Du discours aux actes

 

Par Karim Ouchikh – 4 mars 2011

 

0lepuyenvelais Avec une constance qui n’a guère de précédent dans l’histoire politique de la République, Nicolas Sarkozy vient à nouveau de célébrer « l’héritage chrétien de la France », en plaçant son propos dans une perspective résolument culturelle.

« La protection de notre patrimoine est un devoir politique car c’est lui, notre patrimoine architectural, artistique, qui inscrit notre pays dans le « temps long » d’une histoire multi séculaire. Ne pas s’occuper du patrimoine, c’est trahir l’histoire d’un pays. Protéger notre patrimoine c’est protéger l’héritage de la France, c’est défendre les signes les plus tangibles de notre identité». En rajoutant que « la chrétienté nous a laissé un magnifique héritage de civilisation et de culture », Nicolas Sarkozy a tenu de belles et fortes paroles, le 3 mars 2011, sous les vénérables voûtes de la cathédrale du Puy-en-Velay (Haute-Loire), haut lieu du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle.

Avec cette visite éminemment symbolique, le chef de l’Etat entend à coup sûr donner le coup d’envoi d’une tournée que le conduira, ces prochains mois, à arpenter les hauts lieux de la mémoire de la France. Aux yeux de bien des Français, le thème de la mémoire de la France est indissociable du débat sur l’identité nationale qui a suscité naguère tant de polémiques, et chacun pressent, sous cet angle, l’importance politique que revêtira, à l’approche du scrutin présidentiel, la question de la sauvegarde du patrimoine historique de notre pays.

Défendant son bilan, l’actuel hôte de l’Elysée a rappelé que « le budget de restauration des monuments historiques a atteint en 2008 le montant historique de 380 millions d’Euros, et de 400 millions l’année dernière » ; « le Plan de Relance qu’a adopté le gouvernement a permis la réouverture de chantiers de restauration qui avaient été abandonnés, laissant les plus beau fleurons de notre patrimoine architectural se détériorer inexorablement » a-t-il ajouté.

Nicolas Sarkozy a insisté sans détour sur l’un des ressorts idéologiques qui anime la politique de l’Etat en ce domaine : « C’est ainsi qu’entre 2009 et 2010, 47 des 86 cathédrales appartenant à l’État ont bénéficié d’une opération de restauration. Dès cette année d’autres chantiers majeurs seront ouverts, comme celui de l’abbaye de Clairvaux, autre lieu exceptionnel et témoignage vivant de l’apport de la Chrétienté à notre civilisation. En disant cela je ne fais simplement que rappeler une évidence : l’apport de la chrétienté à notre civilisation….. ».

Quoique non dénué d’arrière-pensées électoralistes, le discours du Puy-en-Velay ne serait-il pas fondateur d’une prise de conscience bienvenue de l’urgence qui s’imposerait désormais aux pouvoirs publics, celle de préserver résolument notre patrimoine historique et d’en valoriser les richesses culturelles autant que les atouts économiques ?

Chacun aimerait l’espérer. Sans grande conviction toutefois. A bien mesurer la consistance des ambitions présidentielles à l’aune des réalités quotidiennes, il y a loin malheureusement de la coupe aux lèvres : que penser en effet, parmi maints exemples récents, du scandale de la restitution des manuscrits coréens ou de l’accablante affaire de l’hôtel de la Marine !

En vérité, Nicolas Sarkozy ne peut plus se contenter d’improviser, comme à son habitude, une politique de sauvetage du patrimoine monumental en multipliant opportunément les effets d’annonce, hier à Vézelay, aujourd’hui au Puy-en-Velay, pas plus qu’il ne peut davantage abuser les Français en ‘‘recyclant’’, sous couvert du Plan national de Relance, des opérations éparses de sauvetage qui avaient été naguère programmées ici ou là par le ministère de la Culture sans la moindre vision stratégique d’ensemble.

La gravité de la situation impose des choix décisifs. Les Français n’accorderont demain crédit au chef de l’Etat de sa volonté alléguée de protéger sincèrement le patrimoine historique de la France que lorsque les services de l’Etat se mobiliseront véritablement en faveur d’un vaste programme d’action pluriannuel doté d’engagements financiers significatifs et contraignants.

