000 logements sont construits chaque année et contribuent directement au rendement du travail national. On sait le progrès du régime hospitalier et de combien sont allégés, au profit de l’effort collectif, les souffrances et les soucis. Mais aussi et surtout, on sait quelle transformation profonde est en train de s’accomplir dans notre enseignement tandis que, je dois le noter, la loi tend à y organiser la coopération de ce qui est public et de ce qui est privé. Nous entendons porter le niveau des connaissances de toute notre jeunesse à ce qui correspond au temps moderne : élargir le champ dans lequel l’activité générale puise les valeurs qui lui faut, donner à chaque enfant une chance entière à son départ pour la vie active. Comme les chiffres peuvent être éloquents, je dirais, par exemple, que le secondaire est destiné à recevoir bientôt 3 millions d’élèves, c’est-à-dire quinze fois plus qu’au début du siècle, et que nos universités auront à accueillir avant 10 ans 600 000 étudiants alors que 30 000 seulement s’y inscrivaient en 1900. En vérité, si on veut se faire une idée de l’énorme prélèvement que la collectivité française s’impose sur les profits du présent, sur les résultats du présent en vue de bâtir l’avenir, il n’est que de considérer l’emploi des deniers publics sur l’ensemble du budget de l’Etat. Tandis qu’à peine un quart est absorbé par le fonctionnement des services et qu’un autre quart pourvoit à la défense, le reste, c’est-à-dire la moitié, est principalement consacré à des investissements matériels et humains qui tous, en fin de compte, vont au développement national et social de la France.

décolonisation : Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités

Tandis que le génie du siècle change notre pays, il change aussi les conditions de son action outre-mer. Inutile d’énumérer les causes de l’évolution qui nous conduisent à mettre un terme à la colonisation par le fait des progrès accomplis dans nos territoires, de la formation que nous donnons à leurs élites et du grand mouvement d’affranchissement des peuples de toute la Terre ! Nous avons reconnu à ceux qui dépendaient de nous le droit de disposer d’eux-mêmes. Le leur refuser, c’eût été contrarier notre idéal, entamer une série de luttes interminables, nous attirer la réprobation du monde, et tout cela pour une contrepartie qui fut inévitablement effritée entre nos mains. Il est tout à fait naturel que l’on ressente la nostalgie de ce qui était l’empire, comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités ! C’est en les prenant pour base, ainsi que le font comme nous onze républiques africaines et la république malgache, que nous constituons avec elles un libre et amical ensemble pratiquant à l’intérieur de lui-même des relations étroites nourries de culture française, soutenant le même idéal, prêt à une défense commune dans le grand trouble, dans les grands remous auxquels l’Afrique est en proie et au milieu des courants qui divisent le monde, la communauté nous renforce tout en servant la raison et la fraternité.

Algérie : l’autodétermination

Et l’Algérie ? Ah, je n’ai jamais cru que je pourrais, d’un instant à l’autre trancher ce problème posé depuis 130 ans, mais je crois que jamais on n’a été plus près d’aboutir à une solution réelle. Le 16 septembre a été ouverte la route droite et claire qui doit mener l’Algérie vers la paix. Le gouvernement a adopté, le Parlement a approuvé cette décision de la France. Il est vrai que ceux qui s’acharnent à poursuivre une lutte fratricide peuvent provoquer encore des accrochages et des attentats, mais c’est un fait qu’il tombe chaque jour quatre fois moins d’hommes qu’auparavant. Surtout, il n’est contesté désormais nulle part que l’autodétermination des Algériens, quant à leur destin, soit la seule issue possible de ce drame complexe et douloureux. A cet égard, il est garanti que le choix sera complètement libre, que les informateurs du monde entier auront pour le constater pleine et entière latitude, que toutes, oui, toutes les tendances pourront prendre part au débat qui fixera les conditions du référendum, à la campagne auprès des électeurs et au contrôle du scrutin. D’ailleurs, les Algériens s’entendent déjà fort bien à exercer leurs droits civiques. Récemment, des élections pour les Conseils généraux ont eu lieu dans toutes les communes bien qu’une consultation de ce genre soulève ou ne soulève jamais nulle part l’intérêt passionné du public : 57 % des inscrits ont exprimé leur suffrage. Avec le concours des élus, qui, au deux tiers sont musulmans, vont être délibérés les problèmes de l’Algérie avant la paix revenue, d’être posés dans leur ensemble au suffrage universel. Une fois de plus, au nom de la France, je me tourne vers les dirigeants de l’insurrection. Je leur déclare que nous les attendons ici pour trouver avec eux une fin honorable au combat qui traîne encore : régler la destination des armes, assurer le sort des combattants. Ensuite, tout sera fait pour que le peuple algérien ait la parole dans l’apaisement. La décision ne sera que la sienne. Mais je suis sûr, pour ma part, qu’il prendra celle du bon sens, accompli en union avec la France et, dans la coopération des communautés, la transformation de l’Algérie algérienne en un pays prospère et fraternel ! Françaises, Français, voilà quels sont les terrains où nous jouons notre partie, et voilà où nous allons. Quelle que puisse être la diversité des idées et des intérêts, nous y allons tous ensemble car l’enjeu, c’est le destin de la France !

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