A Khrouchtchev, de Gaulle précise le rôle de la France dans le monde.

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En quelques échanges et courriers, le général de Gaulle donne à la France une nouvelle diplomatie et un sens à l’Etat français qu’il entend restaurer. Indépendance et grandeur sont les axes sur lesquelles repose la nouvelle vision de la France.

 

 

  

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Nikita Khrouchtchev   – Pendant une dizaine d’années, de 1953 à 1964, Khrouchtchev fut le chef de l’Union soviétique. Il fut alors célèbre dans le monde entier, à tel point que les journaux occidentaux prirent l’habitude de le désigner par la lettre « K »

 

 

 

30 juin 1958

Monsieur le président,

Je vous remercie de la lettre que vous m’avez fait remettre le 14 juin. Compte tenu des observations et des suggestions que cette lettre m’a apportées, j’ai examiné les perspectives qui s’ouvrent pour rétablir entre les principales puissances la bonne entente et la sincérité dans leurs rapports, qui sont des conditions primordiales de la paix. Il m’a fallu reconnaître que de patients efforts sont encore nécessaires pour parvenir à ce but.

Une conférence des chefs de gouvernement des principales puissances, projet dont vous voulez bien traiter avec ampleur, revêtirait évidemment une extrême importance, du point de vue tant des décisions qui y seraient éventuellement adoptées que de l’effet produit sur l’opinion dans le monde. C’est dire quelle est la portée de la préparation qui doit précéder une réunion de cette sorte. Il est absolument nécessaire d’éviter, grâce à cette préparation, qu’un défaut d’accord réel sur le fond des choses soit masqué par des formules trop générales qui porteraient en germes de nouveaux malentendus.

C’est la voie de la précision qu’il nous faut prendre me semble-t-il, quitte à accepter de centrer la conférence sur ce qui est, actuellement, l’essentiel, c’est-à-dire le problème du désarmement et les sujets qui y sont connexes, tels que, par exemple, les questions européennes dans leurs rapports avec la sécurité.

Mais pour ce qui est du désarmement, objet principal de nos soucis et, le cas échéant, de nos débats, je crois que nous devons nous efforcer de considérer le problème tel qu’il est, c’est-à-dire comme un tout dont les divers éléments se tiennent étroitement entre eux. Aboutir à un arrangement sur tel ou tel point partiel, sans aboutir sur l’ensemble, risquerait d’avoir pour résultat de servir les intérêts de telle ou telle puissance au détriment de telle ou telle autre. Il en serait ainsi par exemple, de l’interdiction éventuelle des expériences nucléaires si cette interdiction était adoptée indépendamment d’un désarmement effectif et contrôlé.

Nous mesurons tous, en effet, le danger que représentent, non point tant les expériences nucléaires elles-mêmes, que les masses sans cesse accrues d’armes dont l’effet destructeur risque de mettre en péril l’humanité tout entière, sans distinction de nations, ni de régimes. Pourrait-on croire, monsieur le président, qu’il suffirait, pour supprimer ce risque, d’arrêter les expériences alors que les stocks d’armes continuent à s’accumuler sans contrôle ? Ne serait-il pas plus sincère de reconnaître que le pouvoir de destruction démesuré dont l’homme s’est rendu maître nous oblige à réviser nos conceptions particulières, à accepter, notamment, certaines sujétions sans lesquelles il ne peut y avoir de paix assurée ?

Le véritable problème est, à mon sens, celui du contrôle collectif par un organisme international destiné à aboutir à l’élimination progressive des stocks d’armes nucléaires et à l’interdiction de toute fabrication nouvelle. Tant que nos efforts ne seront pas orientés dans ce sens, comment pensez-vous que mon gouvernement puisse accepter des mesures fragmentaires dont on voit bien en quoi elles pourraient intéresser les uns mais aussi contrarier les autres ?

Telles sont, monsieur le président, les premières réflexions que je crois devoir vous adresser à la suite de votre message. Laissez-moi ajouter que je comprends mal pourquoi celui-ci contient certaines accusations à l’égard de la France. Il ne me paraît vraiment pas conforme aux faits de parler, à son sujet, d’un « appareil de propagande excitant systématiquement des dispositions d’hystérie militaire ». Je ne vois rien de tel autour de moi.

L’ambassadeur de France a communiqué, le 2 juin, à M. Gromyko une proposition qui me paraît de bonne méthode. Elle consiste à classer en quelques chapitres l’essentiel des problèmes qui nous seraient soumis, à examiner ensuite quelles sont les propositions des uns et des autres qui méritent d’être inscrites sous les têtes de ces chapitres, et à apprécier, à titre préliminaire, le bien-fondé des arguments que chacun peut apporter à la défense de ses idées. Je serais heureux que vous donniez pour instruction au ministre des Affaires étrangères de l’URSS de commencer sur cette base une discussion préparatoire dont l’importance serait capitale.

