Au général d’armée Ély

 

 

17 janvier 1959

 

 

Ely

 

Le général Paul Ély, qui a été chef d’état-major général de 1949 à 1961, est un personnage mal connu. Étant à la charnière du politique et du militaire, il a pourtant joué un rôle éminent dans la politique de défense des IVe et Ve Républiques, et en particulier dans quatre domaines de responsabilité :

– la liquidation de la présence française en Indochine,

– la préparation de l’expédition de Suez,

– la politique militaire en Algérie,

– le Plan militaire à long terme qui sera mis en œuvre ensuite par le général de Gaulle.

 

Mon cher Ély,Je vous retourne la lettre du général Challe que j’ai lue avec beaucoup d’attention et d’intérêt.Ma confiance est entière dans le commandant en chef en Algérie pour tout ce qui concerne l’exécution de sa mission. Je crois qu’il a tout à fait raison de vouloir constituer des forces de frappe plus importantes et de s’en servir et je crois, comme lui, que l’encadrement d’un grand nombre de nos unités est insuffisant.Quant à la politique que la France doit faire en ce qui concerne l’Algérie, c’est au total mon affaire et je n’attends des subordonnés rien d’autre que ceci : qu’ils l’exécutent franchement.Il est possible qu’un jour vienne où l’intégration soit une possibilité en Algérie. Mais ce jour n’est pas venu puisqu’il nous faut tuer mille combattants adverses par mois* et que, néanmoins, nous trouvons devant nous l’insurrection active et intacte depuis plus de quatre ans.Et cela, bien que nous ayons en Algérie 400 000 hommes, plus que Napoléon n’en avait pour conquérir l’Europe. Il faut donc bien reconnaître que l’intégration n’est actuellement qu’un vain mot, une espèce de paravent derrière lequel se cachent les peurs ou les impuissances.

La seule politique acceptable consiste à désamorcer la guerre en suscitant la transformation et, par conséquent, la personnalité de l’Algérie.

Cela durera longtemps et coûtera cher. Quand ce sera fait, on verra. Le reste est slogans, démagogie, vanité.

Bien cordialement à vous

 ———————————————————

*  Les chiffres relatifs à la rébellion algérienne ont toujours pu être qualifiés de forts et même parfois d’exagérés, malgré la mise en place sur ordre du général de Gaulle, à partir de 1959, d’un système de constats obligatoires, par la gendarmerie, des adversaires tués, blessés et prisonniers. Les archives des états-majors français à Alger dénombrent à la fin de 1958 environ 70 000 tués, blessés et prisonniers de la rébellion après quatre années de conflit. De même ces états-majors estimaient à environ 17 000 les rebelles sur le territoire algérien à l’intérieur des barrages établis par les Français aux frontières tunisienne et marocaine. Durant le mois de janvier 1959 les pertes des rebelles se seraient élevées à 2734 tués, blessés ou prisonniers en même temps que l’apparition de la nouvelle tactique française très efficace des «commandos de chasse» faisait tomber à environ 8 000 les effectifs de la rébellion restés en territoire algérien, composés essentiellement d’agitateurs, d’hommes de main, de collecteurs de fonds et de patrouilles de l’importance d’un groupe, d’une section ou plus rarement d’une compagnie, tandis que le gros de l’armée du FLN s’était replié en Tunisie et au Maroc. Durant le même mois de janvier 1959, les pertes franco-musulmanes étaient chiffrées à 823 militaires et civils.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*