Nations unies : discours de M. Couve de Murville

Discours du ministre des Affaires étrangères sur la Communauté française et l’Algérie à la XVe session des Nations unies*

couve La plupart des problèmes concernant les régions de l’Afrique où la France a des responsabilités particulières ne sont nullement de la compétence de l’Organisation des Nations unies mais, il peut être bon à notre avis que son Assemblée générale en soit informée.

Certains de ces problèmes ont été, conformément à la Charte, discutés année après année par l’Assemblée générale. Ils concernent les territoires africains placés sous la tutelle de la France. Le 1er janvier et le 27 avril marqueront respectivement l’avènement à l’indépendance du Cameroun et du Togo. Notre Assemblée a déjà consacré cette évolution, que la France a menée à bonne fin avec votre concours. Tout s’est passé, à la suite d’élections libres et démocratiques, par des gouvernements régulièrement constitués.

Il est d’autres territoires africains au sud du Sahara, où la France a longtemps, parfois pendant des siècles, exercé les droits de la souveraineté, et qui ont, avec son concours et pour leur part marqué une profonde évolution. Cette transformation a été consacrée à l’occasion de l’élaboration, puis de l’approbation par référendum populaire, de notre nouvelle Constitution. Aux peuples de ces territoires il a été proposé de la manière la plus explicite et la plus solennelle de décider eux-mêmes comment ils entendaient construire leur avenir. Le choix leur a été offert entre deux solutions.

L’une de ces solutions était la rupture des liens qui les avaient jusqu’alors rattachés à la France. L’autre solution était l’entrée dans une communauté que nous étions prêts à édifier avec eux et dans laquelle ils bénéficieraient de l’autonomie la plus complète pour la gestion de leurs propres affaires, mettant en commun avec la France certaines responsabilités, telles que la défense et les affaires extérieures, conservant avec la République des liens particuliers et réciproques notamment dans les domaines financier, économique et culturel.

Le choix ainsi offert a été exercé le 28 septembre de l’année dernière par la voie d’un référendum organisé simultanément en territoire français et en territoire africain. En approuvant à une large majorité sa nouvelle Constitution, le peuple français a ratifié par avance le choix qui était fait par les divers peuples africains. En se prononçant librement pour ou contre le projet de constitution, ceux-ci ont fait connaître s’ils optaient Pour la communauté nouvelle ou pour la sécession.

Un des territoires africains, la Guinée, s’est prononcé pour le second terme de l’alternative. Sa situation nouvelle a été immédiatement reconnue par le gouvernement français.

Tous les autres territoires, en ratifiant la Constitution, se sont prononcés pour leur entrée dans la Communauté, c’est-à-dire ont décidé de prendre eux-mêmes en charge leur avenir en devenant des États, tout en maintenant leur coopération avec la France. C’est dans ces conditions qu’à l’automne de l’année dernière, entre le 14 et le 18 décembre, se sont constituées l’une après l’autre douze républiques qui constituent avec la France cette Communauté nouvelle : la République Malgache, le Soudan, le Sénégal, le Tchad, la République Islamique de Mauritanie, le Gabon, le Congo, la République Centrafricaine, la Côte-d’Ivoire, le Dahomey, la Haute-Volta et le Niger. Toutes ont maintenant fait ratifier leur propre Constitution, procédé démocratiquement à leurs élections législatives et régulièrement constitué leurs gouvernements. Toutes sont désormais des États nés dans la liberté, dans la fraternité et sans violence.

Voilà pourquoi la délégation qui a l’honneur de représenter la République française à cette Assemblée générale y représente aussi tous les autres États de la Communauté et comprend à ce titre des personnalités particulièrement représentatives de ces États.

J’ajoute qu’en entrant dans ce système nouveau, dont le caractère original n’a pas besoin d’être souligné, les nouveaux États africains et malgache n’ont pas figé leur avenir. D’après notre Constitution des accords peuvent intervenir pour modifier le domaine des affaires gérées en commun. Des regroupements territoriaux sont possibles. D’ores et déjà tous les pays qui constituaient, d’une part, l’ancienne Afrique-Occidentale française, d’autre part, l’ancienne Afrique-Équatoriale ont convenu de constituer entre eux une union douanière. Enfin, un article de la Constitution prévoit que tout État membre peut cesser de faire partie de la Communauté. Comme on le voit, les principes qui sont à la base de la formation de cette Communauté demeurent valables pour l’avenir, de telle manière qu’à toua moment les États qu’elle réunit n’en restent membres que parce que telle est leur libre volonté.

