« La France est-elle finie ? » de Jean Pierre Chevènement

 

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Comme mes collègues blogueurs Laurent Pinsolle et David Desgouilles j’ai été destinataire du dernier livre de Jean Pierre Chevènement avant sa sortie au début du mois de Janvier. C’est donc avec beaucoup de retard que je vais livrer les commentaires et les réflexions que m’a inspiré cette lecture extrêmement stimulante.

Je ne vais pas tenter de résumer le contenu particulièrement dense de ce livre. Je renvoie donc ceux qui n’auraient pas encore lu cet ouvrage aux articles qui lui ont déjà été consacré, notamment ceux de mes éminents collègues, ainsi qu’aux nombreuses interventions médiatiques de JPC aisément accessibles sur le net.

Je vais plutôt tenter de prolonger la réflexion à laquelle nous invite Chevènement sur quelques points particuliers : la relation franco-allemande, l’idéal républicain, sans oublier bien sûr la question-titre de savoir si notre pays a encore un avenir en tant que nation.

Je me dois néanmoins en préambule de rendre hommage au travail de synthèse contenu dans toute la première partie de l’ouvrage. Jamais, je crois, les différentes dimensions de la crise actuelle, celle de la construction européenne, de l’euro, de la gauche, du néolibéralisme ou de la mondialisation n’avaient été exposées avec tant de brio. La synthèse est parfaite, la mise en perspective historique admirable, le diagnostic complet et juste, le tout dans une forme particulièrement accessible et avec un sens aigue de la pédagogie, ce qui fait de ce livre un remarquable manuel de culture générale ou d’histoire contemporaine dont je ne saurais que trop conseiller la lecture, notamment aux jeunes générations.

Que faire de l’Europe ?

Les souverainistes seront probablement déçus. JP. Chevènement est très loin de prôner une sortie de l’Union Européenne, ni même une révision des traités ou encore un retour aux monnaies nationales qu’il a popularisé avec son expression « quand on est dans un avion, on ne saute pas par le hublot ». Sur ce dernier point, je ne saurais lui donner tort dans la mesure où son analyse rejoint très précisément les conclusions auxquels je suis arrivé dans mon étude sur la crise des dettes souveraines. Il s’appuie notamment (page 164) sur ce qui est selon moi l’argument principal « une dévaluation compétitive d’une Peseta et d’une Lire ressuscitée ne serait pas supportable pour notre économie »

JPC préconise une réforme de la gouvernance économique européenne classiquement keynésienne, à base d’une initiative européenne de croissance rendue possible par un grand emprunt européen pour la réalisation d’infrastructures et le financement de programmes de recherche et d’innovation, une vraie politique de change permettant de s’assurer d’une parité euro-dollar supportable, une politique de relance salariale particulièrement dans les pays excédentaires, ainsi qu’un certain protectionnisme européen pour protéger l’industrie européenne de la concurrence chinoise.

Que ses anciens soutiens se rassurent, le candidat du pôle républicain n’a tout de même pas viré sa cuti pour devenir un Eurofédéraliste bon teint ! En cas d’échec de sa stratégie européenne de croissance, il ne serait manifestement pas hostile aux solutions préconisées par Jacques Sapir, en particulier la monétisation des dettes publiques et une explosion concertée de la zone euro pour sa transformation en monnaie commune. Tout vaut mieux que la dévitalisation du tissu industriel et rien ne se place au-dessus des intérêts vitaux de la France !

On sent d’ailleurs clairement chez Chevènement, les mêmes réticences que chez l’économiste préféré des souverainistes, à ce que la France prenne l’initiative de la rupture. Notre position préférentielle doit être de convaincre l’Allemagne à revenir à une politique plus coopérative à l’égard de ses voisins. Ce n’est qu’à défaut et face à un refus allemand explicite qui conduirait le continent sur une pente suicidaire que le plan B devrait être mis en œuvre. Comme les républicains français de la fin du XIXème à propos de l’Alsace-Lorraine, sa maxime à propos du retour au Franc est « n’en parler jamais, y penser toujours » !

Quelle relation face à la nouvelle Allemagne ?

