Wendel: le fisc rattrape Seillière

 

seilliere Ernest-Antoine Seillière va remâcher son amertume: à une semaine près, le président du conseil de surveillance de Wendel aurait bénéficié d’une prescription fiscale. Au dernier moment, l’administration fiscale l’a rattrapé. Comme l’a révélé le Journal du dimanche dans son édition du 2 janvier, la direction nationale de vérifications des situations fiscales (DNVSF) a adressé par voie d’huissier une notification de redressement à l’ancien président du Medef ainsi qu’aux quatorze autres cadres dirigeants ou anciens dirigeants de Wendel, associés à l’opération Solfur. Par le biais de montages multiples (racontés ici par Mediapart), ces quinze responsables ont pris possession en mai 2007 de 4,7% du capital de Wendel, représentant au moment de l’opération un total de 324 millions d’euros mais payés seulement 102 millions d’euros.

Ce n’était qu’un moyen pour aligner les intérêts des managers sur ceux des actionnaires, n’ont cessé d’expliquer Ernest-Antoine Seillière et Jean-Bernard Lafonta, principaux bénéficiaires de ces montages. Il s’agit d’un système de rémunérations déguisées, juge aujourd’hui l’administration fiscale. Elle qualifie le montage utilisé «d’abus de droit». Selon l’article 64 du livre des procédures fiscales, «les actes constitutifs d’un abus de droit n’ont pour autre motif que de chercher à éluder ou atténuer les charges fiscales qui auraient dû être supportées normalement». En l’espèce, l’administration fiscale semble juger que les multiples montages auxquels ont eu recours les dirigeants de Wendel pour prendre possession de 4,7% de Wendel n’avaient pour but que de tromper le fisc.

Il considère donc le tout comme des salaires déguisés et a décidé de les imposer comme tels. Les quinze responsables voient imposer les sommes qu’ils sont censés avoir gagnées au taux marginal de 40%, assorti d’une pénalité pour mauvaise foi de 80%. Sur un total de 324 millions, le fisc leur réclame donc 240 millions. Jean-Bernard Lafonta, principal bénéficiaire de l’opération – il avait reçu 2,4% du capital représentant à l’époque 156 millions d’euros – se voit réclamer 100 millions d’euros. Ernest-Antoine Seillière, deuxième partie prenante, s’est vu notifier un redressement de 50 millions sur les 72 millions qu’il est supposé avoir touchés. Bernard Gautier, autre membre du directoire, aurait un redressement de 24 millions d’euros. Arnaud Desclèves, ancien directeur juridique de Wendel, qui a porté son cas devant le tribunal de commerce, s’est vu notifier un redressement de 8 millions d’euros sur les 11 millions qui lui ont été théoriquement attribués.

Tous ont trente jours pour présenter leur défense aux impôts. Les uns et les autres ne vont pas manquer de faire valoir auprès de l’administration fiscale que leur opération n’a été belle que sur le papier, qu’ils n’ont jamais vu la couleur des plus-values qu’ils espéraient. Les actions qu’ils avaient acquises, souvent en s’endettant, sur la base d’un cours à 130 euros sont tombées à moins de 30 euros et sont aujourd’hui à 69,20 euros. Si les trois principaux dirigeants semblent avoir limité leurs pertes, les autres cadres dirigeants en ressortent ruinés, ayant perdu entre 2 et 3 millions d’euros chacun.

«Les sommes que réclame l’administration fiscale sont énormes. Mais la position de l’administration fiscale conforte totalement celle de mon client. Il s’agit bien d’un salaire et Wendel doit assumer ses responsabilités», dit Alexandre Merveille, avocat d’Arnaud Desclèves au cabinet Versini-Campinchi. Le groupe Wendel réfute cette interprétation. Il explique à Mediapart n’être en rien concerné par ces disputes entre associés extérieurs. Pour lui, ces opérations ne s’apparentent en rien à des salaires déguisés. La preuve? «Wendel n’a reçu aucune demande ou notification de l’URSSAF concernant des faits de 2007 qui, comme en matière fiscale, sont en tout état de cause aujourd’hui prescrits», assure-t-il dans un communiqué.

«Ernest-Antoine Seillière sans protection»

Même si chacun essaie d’en minorer l’importance, la notification de l’administration fiscale est une mauvaise nouvelle pour Wendel et ses dirigeants. Le fisc avait ouvert une enquête dès le printemps 2008, au moment du dépôt de la plainte pour abus de biens sociaux de Sophie Boegner – une des actionnaires familiales qui, la première, avait dénoncé les tours de passe-passe réalisés chez Wendel. Mais au fil des mois, celle-ci semblait s’enliser.