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui est inscrit à l’article premier de la Charte des Nations unies, est ainsi la règle qui a été suivie par le gouvernement français dans la politique qui l’a conduit, au cours des derniers dix-huit mois, à déterminer ses rapports avec les territoires africains dont il avait la charge. Partout des élections et des référendums ont été tenus en pleine liberté, partout les populations intéressées se sont prononcées et ont pris leurs décisions dans des conditions dont nul, ni au-dehors ni au-dedans, ne peut contester la régularité et la valeur.

J’ai parlé de la Communauté. Je crois bon, maintenant, d’évoquer une question très différente et, d’ailleurs, unique au monde, celle de l’avenir politique de l’Algérie. Le président de la République française, le général de Gaulle, a, dans la déclaration qu’il a faite le 16 septembre dernier, solennellement défini les conditions dans lesquelles sera fixé le destin politique de l’Algérie.

Encore une fois, le cas de l’Algérie ne peut être comparé à celui des territoires qui sont devenus aujourd’hui les États africains et malgache de la Communauté. Le territoire algérien qui, comme l’a dit le général de Gaulle, depuis que le monde est le monde n’a jamais connu d’unité ni. à plus forte raison, de souveraineté algérienne est depuis près d’un siècle et demi attaché à la France par des liens multiples et étroits, qu’il s’agisse de la structure démographique, de l’économie, de la culture, de l’administration. Un million de citoyens d’origine européenne y sont établis depuis souvent cinq ou six générations. Plus de trois cent mille Algériens travaillent en France, faisant vivre en Algérie par leurs rémunérations un million et demi de personnes, soit plus du cinquième de la population musulmane. L’Algérie ne peut assurer seule la subsistance d’une population déjà surabondante et qui s’accroît à un rythme accéléré. Son économie est depuis très longtemps, et par nécessité, étroitement imbriquée dans l’économie française. Elle ne trouve les ressources qui lui font défaut qu’en vendant sur le marché français des produits qui n’auraient de débouchés nulle part ailleurs, en envoyant une partie importante de sa population active gagner sa vie en France, enfin en organisant avec la France, et grâce aux investissements massifs consentis depuis longtemps par celle-ci, la mise en valeur progressive de son territoire. Le plan de développement connu sous le nom de plan de Constantine donne à cette mise en valeur une impulsion décisive : dès 1960, ce sont 100 milliards de francs, soit l’équivalent de 200 millions de dollars, qui seront consacrés par le budget français au financement de ce programme sans compter l’apport de capitaux privés considérables et les dépenses faites sur place par la France pour la gestion dans le domaine civil. Le pétrole et le gaz du Sahara fourniront d’autre part à une industrie naissante l’énergie abondante et à bon marché qui est indispensable.

Depuis plus de quatre années, l’Algérie est déchirée, ensanglantée, par une insurrection qui a pris très vite l’aspect d’une véritable guerre civile. Guerre civile où l’on ne trouve certainement pas, contrairement à ce que prétend une propagande simpliste et brutale, d’un côté les forces françaises, de l’autre les Algériens musulmans. De part et d’autre, combattants et victimes sont pour une large part ces Algériens musulmans. 120.000 de ceux-ci, c’est-à-dire beaucoup plus qu’il n’y en a dans les rangs de la rébellion et, pour le plus grand nombre des engagés volontaires, se trouvent dans les rangs de l’armée française. Parmi ceux qui tombent dans les combats, dans les embuscades, dans les attentats, la proportion des musulmans l’emporte de très loin.

L’insurrection prétend imposer par la violence la sécession. Nous gisons : il n’appartient à personne d’imposer à l’Algérie le régime qui doit être le sien. Ce régime ne peut résulter que de la volonté librement exprimée des Algériens eux-mêmes. Les combats, la violence, la terreur, ne sont pas les moyens de conduire à la solution. Qu’ils cessent et que l’on appelle à se prononcer, dans la paix et dans la liberté, les hommes et les femmes d’Algérie, tous les hommes et toutes les femmes, sans distinction de race, de religion ou d’appartenance politique. Voilà le programme que la France a solennellement formulé. L’insurrection ne saurait dans ces conditions prétendre à aucune justification politique ou morale. « Pourquoi donc, disait le président de la République dans la déclaration à laquelle je me suis déjà référé, les combats odieux et les attentats fratricides, qui ensanglantent encore l’Algérie continueraient-ils désormais ? »