La stratégie de la relance d’un projet d’une « Europe européenne » pose clairement la question des relations avec la « nouvelle Allemagne », notre grand voisin réunifié, à la puissance et aux souverainetés retrouvées. JPC n’élude pas la question ni sa difficulté et se garde bien de penser qu’infléchir la stratégie économique allemande ne sera qu’une formalité pour le nouveau président élu.

L’ouvrage consacre au contraire de longs sur la culture allemande, son histoire et ses enjeux contemporains. L’idée qu’il s’en dégage est que l’Allemagne, si elle s’est dotée d’une stratégie de reconquête de sa souveraineté et d’adaptation à la mondialisation qui a été couronnée de succès, n’a en réalité aucune stratégie européenne, pas même de domination. Elle se retrouve aujourd’hui dans une situation leadership qu’elle n’avait pas réellement recherchée et dont elle ne sait pas trop quoi faire. Imposer sa politique à l’ensemble de ses partenaires (ce qui est la ligne actuellement poursuivie par Angela Merkel) conduira l’Europe dans une récession généralisée et une crise économique et politique programmée. Intégrer l’intérêt économique de ses voisins dans une recherche d’intérêt général européen la conduira à réviser du tout au tout sa stratégie économique. Les abandonner au bord du chemin pour faire cavalier seul demeure un tabou. Pour l’instant …

C’est cette impasse stratégique qui permet à Jean Pierre Chevènement de rester raisonnablement optimiste sur la possibilité de faire œuvre de pédagogie et de conviction pour la convaincre de développer un projet à l’échelle du continent paneuropéen intégrant la Russie et la rive sud de la méditerranée. Il va sans dire que JPC n’attend rien de la dynamique institutionnelle communautaire pour opérer cette mutation du projet européen, mais tout de la force des nations et en particulier de la confrontation égalitaire et respectueuse des deux plus grandes puissances du continent, la France et l’Allemagne.

Mais que faire si l’amicale pression sur notre partenaire ne produit aucun effet ? Sur ce point la réponse de JPC se fait plus timide et plus hésitante. S’il n’exclue pas la rupture, il semble la concevoir en ultime recours lorsque le couple franco-allemand aura apporté la preuve tangible de son échec et uniquement de manière temporaire, le temps que la gauche allemande refasse son unité et que ce pays mette son légitime désir de puissance au service d’un projet européen qui le dépasserait.

Je regrette que sur ce point JPC n’ait pas cru utile de développer plus avant l’hypothèse du « schisme européen » qu’il évoque pourtant à travers la thèse de Peter Sloterdijk selon laquelle la vieille fascination réciproque aurait désormais fait place à un désintérêt mutuel. Il est pourtant dit à de multiples reprises, que l’Allemagne regarde désormais vers l’Est et que la France doit réapprendre à regarder son Sud. Pourquoi ne pas alors avoir poussé le modèle jusqu’à imaginer un détachement inexorable l’Europe germanique de l’Europe latine avec deux unions économiques et pourquoi pas, à terme politiques ?

A titre personnel, je ne vois pas d’autre avenir que celui-ci pour le projet européen. L’Europe évoluera dans un ensemble multipolaire où France et L’Allemagne seront au centre de zones distinctes, ou bien ce sera l’hypothèse dite de « sortie de l’histoire » où chaque nation européenne recherchera son intérêt sans plus prétendre peser sur la marche du monde.

Je ne crois pas du tout (et depuis longtemps) dans le retour à une Allemagne européenne. Pour deux raisons majeures. La première c’est que la stratégie nationale non coopérative a plutôt bien fonctionné pour elle et qu’à moins d’une déflagration économique qui remette tout en cause, elle n’a aucune raison de réviser son modèle. La seconde c’est que l’Allemagne est la grande nation de culture « souche » du continent et qu’à ce titre le seul horizon collectif qu’elle est capable de penser est son propre cadre national. La France est dans une situation rigoureusement inverse. Sa crise d’identité et ses faiblesses économiques l’empêchent de se penser comme une puissance autonome, et son universalisme la pousse à penser le collectif à l’échelle la plus large possible, l’Europe quand ce n’est pas la Planète, l’Humanité ou l’Univers.

Un républicanisme de type souche

A force d’analyser avec beaucoup de précision et de lucidité les différences culturelles, pour ne pas dire anthropologiques, entre la France et l’Allemagne, sans jamais citer les travaux d’Emmanuel Todd et ses modèles familiaux, on se demande si cette grille de lecture ne lui fait pas défaut pour pleinement tirer toutes les conséquences de ses constats.

