La Libye fait tourner les têtes des intellos et des politiques

 

  • Régis Soubrouillard – Marianne

Dessin de LouisonPour empêcher Kadhafi de s’emparer de la capitale de la révolution libyenne, « il est minuit moins cinq » tempêtait BHL hier matin sur France Inter, vantant le courage politique d’un Sarkozy, qu’il compare à Mitterrand avant de dénoncer le silence coupable du Parti Socialiste. Des opposants farouches à Sarko suivent le même chemin. A travers le complexe cas libyen, ce sont de nouvelles lignes de fractures politiques et intellectuelles qui se dessinent.

Sarkozy et BHL sont sur un bateau. Personne ne tombe à l’eau. Sarko-BHL: duettistes de l’impossible. Chacun dans son rôle. Au politique, passé à côté de toutes les révolutions arabes, désormais déterminé à remuer tous les « machins » -Onu, Union Européenne etc.- qui pondaient des condamnations en batterie et s’interdisaient de bouger le moindre petit doigt pour soutenir les insurgés libyens.

Au philosophe médiatique d’interpeller médias, opinions, intellectuels sur le drame qui se joue en Libye.

L’improbable alliance a porté ses fruits après un plaidoyer de Juppé à l’ONU qui exhortait, jeudi, le conseil de sécurité de l’ONU « à autoriser le recours à toutes les mesures nécessaires » pour empêcher les forces de Kadhafi d’écraser le soulèvement. L’ONU a ainsi donné son feu vert à des opérations militaires auxquelles les français participeront.  Et s’il convient de rester prudent, dans la foulée, le Ministre Libyen des affaires étrangères a annoncé un cessez le feu immédiat. 

Cela n’a pas été sans mal. Contrairement aux autres révolutions qui ont agité le monde arabe, le cas libyen n’a pas fait l’unanimité. Profitant de l’immobilisme de la communauté internationale, les troupes de la garde révolutionnaire n’ont cessé de gagner de regagner du terrain. En pointe, Sarkozy et BHL ont tenté de faire bouger les lignes. Longtemps, chacun dans leur coin, ils ont prêché dans le désert.

Reçus à l’Elysée à l’instigation du philosophe, dès le 10 mars, le président de la République accédait à toutes les requêtes des émissaires de l’opposition libyenne reçus à Paris : reconnaissance immédiate de l’opposition libyenne, action militaire sous forme de frappes ciblées, brouillage des communications de Kadhafi, instauration d’une zone humanitaire. Pour seule réponse, l’Europe s’autorisait à afficher ses divisions. Pure perte de temps. Du moins le croyait-on.

Jeudi, sur France Inter, BHL auto-promu inspirateur de la ligne diplomatique française ne boudait pas son plaisir, distribuant bons et mauvais points politiques, décrivant l’Histoire en train de s’écrire, s’improvisant accessoirement chef d’Etat major des armées « la destruction des aéroports qui était suffisante il y a quatre jours ne l’est plus aujourd’hui et pour sauver la Libye libre il faut bloquer les colonnes infernales qui marchent sur Benghazi. Il faut des frappes ciblées sur les tanks, sinon ça va être un bain de sang. Kadhafi va se venger du peuple libyen, du printemps arabe qui prend un coup de froid et il va plastronner sur l’occident qui l’a humilié ».

Rallié à Sarkozy, BHL compare son –toujours – adversaire politique à Mitterrand lors de la guerre de Bosnie : « Et il se trouve que le président de la République a, aussitôt, le juste réflexe – pas le calcul, non, le réflexe, l’un de ces purs réflexes qui font, autant que le calcul ou la tactique, la matière de la politique ; il se trouve qu’il a le même type de réflexe qu’eut François Mitterrand le jour où, dans des circonstances tragiquement semblables, alors que la Bosnie brûlait, je l’appelai de Sarajevo pour lui annoncer que je lui amenais le président bosniaque Izetbegovic ». Au passage, Juppé est contourné, explosé façon puzzle, passé du statut de vice-président à Kouchner-bis et à deux doigts de démissionner si l’on en croît Le Point.

