Conflit d’intérêts : la triple vie du sénateur Dominati

 

 

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Sur la question des conflits d’intérêts au Parlement, le sénateur Philippe Dominati (UMP) affiche une position radicale : «Il ne faut pas réglementer !» Et pour cause : en plus de son mandat de sénateur de Paris, qui lui rapporte déjà 7.000 euros d’indemnités par mois, Philippe Dominati pointe au conseil d’administration de Theolia (société spécialisée dans l’éolien) et préside le conseil de surveillance de Teleperformance France (filiale hexagonale du n°1 mondial des centres d’appels).

 

A coups de jetons de présence et de missions grassement rémunérées, Philippe Dominati, condamné en première instance à six mois de prison avec sursis dans une affaire de faux électeurs, quadruple quasiment ses revenus. En 2010, ces deux mandats privés devraient ainsi lui rapporter quelque 230.000 euros.

A priori, rien d’illégal : le régime des incompatibilités parlementaires (très lâche) n’interdit pas ces multiples casquettes. Mais comment l’élu peut-il concilier l’intérêt général, qu’il est censé porter dans l’hémicycle, avec l’intérêt de ses entreprises, qu’il est payé pour défendre ? «Il n’y a aucun conflit», jure-t-il. Le Conseil de l’Europe a pourtant estimé que «le conflit d’intérêts naissait d’une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer, ou paraître influer, sur l’exercice impartial (de sa mission).» N’est-il pas en plein dedans ?

«Vous ne pouvez pas interdire à un parlementaire de garder un pied dans son activité, réplique l’intéressé. Sinon, vous déconnectez la représentation nationale du terrain. On ne va pas non plus mettre un agent de police derrière chacun d’entre nous ! Le meilleur garde-fou, c’est la transparence.» Argument classique. Comme les 919 autres parlementaires français, Philippe Dominati a certes rempli une déclaration d’activité, au lendemain de son élection. Mais ce document, remis au bureau du Sénat ou de l’Assemblée, est interdit d’accès au public ! «Je ne suis pas sûr de l’avoir mis à jour…», souffle au passage le sénateur UMP. Quand bien même : quelle garantie les citoyens pourraient-ils avoir qu’il ne fait pas en douce le jeu de l’éolien, ou qu’il ne favorise pas la délocalisation des centres d’appels au Maghreb ?

En libéral décomplexé, Philippe Dominati répond : «Le vrai lobby, c’est celui des fonctionnaires, ultra représentés au Parlement, qui vous expliquent que l’Etat doit dépenser toujours plus.» Et d’ironiser : «Vous voulez des parlementaires totalement nus, qui n’acceptent même pas une remise sur une Clio !» C’est plutôt une question de curseur.

«Il ne s’agit pas de présumer la culpabilité, explique Martin Hirsch dans son livre, Pour en finir avec les conflits d’intérêts, paru en octobre. Il s’agit d’abord de rendre les décisions insoupçonnables, de les mettre à l’abri du doute.» En l’occurrence, le doute persiste. Démonstration.

Sa casquette Theolia

Philippe Dominati a rejoint le conseil d’administration de Theolia en juin 2009, alors que l’entreprise d’éoliennes semblait au bord du gouffre – non par conviction («j’étais réservé»), mais pour suivre un vieil ami (Eric Peugeot), qui en prenait les manettes. L’élu, qui a touché 38.000 euros de jetons de présence en 2009, siégeait alors à la commission des affaires économiques du Sénat, chargée des textes sur les énergies renouvelables et des questions suivantes : quel prix de vente pour l’électricité éolienne ? Quelle réglementation pour préserver les paysages ? Etc.

Son positionnement s’est encore compliqué au début 2010, lorsque Theolia l’a chargé d’une «mission» de la dernière chance, indispensable pour sauver l’entreprise de la liquidation (comprenant la «supervision de tout contact utile à la réalisation du plan de restructuration financière», la «supervision des relations avec l’Autorité des marchés financiers», la «validation des options de stratégie de marché», etc). Une mission – pas loin du lobbying – rémunérée 80.000 euros (plus une prime en cas de réussite). Comment l’oublier dans l’hémicycle, quand débarque, par exemple, le projet de loi «Grenelle 2» ?