L’incompatibilité entre la culture souche et l’universalisme n’est qu’un exemple. Quand on connait l’anthropologie toddienne, la question qui saute à l’esprit à la lecture de l’exposé des valeurs dont JPC veut assurer la réhabilitation en France est de savoir si l’idéologie de ce grand républicain est réellement adaptée au tempérament national tant JPC semble être empreint de la culture souche, comme en atteste sont respect presque admiratif de la culture allemande, son ironie sur l’universalisme français tantôt qualifié de naïf tantôt de niais « qui le rend aveugle aux autres cultures », une conception holiste de la nation qui le distingue à ceux qui développent un patriotisme politique de préférence à un patriotisme national ou les principes qu’il aimerait réhabiliter : les valeurs de la transmission « qui permettent le vivre ensemble », le sens de la durée, l’autorité, le primat de l’industrie et de la production, l’approche systémique des choses …

Ce constat m’a amené à me demander si l’erreur fondamentale de JPC n’avait pas été finalement d’abriter ses concepts derrière ce terme de « République » dans laquelle chacun met désormais ce qu’il veut. Pour certains il s’agit tout simplement du libéralisme politique, le respect de la séparation des pouvoirs, le parlementarisme et les libertés publiques et individuelles. Pour d’autres il s’agit de la haine de toute forme d’appartenance à un collectif, d’identité, de communauté ou même de croyances. Pour d’autres enfin, il s’agit d’une soif inextinguible d’ordre policier et de sanction pénale.

Peut-être que finalement son discours aurait su porter davantage s’il avait pu exprimer ses valeurs sans les fédérer dans un vocable en isme quelque peu suranné qui a eu l’inconvénient de donner une coloration sépia à une critique et des propositions d’une remarquable actualité. J’avoue toutefois ne pas en être certain. Dans une société qui se pense comme « un tout », il peut exister une droite et une gauche toutes deux également « patriotiques », mais dans une société qui se pense comme une somme d’individus, celui qui pense système apparait aussitôt comme un affreux réac qui flirte dangereusement avec l’extrême droite.

Et au fait, la France est-elle finie ?

Sans même sans rendre compte, JPC pense la nation comme une structure holiste intemporelle et immortelle. Elle ne peut qu’être déprimée, fatiguée d’elle-même ou détournée de son destin par des fausses pistes ou des influences pernicieuses, mais jamais elle ne saurait disparaitre en tant que Sujet. C’est ainsi que la question qui figure en titre de l’ouvrage n’est même pas examinée. La question ne se pose tout simplement pas !

Et pourtant, JPC avait appliqué la grille de lecture toddienne à cette question centrale, il aurait pu se demander si la nation française n’était pas déjà morte sous l’influence de pures raisons endogènes. Ni en raison de la perte de son Empire, de ses colonies, de la boucherie de 14-18, de la débâcle de 1940 ou de la colonisation idéologique américaine, mais tout simplement sous l’effet de son système anthropologique de l’individualisme universaliste, qui aurait dissout de l’intérieur toute forme de principe collectif.

Il suffit d’ailleurs de reprendre cette fable de la « nation civique » à laquelle fait souvent référence JPC qui veut que la Nation française ne serait pas constituée par l’héritage d’un substrat culturel (l’apanage des nations dites « ethniques ») mais par l’adhésion volontaire de citoyens libres et égaux à une communauté politique, ce qui ferait que le Français croirait plus en l’Etat qu’en la communauté qu’il forme avec ses concitoyens. Même si cette vision me semble davantage relever d’un mythe historique que de l’observation de la réalité, elle rend assez bien compte de la problématique.

Si c’est l’adhésion du citoyen au pouvoir politique qui fait en France la nation, que se passe-t-il si au terme de plusieurs décennies de trahison des élites et de mauvaises politiques, le citoyen ne croit plus en l’Etat ? Si celui-ci a été démantelé de tous les attributs de la souveraineté au point que les gouvernants ne font plus que de la gestion de l’opinion ? Si celui-ci est au bord de la ruine, sans marge de manœuvre et de capacité à agir ? Si les gouvernants ont été colonisés par une classe de parasites qui ne pensent plus la proposition politique et l’action publique en termes de réponses à des enjeux d’avenir mais uniquement en termes d’impact médiatique, avec un œil sur l’audimat ou le buzz entrainé par leur dernières déclarations et un autre sur les sondages de popularité? Que reste-t-il de la France lorsque la politique s’est réduite à sa dimension électorale et l’Etat est désormais dans un tel état de déliquescence ?