BHL pointe le silence du PS

Sur le site de la revue qu’il dirige –La règle du jeu-, BHL publie un long texte sobrement intitulé Bernard-Henri Lévy, Sarkozy et la Libye. Texte dans lequel le nom d’Alain Juppé n’apparait jamais, au contraire de ceux de Jean-David Levitte, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, ou d’Henri Guaino.

Pour Sarko, l’occasion est trop belle de redorer le blason de la France à l’étranger après le piteux épisode MAM. Impossible de laisser le beau rôle à Juppé.

D’autant que Sarkozy ne désespère pas de faire voter une résolution par les Nations-Unies, bénéficier du soutien de l’Otan et d’obtenir le soutien de ses partenaires européens. Il n’en sera rien. A l’ONU, la Russie et la Chine sont très réticentes à toute intervention armée. L’Otan se dit « vigilante » -ça ne mange pas de pain- mais refuse toute intervention sans mandat de l’ONU et en Europe, l’union des unions, à part le Britannique David Cameron, personne ne soutiendra le président français. La chancelière allemande Angela Merkel se dit « très sceptique », de même que les américains qui depuis se sont ralliés à la position de Sarkozy. 

Sur France Inter, BHL s’époumone indiquant qu’il faut agir même sans mandat de l’ONU : « Il y a des situations d’urgence humanitaire où si l’on n’arrive pas à avoir de mandat il faut y aller sans mandat. Au Kosovo, il n’y avait pas de mandat ! » avant de pointer « l’assourdissant silence de la gauche française et du parti socialiste ». Le philosophe-de-gauche tire contre son camp.

C’en est trop, l’ancien Ministre de la défense, Paul Quilès saute sur son téléphone  : « cela fait exactement 22 jours que j’ai lancé un appel au président de la République, le 24 février pour qu’il prenne une décision dans la journée. Je l’ai demandé tous les jours. Je dois dire que j’ai été moins entendu que Bernard-Henri Lévy mais il est très injuste de dire que le Parti Socialiste n’est pas intervenu pendant cette période » rétorque-t-il sur France Inter. Mieux vaut passer au 20 heures de TF1 qu’être un élu du peuple, ancien Ministre de surcroît, pour se faire entendre de Sarkozy.

Alliances de circonstances ou redistributions durables

A travers cette improbable(?) alliance, les cartes du jeu politico-intellectuel sont redistribuées. Depuis le début du printemps arabe, rien ne va plus. Au moment de la révolution égyptienne, BHL et Tariq Ramadan estimaient tous deux, que l’éventualité de l’arrivée des frères musulmans au pouvoir était une vue de l’esprit occidental.

Alexandre Adler est de ceux qui ont louvoyé, qualifiant longtemps le régime de Ben Ali de « despotisme relatif », le chroniqueur de France Culture, se montrait beaucoup plus sévère avec Moubarak et fut l’un des premiers à se montrer favorable à une intervention militaire en Libye avec l’aide de la Tunisie et de l’Egypte. 

A propos de la Libye, sur son blog, David Desgouilles se demande si pour une fois « Sarkoy n’aurait pas raison ? » : «  La manière dont le Président a tenté de mettre l’Allemagne au pied du mur la semaine dernière, constitue un sursaut salutaire » écrit-il.

Rédacteur en chef de Causeur, François Miclo, ni sarkozyste pur jus, ni BHLien de la première heure va plus loin. Il pointe les éditorialistes qui « se gaussent de BHL rencontrant à Benghazi les représentants du Conseil national de transition libyen, pour ne retenir que sa chemise, son torse imberbe et son air de bourgeois germanopratin. Ils ironisent sur Sarkozy recevant à l’Elysée les gus du Conseil national de transition, pour rappeler la popularité exécrable du chef de l’Etat, les prochaines présidentielles et l’irrésistible ascension de Marine Le Pen. Bref, on parle de tout, sauf de l’essentiel. Et l’essentiel, c’est que Nicolas Sarkozy vient de réussir ici son quinquennat ».

