Sarkozy remanie sous la dictée… par Philippe Cohen

 

 

  • Philippe Cohen – Marianne

clip_image001Ah la la, quel métier que le métier de Président ! Être obligé de se coltiner un JT le dimanche soir – une première dans l’histoire de la V° République, non ? – et tout ça pour annoncer quoi ? Un remaniement qui se veut minimaliste, mais qui, en réalité, marque un échec pesant du Président. 
Il l’a joué « historique ». Le Président a enrobé l’annonce d’un remaniement réalisé dans l’urgence en invoquant le « changement historique » que constitue la révolution arabe (voir le texte intégral de l’allocation ci-dessous). Après avoir rappelé que toutes les démocraties avaient développé des relations avec des dictatures qui constituaient des « remparts contre le terrorisme et le fondamentalisme religieux ». « Nous ne devons pas avoir peur » a ajouté le Président comme s’il voulait reprendre la fameuse antienne de Jean-Paul II, précisant que le mouvement qui touche les pays arabes s’est accompli « au nom des valeurs qui nous sont les plus proches, les droits de l’homme et la démocratie ». Le Président a tenté de préciser la ligne de crête difficile entre une « ingérence qui ne serait pas acceptée » et une « indifférence qui serait une faute politique ». On aurait aimé que cette analyse judicieuse eut dictée la politique de la France depuis deux mois…

Enfin, Nicolas Sarkozy a tenté de montrer en quoi le destin des peuples arabes pouvait avoir des conséquences dramatiques en Europe s’il arrivait que de nouvelles dictatures s’imposent dans ces pays, évoquant même les flux migratoires souvent brandis par Marine Le Pen. Sauf que la solution proposée, le retour en grâce de l’Union pour la Méditerranée, chère à son conseiller spécial Henri Guaino, apparaît très en deçà de la main, compte tenu du bilan très modeste de cette initiative et du peu d’enthousiasme de nos partenaires européens, et notamment de l’Allemagne sur ce sujet.

Si le Président a voulu ancrer sa décision dans la Grande Histoire, il n’est pas interdit, bien entendu de resituer ce remaniement dans la petite histoire du sarkozysme. On ne reviendra pas ici sur tout ce que tous les analystes ont bien décrypté cette semaine : la faillite de la politique étrangère française, l’incompétence et l’inexpérience du Président, son mépris des diplomates, sa façon de jouer la com à tout propos, son mercantilisme exacerbé ont bien affaibli une organisation internationale façonnée par des siècles de diplomatie. Au-delà de cet échec très lourd qui surgit au moment où le Président voulait se concentrer sur ce qu’il considérait comme son point fort, la politique internationale, avec la présidence du G20, le remaniement marque une étrange défaite présidentielle.

Pourquoi ? Parce que, une fois encore, la volonté présidentielle a dû s’incliner devant les exigences d’un homme – Alain Juppé – qui n’a jamais et ne sera jamais sarkozyste. Le scénario ressemble à celui qui avait vu François Fillon, celui que l’on appelait « Nobody » dans les coursives de la sarkozie, imposer tel ou tel ministre dans le remaniement de novembre dernier.

Novembre 2010. Cela paraît si loin déjà. Et cette fois-ci, le Président était dans la main d’Alain Juppé, et celle-ci, apparemment n’a pas tremblé. Pour venir au Quai d’Orsay où il a déjà exercé ses talents, le maire de Bordeaux voulait, et il l’avait déjà fait savoir, disposer d’une réelle autonomie. Rien à voir avec les maigres prérogatives accordées à Kouchner puis à Mam. Le Président doit donc s’exécuter. Il a, dans cette partie d’échec, sacrifié la « Tour » de l’Elysée, Claude Guéant, qui doit se féliciter d’obtenir un ministère maintenant, tant son ambition devenait incertaine si elle était restée arrimée à une réélection de plus en plus incertaine. Eh oui, on en est là au Château, on pense plutôt au dernier tour de manège qu’à un bis repetita….

Au-delà de ce jeu de chaises musicales – Mam dehors, Juppé au Quai d’Orsay, Guéant place Beauvau, Hortefeux à l’Elysée, Longuet à la Défense -, le remaniement marque un autre échec du sarkozysme : les hommes du Président, qu’ils soient d’ombre – Guaino et Guéant, encore qu’ils sont aussi des vus à la télé – ou de lumière – les Estrosi, Hortefeux, Bertrand et consorts – ont été carbonisés par trois ans et demi de magistère. Ceux que l’on appelle les ministres en cour – Juppé, Kociusko-Morizet, Le Maire, Baroin – viennent d’autres écuries et notamment de la chiraquie. Bien sûr, il ne manquera pas, dans les jours qui viennent, d’exégètes pour affirmer que le remaniement est un magnifique coup « à la Mitterrand », qui permet au président de confronter François Fillon à un concurrent supposé redoutable. La vérité est plutôt que le retour au premier plan d’Alain Juppé, après la « mode Fillon » de l’an passé, traduit une incontestable nouveauté : Sarkozy ne dispose plus de leadership sur la droite, et il aura du mal à empêcher la classe bourgeoise de lui chercher un successeur raisonnable.