Cette question que JPC a refusé de se poser, je lui la pose : Monsieur le ministre d’Etat, ne croyez-vous pas que notre pays aujourd’hui n’est plus qu’un agrégat désunis d’individus que ne réunit plus que la promesse de subsides d’un Etat en faillite morale et financière ? Ne voyez-vous pas que nos élites, réelles ou supposées, se vivent comme appartenant à une oligarchie mondiale avec la mondialisation comme seul horizon et l’Amérique pour seul modèle ? Ne pensez-vous pas que l’immense majorité du peuple s’est réfugié sur la sphère privée sentimentale, familiale ou communautaire et n’attend plus aucun projet national ? N’êtes-vous pas frappé de constater que l’on ne parle plus exclusivement que des Français et de leur vrais problèmes de vie quotidienne, et plus jamais des maux dont souffre la France, que les problèmes, comme les réponses, sont toujours exprimées de manière individuelles (quand ce n’est pas psychologique), jamais de manière systémique ou macroéconomiques !

Oui, Monsieur le ministre d’Etat, je le reconnais, je n’y crois plus. Je n’arrive plus à y croire. Je me sens politiquement déprimé, comme je le crois, beaucoup de républicains, de patriotes ou de souverainistes (selon le vocable que chacun préfèrera), devant ce qu’est devenu notre pays et l’absence de perspective sérieuse que la situation s’arrange à brève échéance. Voyez donc : Dans un an nous aurons le choix entre la fuite en avant dans toutes les solutions qui ont causé notre perte, où laisser l’Etat entre les mains du chef d’une entreprise électorale qui n’a d’autre ambition que faire le guignol à la télé …

Si vous pouviez prendre la plume pour écrire le petit chapitre qui manque à votre livre pour rassurer ceux qui comme moi désespèrent de leur propre pays et n’arrivent plus à croire qu’il puisse encore écrire une page de l’Histoire, pas même de la sienne …

Malakine

Réponse à Malakine: la situation est aujourd’hui beaucoup moins désespérée qu’elle ne le paraissait le 18 juin 1940

h-3-1071830 Malakine, sur son blog, m’invite à aller plus loin que mon livre : « La France est-elle finie ? » pour répondre à ses interrogations, ce que je vais essayer de faire. Elles sont pertinentes, tellement même qu’il m’arrive de me les formuler à moi-même.

Je souhaite auparavant dissiper quelques malentendus. J’ai beaucoup d’admiration pour les intuitions et les analyses souvent pénétrantes et toujours stimulantes d’Emmanuel Todd. Il me semble cependant que l’exigence républicaine telle que je l’ai définie permet de dépasser l’opposition entre la « culture individualiste » et la « culture souche ». Je ne méconnais pas le temps long de l’Histoire qui ferait rouler chaque peuple indéfiniment dans son ornière. J’ai constaté depuis longtemps qu’il fallait un projet pour rassembler les Français. Je n’ironise pas, comme le croit Malakine, sur l’universalisme. Je crois avoir écrit que la République était universelle, à condition d’être pensée dans au moins trois dimensions : « l’intérêt national à long terme ne peut s’opposer à l’intérêt européen et celui-ci ne peut se définir dans l’oubli des intérêts généraux de l’Humanité » (p. 295). Je réserve donc ma douce ironie à l’illusion répandue chez les Français que leur culture est celle de l’Univers, ce qui les rend insensibles à l’existence d’autres cultures. Je ne crois donc pas professer « une conception holiste de la nation ». Les « valeurs de transmission » sont, pour l’essentiel, des valeurs d’éducation : les vrais républicains révèrent l’Ecole. La République est d’abord « enseignante ». S’identifiant à la fois à un projet et à la France, la République « modèle Valmy », est plus forte que tous les « holismes ». Voilà, je l’espère, dissipés quelques malentendus.

