Le mutisme du Parlement européen sur la Tunisie

Par Lénaïg Bredoux

La scène a eu lieu à Strasbourg. Les députés européens sont réunis pour une session plénière, trois jours seulement après la chute de Ben Ali. Le président du Parlement, le conservateur polonais Jerzy Buzek, demande une minute de silence pour les victimes de la répression en Tunisie. Il propose le concours de l’Union européenne pour l’organisation d’élections libres. Mais les Verts de Daniel Cohn-Bendit et la Gauche européenne du PCF veulent un débat pour voter une résolution de soutien au peuple tunisien.

 

«Dans une curieuse ambiance où se mêlaient gêne et confusion», selon le communiste Patrick Le Hyaric, la majorité des députés refusent, soutenus par les deux principaux groupes représentés dans l’hémicycle, le Parti populaire européen (PPE), dont est notamment membre l’UMP, et le Parti socialiste européen (PSE), auquel appartient le Parti socialiste de Martine Aubry. Depuis, la vidéo de l’intervention de Daniel Cohn-Bendit a fait le tour de la Toile, y compris en Tunisie, où les dénonciations de la politique étrangère de la France et de l’Union européenne font fureur.

«J’aurais aimé que ce Parlement soit à la hauteur de la fierté des Tunisiens qui ont su abattre le dictateur. Le dictateur est tombé mais la dictature existe toujours. La majorité de ce Parlement a soutenu depuis des années le dictateur», a dénoncé Cohn-Bendit à Strasbourg, confondant au passage la ville de Sidi Bouzid d’où sont parties les manifestations massives et Mohamed Bouazizi, le jeune homme qui s’y est immolé le 17 décembre dernier. Joint par téléphone, le député vert enfonce le clou: «Cela fait des années que c’est comme ça. On a déposé des dizaines de demandes et le PSE et le PPE ont toujours refusé. Ils considéraient que Ben Ali était un rempart contre l’islamisme.»

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le débat organisé l’an dernier au Parlement sur l’octroi du statut avancé en termes de coopération entre l’Union européenne et la Tunisie: on y voit par exemple la commissaire Neelie Kroes louer un «partenaire proche et fiable», notamment en matière de «sécurité» et «d’immigration», et la croissance économique, malgré des «lacunes» en matière de respect de la liberté d’expression.

Le député belge, et ancien commissaire européen, Louis Michel ou le Français Dominique Baudis (UMP) sont encore plus radicaux, le premier insistant notamment sur les droits des femmes et le second lâchant que «bien des pays pourraient envier de tels résultats». La Tunisie est le premier pays du sud de la Méditerranée à avoir signé un accord d’association avec l’UE en 1995, en vue d’établir une zone de libre-échange entre les deux parties.

«Nous ne sommes pas une agence de presse»

Du côté des socialistes européens, Armin Machmer, porte-parole du président allemand du groupe Martin Schulz, explique que son groupe n’était pas opposé au vote d’une résolution mais qu’il a jugé qu’une déclaration de M. Buzek «en ouverture de la session avait beaucoup plus de signification». Drôle d’argument lorsqu’on songe que les résolutions votées par le Parlement ont pour objectif de peser sur les gouvernements et sur la politique de la Commission. Surtout, avance M. Machmer, «les événements étaient mouvants» en Tunisie: «Nous ne sommes pas une agence de presse qui fait une déclaration toutes les deux heures. Nous voulons une résolution, mais avec un débat profond et fondé.»

Cette position n’a pourtant pas fait l’unanimité parmi les socialistes: la délégation française s’y est opposée et a lancé mercredi un appel pour que l’Union européenne soutienne la transition démocratique en Tunisie. «En général, on évite de prendre une position différente du groupe, mais là on a vraiment pensé qu’il y avait urgence», explique la députée Françoise Castex.

