Charles de Gaulle : Discours prononcé au stade Félix-Éboué à Brazzaville (Congo)

24 août 1958

 

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Pour moi, dans ces lieux historiques, que de souvenirs remontent dans mon esprit et dans mon cœur, souvenirs que nous avons symbolisés tout à l’heure, quand nous sommes allés nous incliner devant la stèle élevée à la mémoire du gouverneur général Félix Éboué. Que d’émotion provoquent en moi l’accueil magnifique que m’a fait la population de Brazzaville depuis hier soir, et l’extraordinaire concours qu’elle apporte à cette réunion. Émotion et assentiment provoqués aussi par les belles et éloquentes paroles que vient de prononcer le président Boganda.

Tous ces souvenirs et ces émotions m’obligent à parler aujourd’hui levant vous de la façon la plus claire en même temps que la plus fraternelle. Il s’est trouvé que c’est à Brazzaville, par une sorte de décision du destin, que s’est levée d’abord la France Libre, et que se sont organisés, avec elle, les Territoires africains qui, une fois de plus, luttèrent pour la même cause.

Il s’est trouvé aussi, et c’était naturel, légitime, que c’est à Brazzaville que la France, par ma voix, a ouvert aux Territoires africains la route qui les a conduits à la libre disposition d’eux-mêmes. Et cela fut fait à une .roque tragique, alors que la métropole était occupée par l’ennemi, alors que la souveraineté française était en cause jusque dans le camp des Alliés, alors que dans le monde entier, on faisait de lourdes réserves sur le sort de la France et de ceux qui étaient avec elle. Mais, parce qu’elle a ouvert cette voie, parce qu’elle a montré aux Africains le chemin que, dans l’époque moderne, ils avaient le droit de suivre, sans renoncer à leur fournir son aide et inversement à recueillir leur amitié et à leur témoigner la sienne, jamais la France, en vérité, ne fut plus fière de l’œuvre africaine qu’elle a accomplie par l’effort de ses administrateurs, de ses soldats, de ses bâtisseurs, de ses professeurs, de ses missionnaires, avec le concours des hommes de ces pays, dans une atmosphère de sympathie d’amitié, d’unité qui s’est révélée si souvent, et d’abord dans le sang, sur les champs de bataille.

Pourquoi la France renierait-elle son œuvre africaine en dépit de certaines démagogies qui ne font que couvrir divers impérialismes ? Non 1 cette œuvre, elle ne la renie pas, et elle est prête aujourd’hui à la poursuivre, quoique certainement dans des conditions tout à fait nouvelles qui sont imposées par l’évolution des peuples et par le mouvement général du monde. Quelles conditions ?

En voici deux, la première c’est qu’il est naturel et légitime que les peuples africains accèdent à ce degré politique où ils auront la responsabilité entière de leurs affaires intérieures ; où il leur appartiendra d’en décider eux-mêmes, bref, de se gouverner eux-mêmes.

Et la deuxième condition c’est cette règle, qui s’impose à tous les esprits de bon sens, que dans le monde tel qu’il va, il est nécessaire que s’établissent de grands ensembles économiques, politiques, culturels et, au besoin, de grands ensembles de défense. C’est le deuxième principe que le Gouvernement de la République, sous ma direction, met à la base des propositions qu’il va soumettre dans peu de temps au suffrage de tous les citoyens des Territoires d’Afrique et des citoyens de la métropole.

Quel projet va donc être soumis au choix libre et conscient de tous ? C’est celui de la Communauté. Ce qui est proposé, c’est que la métropole et les Territoires d’outre-mer forment ensemble une Communauté dans laquelle chacun aura le gouvernement libre et entier de soi-même, et dans laquelle on mettra en commun un domaine, qui, dans l’intérêt de tous, comprendra la défense, l’action extérieure, la politique économique, la direction de la justice et de l’enseignement, les communications lointaines.

Cette Communauté aura des institutions : le président de la Communauté, le Conseil exécutif de la Communauté où se réuniront les chefs des Gouvernements avec les ministres chargés des affaires communes, le Sénat de la Communauté formé par les représentants de tous les Territoires et de la métropole, et qui délibérera des affaires communes ; enfin, une Cour d’arbitrage, pour régler sans heurt les litiges qui pourraient se produire entre les uns et les autres.