Peut-être (et même sûrement) n’ai-je pas bien compris l’anthropologie « toddienne ». Il faut que je m’y remette ! Mais pas plus que moi, Emmanuel Todd ne me semble croire à une « refondation à zéro » de l’Humanité et encore moins en la possibilité d’une rupture totale en l’Histoire (p. 244).

Pour ma part, je crois en la « volonté de raison » et à la supériorité de la conscience sur l’inconscience de la simple Tradition. C’est ma définition de la République comme recherche d’un intérêt général donc collectif, au-dessus des intérêts individuels ou catégoriels. On peut trouver cette démarche idéaliste. Mais elle ne m’a jamais empêché de voir que la France a préexisté à la Révolution et à la République, et que même la France les a rendues possibles. La République est le nom moderne de la France. Elle intègre la devise républicaine à son patrimoine « toddien », si je puis dire. Il me semble que les « grands républicains » ont très bien compris cette filiation, de Gambetta à De Gaulle, en passant par Ferry, Clemenceau, et Jaurès qu’il ne faut pas oublier.

La question de l’Ancien Régime et de la Révolution est aujourd’hui dépassée. Ce qu’il faut comprendre c’est l’affaissement de la République depuis l’entre-deux guerres jusqu’à aujourd’hui. Il faut relire autrement notre XXe siècle pour pouvoir entrer dans le XXIe.

Mon livre est donc fondamentalement optimiste, car il vise à restaurer chez les Français l’estime de soi et par conséquent la confiance et l’élan qui leur manquent aujourd’hui pour construire leur avenir. J’ai essayé de montrer que dans le grand choc des idéologies nées de la « barbarisation » (Hobsbawm) de la Première Guerre mondiale (le communisme et le fascisme), la France avait quand même des excuses pour s’être « évanouie » (au propre comme au figuré) en mai-juin 1940. René Girard a sans doute eu raison d’écrire qu’on ne peut pas « faire deux fois Verdun », surtout pour un peuple aussi démographiquement épuisé que l’était le peuple français dans les années trente.

De Gaulle a symbolisé le 18 juin, « l’intérêt général » au sens le plus élevé (celui de la France mais aussi celui de la liberté dans le monde, comme il l’affirme explicitement dans son discours du 22 juin), intérêt général tellement héroïque qu’il a fallu quelque temps à la majorité des Français pour s’en rapprocher. Mais n’oublions pas que le discours de Pétain sur le « vent mauvais » qu’il sent se lever sur la France (c’est-à-dire l’esprit de résistance) date de mai 1941, un mois avant l’invasion de l’Union Soviétique par les nazis. Le peuple français, certes prostré après la défaite, n’a jamais été collaborationniste, n’en déplaise à ses contempteurs qui veulent en faire les complices du génocide (voir le honteux procès fait à la SNCF).

Il faut aujourd’hui relever la République, c’est-à-dire la France. La crise de l’européisme (c’est-à-dire la confusion de l’Europe à la fois avec la « méthode communautaire » inventée par Jean Monnet et avec le néolibéralisme aujourd’hui en crise), en offre l’occasion. La France est certes un pays individualiste mais elle n’est pas le seul au monde : les Etats-Unis aussi sont un pays individualiste. Mais il n’est pas fatal que l’individualisme submerge le sens du collectif, c’est-à-dire le patriotisme, au bon sens du terme. J’observe que les socialistes eux-mêmes, tout en continuant à m’ostraciser, moi et mes amis, sous prétexte que nos idées seraient « réactionnaires » (ce qui leur évite d’avoir à les discuter), ont réappris à invoquer « l’intérêt général », certes du bout des lèvres, et sans toujours en bien comprendre la signification. Mais la prière, selon Pascal, ne finit-elle pas par engendrer la foi ?

Je ne méconnais nullement, comme semble le croire Malakine, l’état calamiteux de l’esprit public actuel. S’il fallait en rester aux catégories de « droite » et de « gauche », passablement usées par l’usage qui en a été fait, on pourrait spéculer sur les capacités respectives de la gauche à se réapproprier la République et la France (c’est-à-dire le patriotisme), et de la droite à mettre de son côté le civisme et le sens de l’Etat. Ne rêvons pas : seuls de grands évènements pourraient ouvrir l’ère de ces grandes redécouvertes. Mais ces évènements ne sont-ils pas devant nous ?