De ce point de vue, quoi de plus emblématique de l’incurie des pouvoirs publics en matière culturelle que l’état d’abandon durable dans lequel est dramatiquement plongé la nécropole des rois de France, au grand dam de l’UNESCO ?

Cette situation scandaleuse, Montjoie Saint-Denis la dénonce avec force. Œuvrant inlassablement à la sauvegarde du site légendaire abrité dans les murs de la basilique de Saint-Denis, cette association attendait, confiante, une réponse à sa supplique adressée au chef de l’Etat, le 19 décembre 2010 : aux termes de cette lettre ouverte, il s’agissait ni plus ni moins, pour Montjoie Saint-Denis, que de mobiliser énergiquement les moyens de l’Etat pour sauver ce lieu qui symbolise, plus que tout autre, l’héritage indivis de l’Histoire de France.

Par courrier du 24 février 2011, le chef de l’Etat vient d’y donner suite, sous la plume de son chef de cabinet. Pour encourageante qu’elle soit, la réaction du chef de l’Etat est toutefois notoirement insuffisante au regard de ses ambitions qu’il ne cesse d’afficher en matière culturelle : certes, Nicolas Sarkozy prend le soin de mettre en avant son « engagement en faveur de la mise en valeur et de la transmission aux générations futures du patrimoine culturel d’hier et d’aujourd’hui ». Assurément, il est tout aussi louable d’avoir « consacré à la restauration des monuments historiques et, parmi eux, de plus de quarante cathédrales, une partie des crédits du Plan de Relance», mais la réponse donnée en pratique par les services de la rue de Valois au défi immense de la restauration de la nécropole royale n’est en rien satisfaisante, à en juger en vérité par l’état sinistré de ce site qui se dégrade d’année en année dans l’indifférence des Français.

Le ministère de la Culture est saisi de l’initiative de Montjoie Saint-Denis, nous assure le chef de l’Etat. Fort bien, mais nos compatriotes comme tous ceux qui, hors de nos frontières, demeurent pareillement attachés au rayonnement de ce lieu majeur de la mémoire de la France, attendent en réalité des pouvoirs publics des résultats tangibles qui tardent malheureusement à se concrétiser, en dépit des discours lénifiants.

Voici tout juste cent ans, Maurice Barrès montait à la tribune de la Chambre des Députés et haranguait ses collègues parlementaires avec un succès inattendu ; au lendemain du douloureux vote sur la séparation des églises et de l’Etat, le député de Paris sonnait alors le tocsin et alertait le pays au sujet de la situation alarmante des églises de France. De cette mobilisation inédite de l’opinion publique en faveur du patrimoine religieux de la France, naîtra un ouvrage majeur publié par l’auteur de la Colline inspirée, à la veille de la Première Guerre mondiale : La Grande Pitié des églises de France.

Un siècle plus tard, les défis ne sont pas moindres, à ceci près que la France contemporaine qui se doit de les affronter à présent n’est plus tout à fait cette France puissante qui, au début du XXème siècle, pouvait encore s’appuyer lucidement sur les ressources de son génie propre. Devant pareil constat, faut-il pour autant baisser les bras ? Certes, non !

Du discours aux actes, Nicolas Sarkozy est aujourd’hui au rendez-vous de l’Histoire ; pas de celle qui, au fil des contingences électorales, doit petitement s’écrire dans quatorze mois ….

1 commentaire sur Du discours aux actes

  1. Voici des déclarations qui peuvent prêter à confusion. Il ne faut pas s’y méprendre cependant. La déclaration du président ne vise que les monuments laissés, c’est ce qu’il entend par héritage chrétien. Vouloir croire qu’il entend par là : l’héritage culturel et la civilisation que les chrétiens ont construit, ce serait aller trop loin, le président n’y croit pas un instant, et ne veut pas en entendre parler. Et bien évidemment encore moins garder l’orientation de la France dans cette direction.
    La Chrétienté ne s’accommode pas du business matérialiste ou des idéologies laïques, les deux asservissent. Définitivement et sans équivoque.

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