Cette Communauté, je vais la proposer à tous et à toutes ensemble, où qu’ils soient. On dit : « Mais nous avons droit à l’indépendance ». Mais certainement oui ! D’ailleurs, l’indépendance, quiconque la voudra pourra la prendre aussitôt. La métropole ne s’y opposera pas. Un Territoire déterminé pourra la prendre aussitôt, s’il vote non au référendum du 28 septembre. Cela signifiera qu’il ne veut pas faire partie de la Communauté proposée et qu’il fait, en somme, sécession. Cela signifiera qu’il veut suivre son chemin isolément, à ses risques et périls. La métropole en tirera les conséquences, et je garantis qu’elle ne s’y opposera pas.

Mais si le corps électoral dans les Territoires d’Afrique vote oui au référendum, cela signifiera que, par une libre détermination, les citoyens ont choisi de constituer la Communauté dont j’ai parlé. Alors cette Communauté sera instituée, et je crois, je suis sûr, que ce sera pour le bien de tous. Mieux même : à l’intérieur de cette Communauté, si quelque Territoire, au fur et à mesure des jours, se sent, au bout d’un temps que je ne précise pas, en mesure d’exercer toutes les charges, tous les devoirs de l’indépendance, eh bien ! Il lui appartiendra d’en décider par son Assemblée élue, et, ensuite, par le référendum de ses habitants. Après quoi, la Communauté en prendra acte et un accord réglera les conditions des transferts entre le Territoire qui assumera son indépendance, et suivra sa route, et la Communauté elle-même. Je garantis d’avance que dans ce cas non plus, la métropole ne s’y opposera pas.

Mais, bien entendu, la métropole, elle aussi, gardera à l’intérieur de la Communauté, la libre disposition d’elle-même : elle pourra, si elle le juge nécessaire, rompre les liens de Communauté avec tel ou tel Territoire. Car il ne peut échapper à personne que la Communauté imposera à la métropole de lourdes charges, et elle en a beaucoup à porter. Je souhaite de tout mon cœur qu’elle persévère dans cette Communauté, qu’elle continue à porter ces charges, qu’elle le puisse et qu’elle le veuille ; mais elle se réservera elle aussi la liberté de ses décisions.

Voilà quelles sont les conditions dans lesquelles, je le crois, je l’espère, nous allons tous ensemble former cette Communauté franco-africaine qui me parait indispensable à notre puissance politique commune, à notre développement économique commun, à notre développement culturel et, si c’est nécessaire, à notre défense, parce que nul n’ignore que de grands dangers sont latents dans le monde, de grandes menaces sont suspendues au-dessus de nos têtes, et pèsent en particulier sur l’Afrique.

Il y a ailleurs dans le monde, principalement en Asie, de grandes masses humaines qui cherchent à s’étendre, faute d’avoir chez elles des moyens suffisants de vivre. Bien entendu, ce processus se couvre, comme toujours depuis que les hommes sont les hommes, d’un paravent idéologique. Mais derrière cette idéologie, il y a, comme toujours, l’impérialisme des intérêts, et, en outre, la tentative de trouver à l’intérieur des territoires menacés, la tête de pont politique qui en faciliterait l’accès et, au besoin, l’invasion.

Cela, quand on est un homme libre, on n’a pas le droit de se le dissimuler. Et c’est la raison également pour laquelle la France offre aux Africains cet ensemble commun qui vous permettra, avec elle, de détourner cette menace.

J’ai parlé ; vous m’avez entendu ; les Africains choisiront. De toute mon âme, je souhaite qu’ils choisissent ce que je vais proposer.

Je le souhaite pour eux, qu’ils me permettent de le dire, car il y a assez de- lien-, entre eux et moi pour que je puisse leur parler franchement, loyalement, d’homme à homme. Et puis, je le souhaite pour la France, car son œuvre doit se poursuivre -, et pour qu’elle veuille le faire, malgré toutes ses charges, il faut qu’elle s’y sente appelée par la sympathie, l’amitié de ceux qui vivent en Afrique. Enfin, je le souhaite pour le monde qui a grand besoin de voir s’établir sur des bases fermes la coopération de ceux qui veulent être et rester libres.

Vive la République, vive la France !

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