Contrairement à vous, cher Malakine, je ne crois pas que l’Allemagne puisse persévérer dans son « cavalier seul » pour les quatre raisons que j’ai énoncées dans mon livre (p. 229). L’idée du « schisme européen » (à l’Allemagne le Nord de l’Europe, à la France le Sud), me paraît contraire à la vocation même de notre pays dont le nom est germanique, même si la langue est latine.

Ce que vous dites sur « ces élites qui se vivent comme appartenant à une oligarchie mondiale » me fait penser à un livre écrit en 1994 par Christopher Lasch, intitulé La révolte des élites. C’était et c’est une vérité d’observation : aux Etats-Unis comme en France. Obama en prônant la réindustrialisation des Etats-Unis a à peine commencé à remettre les pendules à l’heure …

Revenons à la France : celle-ci ne sera finie que si les Français y consentent. Tel ne me paraît pas être fondamentalement leur état d’esprit (voir la victoire du « non » au référendum du 29 mai 2005). Souvenons-nous de Kant qui dit que la République est une idée si forte que même temporairement vaincue, il est impossible qu’elle ne puisse réapparaître un jour à la faveur de circonstances favorables.

Dans une génération d’ici, la France sera aussi peuplée que l’Allemagne. Le moment viendra où nous pourrons concevoir l’avenir à égalité. Il était sans doute trop tôt pour définir plus précisément dans mon livre, les contours exacts de ce « projet républicain » de redressement de l’Europe. Mais pensez-vous, cher Malakine, que la situation aujourd’hui soit beaucoup plus désespérée qu’elle ne le paraissait le 18 juin 1940 ?

JP. Chevènement

7 commentaires sur « La France est-elle finie ? » de Jean Pierre Chevènement

  1. voilà donc à quoi ressemble nos (élites) à des pages rassemblés en plusieurs tomes.
    comment peuvent ils connaitrent le peuple, ils passent leurs temps à écrire encore et encore, cela sert ils à quelque chose pour le peuple? juste leurs portefeilles en est ravie.
    j’étais contre cette europe et le suis toujours, sarko est passé outre le peuple, son peuple qui l’indiffére, être, ce montrer tout contrôler et faire perdre le rayonnement de la FRANCE au vu du monde et des peuples.
    cette europe leurs échappent, sur de mauvaise base et accord pour notre nation.
    que notre rayonnement éclaire le monde, d’accord. qu’elle se rédiculise avec cette homme qui a su s’imposer dans cette europe tout en même temps, dans le temps ce ridiculisé lui même.
    ils auraient du être la voi de son peuple, pas celle de ses élites, pas celle des autres nations.

    trop à dire, au fait, si vous êtes un politicien, un dis intellectuel, vous rirez car mon texte doit être bourré de faute d’hortographe et ils ne comprendront pas le fond de ma pensée.
    si vous êtes un citoyen, vous saurez que je n’ai pas de (negre) pour me rediger et vous comprendrez ma pensé.

    et vive la FRANCE et sa pensée révolutionnaire qui ont fait ce que nous sommes.

  2. toutoune // 8 mars 2011 à 0 h 28 min //

    quel plaisir cette lecture du commentaire de Malakine et la réponse de JPC un grand moment de bonheur intellectuel et politique je rêve d’un débat télévisé avec au moins ces 2 intervenants peut être que l’audience serait faible mais on se coucherait beaucoup plus éclairé sur où va le monde et surtout que faudrait il essayer pour que ce monde se porte mieux il nous reste que le reve parce que vraiment quand j’entends des débats soient disants politiques quelle nullité quel matraquage intellectuel sur la pensée unique on va dans le mur tous les indicateurs sont dans le rouge mais on continue : un aveuglement dont je n’arrive pas à définir les causes ces gens là paraissent sincères sont ils prisonniers d’intérêts le sort de millions de gens qui les entourent les laissent ils froids que signifie une société qui n’a pas pour principale raison d’être le bonheur et l’épanouissement des êtres humains qui la composent jamais autant de richesses produites et jamais autant ce sentiment que la vie est plus dure cet argent amassés dans de moins en moins de mains ; les pouvoirs même chez nous sont plus fragiles qu’ils ne le pensent les rives de la méditerannées bizzarement ont apporté leur souffle vivifiant en France 5 millions de personnes dans les rues pour dire non peuvent faire chanceler un gouvernement les citoyens doivent dire qu’ils ne sont pas d’accord et comme l’a écrit recemment un papy de 89 ans indignez vous!!!

