Otan : de Gaulle et Konrad Adenauer

Lettre de Charles de Gaulle à Konrad Adenauer* – 15 octobre 1958

 

 

Konrad_Adenauer&Charles_de_Gaulle Monsieur le chancelier,

J’ai lu et étudié avec la plus grande attention votre lettre du 10 octobre et me félicite que vous ayez pris l’initiative de ce nouvel échange de vues direct entre nous.

Vous voulez bien rappeler qu’au cours de notre entretien de Colombey, nous avons parlé de l’OTAN. Je vous ai dit que cette organisation, telle qu’elle est, répond mal à son objet. Le fait, par exemple, que le secteur stratégique de l’OTAN exclut l’Orient, l’Afrique du Nord et la mer Rouge paraît vraiment difficile à justifier. Le fait que l’Afrique noire, qui est, comme vous le savez, l’objet des visées politiques de l’Est, se trouve en dehors de la zone assignée à la sécurité occidentale, ne correspond pas aux actuelles réalités. Le fait qu’un litige survenant dans le Pacifique ou dans l’océan Indien puisse précipiter l’Europe, en raison des obligations de l’alliance occidentale, dans un conflit mondial sans qu’elle ait eu, pratiquement, à en décider elle-même ne saurait être accepté. Le fait, enfin, que la décision d’employer, ou non, en cas de guerre, les armes atomiques – avec toutes les conséquences qui en découleraient pour l’Europe – soit laissée aux États-Unis semble devoir être rectifié.

Dans ces conditions, il est devenu, à mon avis, nécessaire, comme je vous l’avais indiqué, de reconsidérer, d’une part, la question de la sécurité à l’échelle mondiale, d’autre part, l’organisation et le domaine propres à l’OTAN. C’est ce que j’ai exprimé, sous la forme d’un mémorandum, au président Eisenhower et au Premier ministre Macmillan en raison de l’étendue des responsabilités mondiales, actuelles et éventuelles, de l’Amérique et de la Grande-Bretagne et, aussi, pour la raison que ces deux puissances occidentales détiennent l’armement atomique. J’ai moi-même remis à M. Spaak le texte du document et fait connaître à M. Macmillan que j’approuvais sans réserve son intention de vous en parler.

Il reste que c’est là un sujet sur lequel notre coopération pourrait, suivant moi, s’établir avec fruit. Dès que MM. Eisenhower et Macmillan m’auront répondu, je serais pour ma part très désireux que nos deux gouvernements procèdent entre eux à un échange de vues aussi approfondi que possible sur la meilleure façon d’organiser la sécurité de l’Occident et, avant tout, celle de l’Europe.

Veuillez croire, monsieur le chancelier, à mes sentiments bien sincères d’amitié et à ma haute considération

 

* Né à Cologne au sein d’une famille catholique en 1876, Konrad Adenauer suit des études de droit. D’abord avocat, il est élu maire de Cologne en 1917. La ville connaît alors un fort développement, qui renforce son influence politique. Il joue un rôle important au sein du Centre catholique. Depuis sa jeunesse, Adenauer est favorable à une union européenne, ce qui l’oppose aux nazis. Ces derniers lui retirent ses fonctions en 1933 et le contraignent à se refugier à Rhöndorf. Au lendemain de la guerre, Adenauer reprend peu à peu ses activités politiques. Il s’attèle à la fondation du parti chrétien démocrate (CDU), puis en prend la présidence en 1949. Il est élu cette même année chancelier de la République Fédérale d’Allemagne. Durant près de quinze ans, il se consacre à l’acquisition de l’égalité des droits internationaux pour son pays, à son intégration au sein de l’Europe et à la mise en place d’une armée allemande indépendante. Grâce à ses qualités politiques, l’Allemagne rejoint l’OTAN en 1955. Il démissionne finalement en 1963 et s’éteint à Rhöndorf, en 1967.

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