Officiellement, c’est le dépôt de plainte de l’ancien directeur juridique de Wendel, Arnaud Desclèves, auprès du tribunal de commerce, qui a relancé toute l’affaire. Découvrant la nouvelle plainte dans la presse, le fisc a demandé une copie du dossier auprès du greffe du tribunal de commerce. Et en quelques jours, il aurait notifié un redressement afin de ne pas voir l’affaire prescrite. Cette brutale accélération laisse certains observateurs un peu dubitatifs. «Le fisc n’avait pas besoin de cette nouvelle plainte pour comprendre le mécanisme. Il savait l’essentiel depuis longtemps. S’il n’est pas intervenu avant, c’est qu’il ne le pouvait pas. Aujourd’hui, la protection dont bénéficiait jusqu’alors Ernest-Antoine Seillière, ne semble plus jouer», explique un proche du dossier.

Mauvaise nouvelle pour l’ancien président du Medef. Car ce possible lâchage interviendrait au moment où les ennuis s’amoncellent. En parallèle à son redressement fiscal, celui-ci doit s’expliquer aussi auprès de l’autorité des marchés financiers (AMF), sur sa montée surprise dans le capital de Saint-Gobain. Une opération engagée des mois auparavant et dissimulée par le biais de produits dérivés, qui ressemble en tout point à l’abordage que tente de faire LVMH dans Hermès. Autant dire que le sujet est brûlant pour la place financière.

Une première audience publique a eu lieu début décembre sur le sujet. Nommé par Christine Lagarde, le rapporteur de la commission des sanctions, Guillaume Jalenques de Labeau, a pris une position qui a surpris plus d’un spécialiste: il n’y avait aucun grief, selon lui, à retenir contre Ernest-Antoine Seillière et Jean-Bernard Lafonta, à l’époque président du directoire de Wendel. D’un geste, il balaya tout le rapport d’enquête de l’AMF, tous les faits relevés, et aussi le témoignage qu’avait accepté de faire Arnaud Desclèves, toujours lui, auprès des autorités boursières. Celui-ci y affirmait par écrit que l’opération de prise de contrôle avait été initiée dès fin 2006. «L’objectif était donc la prise de contrôle de Saint-Gobain par surprise (…) Le but était d’éviter de faire des déclarations de franchissement de seuil pendant la montée au capital afin de limiter la hausse du cours et de limiter la capacité de réaction de Saint-Gobain», soutient-il en détaillant les montages financiers mis en œuvre par la direction de Wendel pour masquer sa prise de contrôle rampante.

La position adoptée par le rapporteur de la commission des sanctions de l’AMF est jugée si caricaturale par de nombreux observateurs qu’elle semble intenable. Les responsables de l’AMF savent qu’ils jouent sur ce dossier le reste de leur crédibilité, après la multitude des revers de ces dernières années, d’EADS à Rhodia en passant par Vivendi. Ils entendent se montrer d’autant plus vigilants que la justice s’intéresse elle aussi au dossier.

Dans le cadre de la plainte pour abus de bien social, le juge Renaud Van Ruymbeke semble regarder de très près toute cette période. Dans les procès-verbaux que Mediapart a pu consulter, les enquêteurs de la brigade financière mènent de front les questions sur la montée au capital de Saint-Gobain et l’opération Solfur. Elles se déroulent au même moment. Y aurait-il un lien? Pourquoi les dirigeants de Wendel ont-ils éprouvé le besoin au printemps 2007 de réaliser à toute vitesse la prise de contrôle de 4,7% du groupe, alors qu’ils avaient jusqu’à fin 2010 pour faire cette opération? N’avaient-ils pas un devoir d’abstention, comme le stipule le règlement boursier, puisqu’ils savaient qu’au même moment, Wendel avait déjà, par le biais de produits dérivés, pris plus de 10% de Saint-Gobain et planifiait d’aller au-delà de 20%? Autant de questions qui jusque-là n’ont jamais été posées à Ernest-Antoine Seillière.

Martine Orange

2 commentaires sur Wendel: le fisc rattrape Seillière

  1. Les oligarques n’ont aucun scrupule pour s’enrichir et imposer une austérité de plus en plus forte pour les salariés. Mais qu’ils prennent garde le vent est en train de tourner! D’autres désagréments pourraient surgir!

  2. Jacques Payen // 10 janvier 2011 à 17 h 38 min //

    Énarque, membre de nombreux cabinets ministériels, capitaine de finance, patron des Patrons, Seillière est le
    prototype de ces rapaces qui ont allègrement et sans scrupules conjugué carrière publique et carrière privée.
    Jusqu’à l’écœurement.
    On ne relève pas suffisamment que cette confusion des intérêts, que ce dévoiement, depuis 40 ans, sont une des sources de la crise de confiance envers les « élites ».

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