Veuillez agréer, monsieur le président, l’assurance de ma très haute considération.

 

22 juillet 1958

Monsieur le président,

J’ai étudié avec le plus grand soin le fond et la forme de la lettre que vous m’avez adressée le 19 juillet et qui me propose de prendre part éventuellement à la réunion immédiate d’une conférence de chefs de gouvernement au sujet du Moyen-Orient.

Comme vous le savez, le gouvernement français a toujours considéré comme souhaitable qu’une discussion sérieuse puisse s’engager entre les puissances au sujet des problèmes qui les séparent et qui peuvent mettre la paix en danger. Aussi accueille-t-il aujourd’hui favorablement le principe d’une conférence relative au Moyen-Orient.

Je dois toutefois, monsieur le président, vous dire franchement que certaines des raisons que vous invoquez et certains des termes que vous employez ne me semblent pas les plus propres à faire aboutir votre proposition. J’ai, en effet, le sentiment qu’une conférence « au sommet », réunie devant un univers plongé dans les soucis et dans les inquiétudes, n’aurait de chances de réussir que dans l’objectivité et dans la sérénité. Or, il me faut vous faire observer que maints passages de votre lettre ne sauraient faciliter la détente et l’esprit d’entente nécessaires entre les éventuels participants.

Pourquoi, par exemple, comparer la présence des forces américaines au Liban et des forces britanniques en Jordanie, appelées par les gouvernements de ces États à la suite des événements d’Irak, avec l’agression commise naguère par Hitler contre la Pologne ? (Hitler, hélas ! n’était pas seul.) Vraiment, une telle comparaison répond-elle à la réalité ?

Pourquoi me parler « d’un essai de démonstration militaire française devant les côtes du Liban », puisque la France ne participe pas à l’initiative qu’ont prise les États-Unis et la Grande-Bretagne et que la mission des forces françaises consiste simplement à assister, le cas échéant, les ressortissants français ?

Pourquoi prétendre que « la triste et dure expérience acquise par la France en Algérie et au moment de l’agression non provoquée des forces anglo-franco-israéliennes contre l’Égypte a laissé dans le cœur de chaque Français une trace profonde » ? L’Algérie ne concerne que la France et l’action entreprise sur le canal de Suez avait été évidemment provoquée. Je m’abstiendrai, quant à moi, d’insister, réciproquement, sur les traces que certaines entreprises ont laissées dans l’âme du peuple russe.

Ayant dit cela, monsieur le président, je vous confirme mon intention de prendre part au contact direct que vous souhaitez entre les chefs de gouvernement des principales puissances au sujet du Moyen-Orient, dès lors que ce contact pourrait être organisé, « dans la raison et le calme », comme vous l’écrivez vous-même. L’Organisation des Nations unies est actuellement saisie du problème. Je crois que, pour l’instant, le mieux est de la laisser continuer ses débats. Si ceux-ci n’aboutissaient pas, le projet d’une conférence au sommet pourrait, à mon avis, être alors poursuivi. Dans ce cas, le gouvernement français serait prêt à discuter aussitôt de la composition, de la date et du lieu qui seraient les mieux appropriés à la réunion envisagée.

Veuillez agréer, je vous prie, les assurances de ma très haute considération.

 

26 juillet 1958

Monsieur le président,

Par votre lettre du 19 juillet, vous m’avez proposé de prendre part à une Conférence immédiate qui réunirait les chefs de gouvernement de l’URSS, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Inde et de la France et qui aurait pour objet le Moyen-Orient. Vous suggériez Genève comme lieu de notre rencontre. Je vous ai répondu le 22 juillet que l’idée d’une telle Conférence était conforme aux vues de la France et que le gouvernement français acceptait volontiers d’en examiner aussitôt, avec les États intéressés, la composition, la date et le lieu dès que le Conseil de sécurité des Nations unies aurait achevé ses débats en cours et de telle sorte que la réunion puisse avoir lieu dans les conditions nécessaires d’objectivité.

Sur ces entrefaites, le Conseil a terminé, en effet, l’étude de la question du Liban sans aboutir d’ailleurs à aucun résultat positif. Je suis donc tout disposé à procéder sans délai à la préparation de la « Conférence au sommet » et à y prendre part avec les chefs de gouvernement.

