Immigration : union sacrée PS-Medef contre Guéant

  • Tefy Andriamanana – Marianne

 

933000-1106347Le ministre de l’Intérieur veut limiter l’immigration légale en France. Un vœu qui déplait tant à la gauche qu’au patronat. C’est surtout une nouvelle étape dans les revirements du pouvoir en matière migratoire.

 

Claude Guéant a encore fait parler de lui. En souhaitant « réduire l’immigration légale », le ministre de l’Intérieur a suscité un véritable tollé. Dans Le Figaro magazine, il expliquait ses objectifs : « J’ai demandé que l’on réduise le nombre de personnes admises au titre de l’immigration du travail. Et nous allons continuer à réduire le nombre d’étrangers venant en France au titre du regroupement familial ». En clair, le ministre de l’Intérieur pourrait durcir les conditions pour obtenir une carte de séjour. Sa machine à expulser était déjà juridiquement grippée, pour pouvoir monter ses muscles sur l’immigration, Guéant s’attaque cette fois aux entrées et non aux sorties d’immigrés.

Et le ministre compte sans surprise le PS parmi ses contradicteurs. Ces derniers ont d’ailleurs trouvé de bien curieux alliés pour tacler Claude Guéant : le patronat. « Le Medef lui-même a mis en garde contre le danger d’un pays qui se fermerait alors que l’immigration légale du travail correspond à un besoin de notre économie », a rappelé le parti dans un communiqué. En effet, l’organisation patronale a été la première à dénoncer les propos du ministre de l’Intérieur. « C’est très dangereux un pays qui se ferme » a estimé sa présidente Laurence Parisot. Elle a ajouté qu’« il faut savoir sur ce sujet trouver le bon équilibre entre la nécessité de rester un pays ouvert, (…) et en même temps il faut avoir un rythme suffisamment raisonnable pour pouvoir correctement, décemment, intelligemment, intégrer tout le monde ».

Qu’on ne s’y trompe pas, les préoccupations du Medef sont plus économiques qu’humanitaires. Mais les partisans d’une libéralisation des échanges économiques ont réussi à trouver là un terrain d’entente avec les partisans d’une libéralisation des échanges humains. La patronat a sûrement intérêt à voir arriver une main d’œuvre prête à travailler pour moins cher. En cela, la gauche devrait s’interroger sur le lien entre montée d’une immigration de travail et baisse des salaires. Un rapport du CAE de 2009 montrait qu’une hausse de 1% de l’immigration entraînait une baisse de 1,25% des salaires des moins qualifiés. Bien évidemment, cette donnée, comme toute statistique, est critiquable mais il n’empêche que l’idéologie de l’abolition des frontières prônée de part et d’autre de l’échiquier politique peut avoir des effets pervers pour les travailleurs. 

Gros intérêts économiques

Car derrière la question de l’immigration de travail, il y a de gros intérêts. C’est sans doute pour cela que, même dans son camp, Claude Guéant a été mis en difficulté. Christine Lagarde, ministre de l’Economie, a souligné l’importance de l’immigration pour les entreprises : « Dans le long terme, on aura besoin de main d’œuvre, on aura besoin d’effectifs salariés formés ». Cette ligne de fracture au sein de la droite est peu étonnante. Elle marque un hiatus entre droite conservatrice soucieuse de préserver la souveraineté et l’identité nationale (ou les gains électoraux qu’elle est supposée octroyer) et une droite libérale attentive aux intérêts des entreprises.

Ce clivage a déjà observé sur la lutte contre le travail illégal. Le Medef et la CGPME, suivis par des parlementaires UMP, avaient bataillé contre un texte trop sévère contre les patrons employeurs de clandestins. Et, suite aux propos de Guéant, Alain Minc, dans L’Express a tenu à répandre la bonne parole : réduire l’immigration légale, « c’est mésestimer (…) la logique d’une économie de marché ouverte à laquelle nous devons, nous ne le répéterons pas assez, une réussite incontestable ».

Mais en souhaitant réduire l’immigration de travail, Claude Guéant n’a fait que ressortir une vieille lune. En 2009, face à la crise, Nicolas Sarkozy tenait déjà le même discours. Il avait adressé une lettre de mission bien précise au ministre de l’Immigration d’alors Eric Besson. « Dans le contexte actuel de l’emploi et compte tenu d’un taux de chômage de 22,2% des étrangers non communautaires d’après l’INSEE, toute perspective d’une relance globale, massive et indifférenciée de l’immigration de travail doit être fermement écartée », écrivait-il. Une doctrine qui remet en cause le discours qu’il tenait en tant que candidat à l’Elysée et ministre de l’Intérieur.

Don Quichotte

Nous étions alors en 2006. Défendant son concept d’« immigration choisie », le futur chef de l’Etat prônait « une immigration de travail plutôt que familiale ». Des discours qui se sont traduits par la création des cartes « compétences et talents », carte de séjour de 3 ans (au lieu de 1 an) réservée aux travailleurs aux compétences spécifiques et aussi la mise en place d’accord bilatéraux définissant une liste de métiers pour chaque pays signataires.

Cinq ans après, ces mesures ont fait un flop. Selon les chiffres de l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration, révélés par Le Parisien, si l’immigration pour motif économique provenant des pays hors UE a augmenté de 29,8% en cinq ans passant de 24 293 entrées en France en 2005 à 31 532 en 2010, elle reste largement inférieure à l’immigration pour motif familial qui a justifié 84 126 entrées sur le territoire en 2010. Les cartes « compétences et talents » ont elles aussi peu fonctionné. Lors de la première année d’application en 2007, 5 de ces cartes ont été délivrées, 183 en 2008, 364 en 2009. Sur les accords bilatéraux, seuls six ont été, pour l’instant, signés et ratifiés avec le Bénin, le Congo, le Gabon, l’île Maurice, le Sénégal, et la Tunisie.

Bref, Claude Guéant prétend pouvoir mener une politique de maîtrise de l’immigration que ce soit pour réduire ou sélectionner les flux alors qu’il n’a jamais su mettre en place les outils adéquats. Dans sa nouvelle croisade, le ministre de l’Intérieur tient donc plus de Don Quichotte que de Godefroy de Bouillon.

1 commentaire sur Immigration : union sacrée PS-Medef contre Guéant

  1. diego maradona // 16 avril 2011 à 14 h 29 min //

    N’oubliez pas vous les politiques : votre vocation sacrée, c’est de prendre la défense des faibles et des petits contre les riches et les puissants qui veulent asservir le peuple à leurs vues.
    En l’occurence, le jeu défendu par Mme Parisot, l’avocate des puissants, est cousu de fil blanc : faire venir de la main d’oeuvre pas cher des pays du magreb pour réduire le cout du travail, quelle qu’en soit les conséquences à long terme, celles-ci mêmes que l’on commence à peine à mesurer, en menacant le gouvernement de délocaliser s’il ne se plie pas à ses vues.
    Mais vous les politiques, à qui le peuple accorde sa confiance, vous avez le devoir sacré de faire prévaloir le bien commun contre cette entreprise de destruction massive de la nation, que vous imposent les puissants.
    Si, par veulerie, par calcul bassement électoral, par esprit de soumission, vous vous dérobez à vos responsabilités, si vous n’opposez pas de la grandeur d’âme à ces revendications purement mercantiles des patrons, alors vous courrez un grand danger, car le peuple saura se vanger de vos trahisons répétées.
    On en est plus très loin désormais…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*