Selon elle, pour des raisons historiques et géographiques, les Allemands sont moins sensibles à la situation au Maghreb que les Français. «Quand c’est sur la révolution orange en Ukraine, on est en revanche très prompts à réagir», explique-t-elle. A l’instar de Stéphane Le Foll, proche de François Hollande et vice-président du PSE: «La droite nous fait chier avec l’Ukraine et la Biélorussie, avec parfois un anti-communisme primaire. Cette semaine, c’est le PPE italien qui a demandé une résolution sur Cesare Battisti (dont l’extradition a été refusée par le Brésil)! Il fallait une résolution sur la Tunisie, même simple!»

Dans ce contexte, il explique le refus du PSE par la «logique institutionnelle» qui préside au fonctionnement du Parlement européen, où le compromis est constamment recherché par les principaux groupes. La responsable de la diplomatie européenne Catherine Ashton a d’ailleurs pris, elle, des positions beaucoup plus claires ces derniers jours. «Le fonctionnement du Parlement est assez lourd», estime Le Foll. Un argument repris par Armin Machmer pour Martin Schulz: «Pour une résolution, il faut travailler avec toutes les fractions, avoir de nombreux débats pour trouver un compromis, et parfois il n’en sort rien… Les processus au Parlement exigent de la préparation.»

D’autres députés de gauche parlent plutôt d’une «prudence excessive», comme Françoise Castex, qui juge l’épisode révélateur «d’un manque de maturité politique du Parlement, qui passe parfois à côté de certains moments de l’Histoire». «Ils ont été pris de court, tout cela les oblige à repenser et rediscuter leurs positions passées. Il y a une fainéantise intellectuelle et un manque de courage politique. Pour la plupart, la question est d’être du côté du manche, c’est tout…», lâche l’écologiste Hélène Flautre.

Face au tollé, la conférence des présidents de groupe a finalement décidé jeudi d’organiser début février lors de la mini-session du Parlement à Bruxelles le vote d’une résolution sur la Tunisie, avant le départ sur place d’une délégation officielle de députés européens.

4 commentaires sur Le mutisme du Parlement européen sur la Tunisie

  1. maugard patrick // 25 janvier 2011 à 19 h 23 min //

    Une fois de plus le parlement européen demontre son incompétence et poutant il nous coute cher . . .
    Il ne pourra jamais de possibilité d accord en ce qui concerne la politique étrangère , le passé potitique de chaque pays est trop different

  2. Le parlement européen est à l’image de l’europe : sans couleur , sans odeur, méprisant les peuples ce qui est un comble et , le plus grave , inféodé aux fantasmes de la politique américaine .Triste réalité . Quand les peuples européens auront ils le courage de reprendre en mains la maitrise de leur destin ?

  3. Ce n’est pas la poigne de fer de l’ex-président Ben Ali que je condamne, mais le régime corrompu avec une bourgeoisie complice qui règne toujours et prétend faire des élections libres. Avant moi d’autres ont constaté que les inégalités créent le désordre et le désordre l’anarchie. Je ne souhaite pas aux Tunisiens l’anarchie mais la liberté dans l’ordre. G.

  4. Pierre Bellenger // 24 janvier 2011 à 10 h 47 min //

    Le moins que l’on puisse dire, c’est confus, très confus. Combien d’arrières pensées dans tout cela ! Une coche n’y retrouverait pas ses petits !
    Il n’y a même plus de frantières entre droite et gauche. Tous deux optent pour les mêmes choses : la démocratie en matière politique, la Pensée-Unique en matière économique, et la primauté du pouvoir à la finance en matière financière, car tous deux ne dénoncent pas Maastricht et consors ! Le seul souci à l’une et à l’autre, c’est d’obtenir l’assiette au beurre (vieille locution politique de 1936 et toujours valable). C’est plutôt minable.
    Et si on essayait de construire une europe avec un autre système économique, une europe où les politiques auraient le pouvoir réel ? Car ils n’ont aucun pouvoir en réalité, puisque nous l’avons donné par traité aux marchés et à la finance.
    Pierre.Bellenger@wanadoo.fr

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