Or, votre lettre du 23 juillet m’apporte une proposition profondément différente de celle que vous formuliez le 19. Estimant, apparemment, que l’urgence des questions relatives au Moyen-Orient s’est atténuée, vous recommandez, à présent, non plus une « Conférence au sommet », mais une session spéciale du Conseil de sécurité des Nations unies. À cette session, les chefs de gouvernement pourraient, certes, participer. Mais, de toute manière, les représentants des onze États membres du Conseil ainsi que celui de l’Inde et ceux des États arabes intéressés seraient appelés à y siéger. Je dois noter que, dans ce cas, il serait, à mon avis, indispensable d’y convier également d’autres États du Moyen-Orient, tout au moins la Turquie, l’Iran, Israël, qui sont, eux aussi, directement intéressés. Sans nul doute, des débats engagés dans de telles conditions détermineraient bientôt le Conseil à étendre davantage encore le nombre des participants et le champ des discussions. Cette session « spéciale » du Conseil de sécurité n’aurait donc aucun rapport avec la Conférence au sommet que nous avions envisagée et à laquelle j’ai, en principe, accepté de me rendre.

Pour ma part, je crois préférable que nous nous en tenions à notre projet initial, c’est-à-dire à une Conférence des chefs de gouvernement des principales puissances intéressées. Il me semble aussi qu’il vaudrait mieux que cette réunion ait lieu en Europe. J’accepte volontiers Genève et, à défaut, toute autre ville de notre continent. De toute façon et lors même que le Conseil de sécurité ouvrirait prochainement la session spéciale que vous venez de proposer, je pense que l’intérêt du monde et l’étendue de nos responsabilités nous conduiront, tôt ou tard, à tenir « dans la raison et dans le calme », comme vous le souhaitiez d’abord si justement, une réunion des chefs de gouvernement.

Le gouvernement français croit donc devoir, en ce qui le concerne, préparer avec soin cette Conférence. C’est dans ce but qu’il va, dès à présent, se concerter sur la question du Moyen-Orient avec d’autres États — notamment européens — qui y sont intéressés et dont la manière de voir ne saurait manquer d’entrer en ligne de compte quant à la position qu’il adoptera lui-même sur le fond du problème.

Autant que personne, monsieur le président, vous comprendrez certainement la portée de la consultation à laquelle va procéder le gouvernement français. Car la Russie, tout comme la France, sait que le destin du Moyen-Orient engage d’une manière directe celui de l’Europe tout entière.

Veuillez agréer, monsieur le président, les assurances de ma très haute considération.

 

31 juillet 1958

Monsieur le Président,

Votre lettre du 29 juillet insiste sur l’importance et sur l’urgence que présenterait, à vos yeux, la réunion d’une conférence des chefs de gouvernement de l’URSS, des États-Unis d’Amérique, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Inde pour étudier les problèmes du Moyen-Orient. Vous envisagez que cette conférence ait lieu en Europe. Vous indiquez qu’elle devrait avoir pour objet « d’assurer le retrait des troupes étrangères du Liban et de Jordanie et d’empêcher l’extension de la zone du conflit militaire ».

En ce qui concerne le principe d’une réunion des chefs de gouvernement, je vous confirme l’acceptation du gouvernement français dès lors que cette réunion aurait lieu dans les conditions nécessaires d’objectivité et de sérénité. Si les autres gouvernements intéressés étaient d’accord pour que cette conférence se réunisse et s’ils pouvaient le faire dans ces conditions, je serais prêt à m’y rendre en toute ville de l’Europe et à toute date qui conviendraient aux participants. Je proposerais, pour ma part, que ce soit à Genève le 18 août prochain.

Quant à l’objet de la conférence, je crois qu’il ne devrait pas être limité au problème posé par la présence des troupes américaines au Liban et des troupes britanniques en Jordanie, qui n’est que la conséquence d’une situation d’ensemble, ni à l’extension éventuelle de la zone du conflit militaire, car on ne constate pas de conflit de cette sorte. C’est, à mon avis, toute l’affaire du Moyen-Orient et l’état continuel de crise qui empêche cette région du monde de vivre et de se développer dans des conditions normales que la conférence aurait à aborder d’une manière franche et complète. Après la consultation à laquelle elle procède actuellement auprès de certains États, la France aurait à faire, le cas échéant, sur ces sujets, des propositions précises.

En attendant qu’une décision soit prise par les gouvernements intéressés quant au projet de conférence au sommet, le gouvernement français ne fait aucune objection à ce que le Conseil de sécurité tienne une nouvelle session, comme le suggèrent les gouvernements britannique et américain. Toutefois, une telle session, en raison de la composition du Conseil, du nombre des États qui devraient être invités à y participer, de la nature de son ordre du jour, du caractère de ses débats, ne saurait évidemment être confondue avec une conférence des chefs de gouvernement.

En tout cas, j’ai le sentiment qu’il conviendrait dorénavant de poursuivre par la voie diplomatique normale les discussions qui seraient encore éventuellement nécessaires pour aboutir à un accord quant au principe, au lieu, à la date, à l’objet de la conférence que vous-même avez, d’abord, proposée.

Veuillez agréer, monsieur le président, les assurances de ma très haute considération.

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