 

Déclaration de Nicolas Sarkozy

 

n_sarkozy Mes chers compatriotes,

A peine la plus grave crise économique et financière depuis la deuxième guerre mondiale semble-t-elle s’estomper, à peine l’Europe a-t-elle dominé la crise de l’euro que, de l’autre côté de la Méditerranée, se produit un immense bouleversement. Certains peuples arabes prennent leur destin en main, renversant des régimes qui, après avoir été, au temps de la décolonisation, les instruments de leur émancipation avaient fini par devenir ceux de leur servitude. Ces régimes, tous les États occidentaux et tous les gouvernements français qui se sont succédés depuis la fin des colonies ont entretenu avec eux des relations économiques, diplomatiques et politiques, malgré leur caractère autoritaire parce qu’ils apparaissaient aux yeux de tous comme des remparts contre l’extrémisme religieux, le fondamentalisme et le terrorisme.

Mais voici qu’à l’initiative des peuples s’esquisse une autre voie. En opposant la démocratie et la liberté à toutes les formes de dictature, ces révolutions arabes ouvrent une ère nouvelle dans nos relations avec ces pays dont nous sommes si proches par l’histoire et par la géographie. Ce changement est historique. Nous ne devons pas en avoir peur. Il porte en lui une formidable espérance car il s’est accompli au nom des valeurs qui nous sont les plus chères, celles des droits de l’homme et de la démocratie. Pour la première fois dans l’histoire, elles peuvent triompher sur toutes les rives de la Méditerranée. Nous ne devons avoir qu’un seul but : accompagner, soutenir, aider les peuples qui ont choisi d’être libres. Entre l’ingérence qui ne serait pas acceptée et l’indifférence qui serait une faute morale et stratégique, il nous faut tout faire pour que l’espérance qui vient de naître ne meure pas car le sort de ces mouvements est encore incertain. Si toutes les bonnes volontés ne s’unissent pas pour les faire réussir, ils peuvent aussi bien sombrer dans la violence et déboucher sur des dictatures pires encore que les précédentes.

Nous savons ce que pourraient être les conséquences de telles tragédies sur des flux migratoires devenus incontrôlables et sur le terrorisme. C’est toute l’Europe alors qui serait en première ligne. Nous avons donc le devoir d’agir avec une ambition qui soit à la dimension des événements historiques que nous vivons. C’est pourquoi la France a demandé que le Conseil européen se réunisse pour que l’Europe adopte une stratégie commune face à la crise libyenne dont les conséquences pourraient être très lourdes pour la stabilité de toute la région.

De même l’Europe doit se doter sans tarder de nouveaux outils pour promouvoir l’éducation et la formation de la jeunesse de ces pays du Sud de la Méditerranée, imaginer une politique économique et commerciale pour favoriser la croissance de ces jeunes démocraties qui veulent naître.

L’Union pour la Méditerranée, fondée à l’initiative de la France le 13 juillet 2008, doit permettre à tous les peuples de la Méditerranée de bâtir enfin une destinée commune. Le moment est venu de refonder cette Union à la lumière des événements considérables que nous vivons. La France fera des propositions en ce sens à ses partenaires.

Mon devoir de Président de la République est d’expliquer les enjeux de l’avenir mais tout autant de protéger le présent des Français. C’est pourquoi, avec le Premier Ministre François Fillon, nous avons décidé de réorganiser les ministères qui concernent notre diplomatie et notre sécurité.

Alain Juppé, ancien Premier ministre, homme d’expérience qui a déjà exercé ces fonctions avec une réussite unanimement reconnue sera Ministre des Affaires étrangères. Pour le remplacer au ministère de la Défense, j’ai choisi Gérard Longuet, lui aussi homme d’expérience. J’ai souhaité dans le même temps confier la responsabilité de ministre de l’Intérieur et de l’Immigration à Claude Guéant qui m’a accompagné depuis neuf ans dans toutes les responsabilités que j’ai exercées, en particulier au ministère de l’Intérieur dont il connaît tous les rouages et dont il a occupé tous les postes de responsabilité.

Ainsi les fonctions régaliennes de l’État se trouveront-elles préparées à affronter les événements à venir dont nul ne peut prévoir le déroulement.

Mes chers compatriotes, c’est mon devoir de prendre les décisions qui s’imposent quand les circonstances l’exigent. Je connais vos attentes qui sont grandes à juste titre. Je me suis engagé à moderniser la France pour que notre modèle survive à tous les changements si brutaux de ce début du XXIème Siècle. Pour obtenir les résultats que vous attendez et que nous obtiendrons, je me dois de ne faire prévaloir aucune autre considération que le souci de l’efficacité et de l’intérêt général dans le choix de ceux auxquels sont confiées les plus hautes responsabilités de l’État.

Dans ces circonstances si troublées la nécessité du rassemblement de tous les Français autour de nos valeurs républicaines est plus nécessaire que jamais. La peur, l’affrontement, l’exclusion n’ont jamais permis de préparer l’avenir, au plan international comme au plan national. A l’inverse le refus de voir les réalités en face exacerbe les tensions.

Mes chers Compatriotes, vous pouvez compter sur ma détermination et sur mon engagement. Vive la République ! Vive la France !

 

 

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