  3. J-C Théodore // 8 mars 2011 à 0 h 20 min //

    La France n’est la France que lorsqu »elle est elle même c’est à dire quand elle assume son destin et qu’elle ne s’en remets pas aux autres pour le tracer. Dans ces moments là , et singulièrement en ce moment qui est celui du renoncement et des affaires, elle disparait des écrans. Se relèvera-t-elle un jour ? On peut en douter si le peuple anesthésié sciemment par l’individualisme , la consommation, le sexe et le foot, ne relève pas la tête ou le poing !
    L’appauvrissement généralisé de nos concitoyens les plus démunis pourraient peut-être nous y conduire plus rapidement que ne le pense les affairistes qui nous gouvernent .

  4. Bellenger // 6 mars 2011 à 10 h 31 min //

    La solution à la quadrature du cercle avance à pas cpomptés. Comment sortir de la Pensée-Unique sans dénoncer Maastricht et ses consorts ? L’Allemagne tente de s’en accomoder, et elle est forte en ce domaine. Mais la quadrature du cercle reste toujours là. Enfin, ça avance à pas lent. D’ici 10 ans, et après mult crises, on lancera pêut-être le débat : Faut-il dénoncer Maastricht ?

    J’adresse à Gaullisme.fr un texte sur ce débat. A publir s’il le juge bon.

  5. Tout n’est pas inintéressant, loin de là, mais l’impasse totale, absolue, sur l’immigration, la mondialisation des mentalités, la déchéance de l’école, le main streaming, l’incapacité de la république issue de la révolution française à penser la France, autrement que par un patriotisme qui vise de fait à la détruire, carnassier ou défaillant bien analysé par Jean de Viguerie. On a tué la France, mais c’est en son nom , que les meilleurs ont rejoint de Gaulle, en 1940, non au nom de la république. On est retombé dans l’ornière, par la faute aussi du Général! Et la France se meurt devant ces menaces .Plus encore la stabilité monarchique de la V permet à ce régime devenu pervers de durer. Il ne sert à rien de ranimer un cadavre mort vivant depuis deux siècles et plus . ( même si la restauration et la monarchie de Juillet ont permis au pays de retrouver quelques forces comme le début de la V, le drame de l’Algérie en moins ! ) ) Sans un changement de paradigme on tourne en rond, on se croirait à l’Institut, seul compte ceux qui continuent malgré tout cela l’histoire de France, en attendant ce changement devant des menaces qui s’accélèrent.

  6. Evidemment la situation est moins grave parce qu’elle n’est pas en guerre et ne risque pas une occupation étrangère. Une belle analyse et des solutions partielles sont révélatrice du comportement de Jean Pierre Chevènement : un faux dur qui finit toujours par se coucher devant un adversaire en apparence plus fort que lui. La dernière fois ce fût le 21 avril 2002 où pour sauver ce qui ne pouvait être sauvé (ses élus) il s’est couché devant ce tigre de papier qu’était et qu’est le PS de François Hollande puis de Martine Aubry ! J’ai cessé d’avoir la moindre confiance en lui !!!!!

  7. Il ne peut pas y avoir autre chose que la rupture avec l’Union européenne, tant les bases en sont malsaines… De plus, en terme d’influx nerveux, c’est impossible de mobiliser une population sur une évolution chaotique décidée par une poignée d’experts, la plupart européistes, ou par une multiplicité d’intervenants chacun suivant une stratégie propre. Or c’est bien l’esprit qui commande! Et le temps est maitrisable par la population uniquement si elle est correctement représentée, son vote respecté, ou si elle descend dans la rue pour y rester…

    Ce sont là des éléments qui permettent d’organiser un combat politique. Comment oublier que sur le traité de Lisbonne, la majorité des parlementaires a bafoué le vote souverain du peuple français de 2005? En conséquence, en tant que Républicains, nous n’avons fondamentalement rien à négocier!

    cf blog IRC

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