Ce vote auquel sont appelés les Algériens, déjà les mesures prises depuis un an et demi en ont préparé les voies. Le collège unique a été tué, qui assure à la population musulmane, et de loin, la grande majorité des suffrages et des élus. Bien des scrutins ont déjà eu lieu où de nombreux candidats de nuances diverses ont sollicité les suffrages des électeurs. Le plus important a été, le 28 septembre 1958, la participation des Algériens au référendum sur la Constitution. Par ce vote, dont on ne saurait contester la signification, la grande masse des Algériens a marqué ‘ils entendaient que leur avenir se fasse avec la France, et, pourquoi ne le dire ? qu’ils faisaient confiance à cette fin au général de Gaulle.

L’instrument existe donc. La paix revenue, il sera utilisé pour procéder au référendum par lequel les Algériens choisiront leur destin. Ce référendum n’est concevable en effet que lorsque les combats auront cessé. J’ai déjà dit qu’ils n’avaient d’ores et déjà pas de sens. L’offre de cessez-le-feu faite il y a un an conserve à cet égard toute sa valeur. La paix restaurée pour l’essentiel, un certain délai est nécessaire pour organiser le vote dans des conditions qui ne puissent prêter à contestation. Un terme maximum de quatre années a été fixé. Il importe que le scrutin ait lieu dans un pays pacifié où les conditions normales de la vie auront été restaurées. Il faut que les exilés soient revenus, que ceux qui se battaient soient rentrés librement dans leurs foyers. Les garanties les plus complètes sont données que tous, quelle que soit leur position ou leur appartenance, pourront participer à la vie politique, faire entendre leur voix, jouer leur rôle. Je ne vois pas, en vérité, ce qui pourrait être fait de plus pour assurer la loyauté et la validité d’une telle consultation. En outre, quiconque pourra, sans entraves, venir de l’étranger observer le déroulement de l’opération. Et d’ailleurs, je le demande, comment serait-il possible, dans le monde où nous vivons, et sur un pareil sujet, que les électeurs soient en masse contraints ou induits en erreur ?

L’objet du référendum ne peut être que le choix entre les solutions possibles et qui sont, chacun le sait, au nombre de trois. La sécession, la francisation complète, le gouvernement des Algériens par les Algériens, en union étroite avec la France dans les domaines de l’économie, de l’enseignement, de la défense et des relations extérieures.

Voilà ce que la France entend réaliser avec les Algériens et qu’une voix bien plus autorisée que la mienne a fait connaître à tous, qu’ils soient musulmans ou qu’ils soient européens, qu’ils se tiennent à ses côtés ou qu’ils la combattent. La voie est claire, sincère, sans équivoque. Elle est de nature, elle est seule de nature, à mettre un terme à bref délai à un drame qui n’a que trop duré.

Depuis plusieurs années, les Nations unies ont été saisies et ont discuté du problème algérien. La délégation française s’est toujours prononcée contre un tel débat parce qu’elle considérait, et continue à considérer, qu’aux termes de la Charte il n’est pas de la compétence de notre Organisation. La majorité de cette Assemblée a, cette année encore, passé outre à notre opposition. Nombre de ceux qui se sont ainsi prononcés contre nous ont été mus par des intentions, parfois généreuses sans doute, mais, je le pense, mal éclairées. Je suis pour ma part convaincu que l’intervention des Nations unies dans le passé n’a pas, bien au contraire, contribué à faciliter la solution du problème algérien. Entretenir, susciter les passions, ne peut servir la cause de la paix. Ce que je tiens à dire pour l’avenir et en particulier pour la présente session, c’est que, même si elle est décidée à dépasser les limites de compétence que lui fixe la Charte, je ne vois vraiment pas comment notre Organisation pourrait maintenant expliquer une intervention. Il ne lui appartient pas de prendre pour le compte d’un de ses membres des décisions dont celui-ci a seul la responsabilité. Or, le gouvernement français non seulement reconnaît, mais proclame, en décidant solennellement le recours à l’autodétermination, que les Algériens ont à choisir eux-mêmes leur destin. Ils le feront en toute liberté et en pleine connaissance de cause.

* ce texte a été corrigé, puis validé par le Général

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