Confronté à ce cruel dilemme, Schneidermann botte en touche  : « D’un côté, Kadhafi. De l’autre, le duo Sarkozy-BHL. Je n’ai pas besoin, j’imagine, de développer ici les raisons qui rendent ce choix, posé ainsi, impossible. Nous sommes beaucoup, dans ce pays, à ne faire pas davantage confiance à BHL pour nous désigner les bons et les méchants, qu’à Sarkozy pour engager l’armée ».

Farouchement opposé au droit d’ingérence et devoir d’ingérence, le 11 mars sur Atlantico, Hubert Védrine se disait hostile à « une intervention militaire coloniale à l’ancienne »: « Nous ne pouvons pas invoquer sans arrêt le droit à la démocratie, le droit international et ne pas tenir compte de l’obligation d’avoir l’accord des membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU pour une intervention ». N’excluant aucune hypothèse, même militaire, Védrine refusait la passivité. L’ancien Ministre des affaires étrangères s’est montré beaucoup plus clair, ce vendredi, dans une interview à Libération,  affichant son soutien à une intervention en Libye, estimant qu’il ne s’agit pas d’une « ingérence », mais de « la responsabilité de protéger » un peuple qui appelle à l’aide.

« On peut critiquer ou refuser l’ingérence; en revanche, il est difficile de refuser de protéger un peuple qui appelle à l’aide contre un régime ubuesque! Ou alors le discours sur la +communauté internationale+ est du vent », déclare-t-il dans cet entretien, recueilli avant le vote du Conseil de sécurité de l’Onu qui autorise des frappes en Libye.

Toujours sur Causeur, l’historien Gil Mihaely apporte une autre pierre au débat : le témoignage de James Clapper, directeur des services de renseignements américains devant la commission de défense du Sénat. James Clapper explique que contrairement à la Tunisie et à l’Egypte, en Libye compte tenu des loyautés tribales ancestrales, la pression de la rue n’a pas affaibli le pouvoir et que « Kadhafi peut l’emporter », que les armes des rebelles défaits pourraient même, en cas de défaite, se retrouver dans les mains d’Al Qaïda. Thèse soutenue par Kadhafi lui même, que légitime un officier du renseignement américain et qui sera corroboré, plus tard, par l’un des leaders d’Al Qaïda en Libye qui apportera son soutien aux insurgés.

Gil Mihaely répond, ici à François Miclo : « Le Frère guide libyen, on est tous d’accord, est une crapule mais au fond, que sait-on des insurgés ? Avons-nous assez confiance en eux pour faire la guerre à leurs côtés ? Les réserves émises par Merkel et Ashton sont-elles forcément, comme semble le penser l’ami Miclo, l’expression de leur lâcheté ? Une intervention militaire est-elle la meilleure solution dans le chaos libyen ? ».

Il y a des jours comme ça où les frontières sont floues et mouvantes, quand vient le temps de choisir son camp. Reste à savoir s’il n’est question là que d’alliances de circonstances ou si ces nouvelles convergences préfigurent des rapprochements durables ?

6 commentaires sur La Libye fait tourner les têtes des intellos et des politiques

  1. Bernard-Henri-Lévy et Sarkozy sont de la même trempe ,c’est-à-dire du côté de Tel-Aviv (Israêl) et des U.S.A .Il faut comprendre aussi ,ils sont tous les 2 juifs .Il est normal qu’ils défendent leurs propres intérêts légaux auprès de ces 2 pays alliés (Israêl et U.S.A compris ) contre le monde arabe et islamique .Ils veulent aussi que les pays arabes soient sans défense militaire dangereuse et mortelle contre Israêl Ils voudraient voir que Al-Qaîda soie au pouvoir dans le monde arabe ! pour mieux s’imposer et dominer le Moyen-Orient ,et Proche-Orient ,et aussi l’Afrique du Nord pour mieux s’emparer du pétrole ,et du gaz-naturel .Sans oublier la présidentielle 2012 pour pouvoir contrer la présidente du F.N Marine Le Pen et gagner au sécond tour contre elle ,grâce au vote massif du peuple Français .Il est très futé comme un goupil ce sarko ! PS Je m’ai rien contre le peuple juif .

  2. BOBET francois // 24 mars 2011 à 22 h 06 min //

    2 questions: allons-nous intervenir dans tous les pays dont le dictateur opprime son peuple et ensanglante la carte du monde (au pays idéal des Bisounours la réponse serait évidemment oui)
    quelle sera notre attitude si les troupes loyales à Kadhafi reprennent le controle du pays (on pourra le ré-inviter à planter sa tente en plein Paris et tenter de lui vendre quelques Rafale)
    Si les soutiens aux va-t-en-guerre peuvent m’éclairer, je suis preneur…

  3. mélons nous déja de nos problèmes internes avant de donner des leçons aux autres

  4. Bellenger // 22 mars 2011 à 11 h 03 min //

    Je ne suis pas anglais, mais leur locution me botte : « Wait and see ! »

    Nous voulons donner des leçons aux autres, mais nous oublions de balayer devant notre porte. Notre gouvernance est tellement malade, que notre démocratie va à vau l’eau : 55% d’abstentions au dernier vote. Mieux encore, la Belgique est sans gouvernement depuis des mois, et ça ne se voit pas. Il est vrai que tous nous avons donné le pouvoir à la finance par le traité de Maastricht. C’est elle qui gouverne, et non pas nos hommes politiques. Gouverner, pour eux, c’est faire ce que demande l’oligarchie financière ! Je croyais que pour un gaulliste, la politique de la France ne se fait pas à la corbeille.

  5. je reconnais là, la FRANCE et la voi de son peuple représenté par son PRESIDENT.

    sinon à quoi serv l’HISTOIRE? combien de pays occidentaux dans l’immobilisme? et des HOMMES meurt dans indifférence général, juste la LIBERTE de mourrir en homme libre, pour leurs avenir, celle de leurs enfants pour ne pas mourrir de faim.

    l’individualisme de nos pays occidentaux, la cause, des contrats, la peur du terrorisme, la geopolitique stratégique. es ce une raison de laissé des mitraillettes contre des chars et des avions de combats?

    kadhafi à ouvert le feux sur les insurgés, les enfants, les femmes et les hommes de sont peuples sans regardé, sans aucune dignité, en embauchant des mercenaires qui règne en maitre dans certain pays d’afrique.

    il brandi les milliars qu’il à volé à son peuple, insulte l’ensemble des pays de la coalision sans jamais être inquièté. je salue le courage de SARKOSI et je suis d’accord avec ou sans l’aval de l’ONU, il fallait défendre les insurgés.

    je pense aussi qu’en fonction des soulèvements populaires face aux dictateurs du magreb et en afrique, ils réfléchiront à deux fois avant d’excuter les hommes, les femmes, les enfants de leurs peuples.

    je suis navré de constaté les discours des journalistes, des médias, leurs scepticismes est navrant tout comme leurs peurs et celles qu’elles transfert aux citoyens. une action, une coalition pour la liberté et pour évité un massacre de millier d’être humains.

    seule les peuples qui souffrent de dictature, appréciront l’acte de la FRANCE, ils seront que demain l’espoir est né pour des jours meilleurs et que la démocratie est leurs seule voi de LIBERTE.

  6. Jean-Dominique GLADIEU // 21 mars 2011 à 12 h 34 min //

    Tout à fait d’accord avec Gil Mihaely. De plus, comment avoir confiance dans le « machin » qui n’est (mais peut-il en être autrement) que la caisse de résonance des rapports de force internationaux ? Hormis cette réalité, le reste n’est-il pas que folklore ?

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