Après une heure de discussion, Philippe Dominati ne nie pas la difficulté : «On peut se poser la question du conflit d’intérêts, admet-il. Avec Theolia, c’est presque un cas d’école…» Sans hésiter, il raconte d’ailleurs que le Syndicat des énergies renouvelables (auquel Theolia adhère) l’a contacté à l’automne 2009, après l’avoir identifié comme un relais potentiel, pour lui suggérer des amendements «maison», à glisser dans le budget 2010. «J’en ai peut-être défendu qui interagissaient avec Theolia, je ne me souviens plus», explique Philippe Dominati. «Le Syndicat m’en a encore proposé cette année, mais je n’en prends plus, jure-t-il. Quand on parle de l’éolien, je ne vais même plus en séance. La prudence me fait évoluer.»

Le Syndicat confirme certes que «Philippe Dominati n’intervient pas explicitement». En même temps, en juin 2010, en plein débat sur le projet de loi NOME (libéralisant le marché de l’électricité), le sénateur a participé à l’audition d’un concurrent de Theolia, le patron de GDF-Suez, au risque de sombrer dans le mélange des genres!

Quelques mois plus tôt, l’élu de Paris avait bénéficié d’un voyage d’études financé par le Syndicat des énergies renouvelables, dans un village portugais à la pointe de l’éolien. Le sénateur se souvient avoir «mesuré là-bas le retard français»: «En général, je ne suis pas pour multiplier les aides publiques, mais je trouverais bien que la France se donne les moyens d’avoir des fonderies qui sachent construire des mâts et des pales d’éoliennes…» Qui parle, là ? Le représentant du peuple ou l’administrateur de Theolia ? Les convictions ou le portefeuille ?

Enfin, Philippe Dominati représente ses pairs, en compagnie d’un sénateur socialiste, au Conseil supérieur de l’énergie, une instance chargée de livrer un avis au gouvernement sur l’ensemble des textes réglementant le secteur ! «Je n’y vais pratiquement pas, relativise le sénateur. Tout le monde vous dira que je fais mal mon boulot… Toute cette pile de décrets, c’est une corvée monumentale.» Sentant peut-être le vent tourner, Philippe Dominati assure qu’il s’apprête à en démissionner

Sa casquette Teleperformance

Philippe Dominati dit ne s’être jamais interrogé sur sa place à Teleperformance, où il travaille depuis une vingtaine d’années. «Quand je suis devenu parlementaire en 2004, je ne me suis pas posé de question : je n’avais plus de lien avec le côté opérationnel, je n’étais pas directeur commercial !» «Juste» président du Conseil de surveillance de la filiale hexagonale.

Mais d’autres s’interrogent aujourd’hui pour lui. Présente dans 51 pays, la société se vante, rien qu’en France, de dépanner et «assister» chaque jour plus de 500.000 consommateurs en proposant des services d’assistance technique, d’acquisition de clientèle ou encore de recouvrement de créances. Ses meilleurs clients se trouvent dans la téléphonie, qui constitue plus de 50% des activités du groupe côté en bourse (notamment SFR, Orange ou Bouygues Télécom en France). Mais on trouve aussi, entre autres, des assurances, des mutuelles, des banques de crédit dans le carnet de commandes de Teleperformance.

D’après le rapport d’activité de la holding, Philippe Dominati, qui possède 2.134 actions, a touché 76.800 euros de rémunérations, plus 23.000 euros de jetons de présence en 2009, soit environ 100.000 euros.

Dans son rapport d’activités 2009, Teleperformance précise qu’«il n’a pas été porté à (sa) connaissance par les membres du conseil de surveillance de conflits d’intérêts potentiels entre leurs devoirs à l’égard de l’émetteur et leurs intérêts privés». Pas de conflit d’intérêts déclaré à l’employeur, donc. Mais à l’égard de la représentation nationale ?

Le sénateur ne nie pas être déjà intervenu sous «une double casquette». En septembre 2004, le gouvernement annonce qu’un arrêté obligera les centres d’appels, très souvent délocalisés, à indiquer au consommateur depuis quel pays leur correspondant répond. Philippe Dominati demande alors un rendez-vous à Patrick Devedjian, ministre délégué à l’industrie, pour lui dire que cette idée est «une stupidité absolue», et que le gouvernement «méconnaît la problématique». L’arrêté, pourtant signé, ne sera jamais publié au Journal officiel.

Six années plus tard, en 2010, Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’Etat à l’emploi, recycle l’idée. Surtout, après que Teleperformance a annoncé un nouveau plan social en juin (689 postes supprimés à la suite d’un premier plan social en 2009), il préconise des Assises des centres d’appels. Comme mesure principale, le ministère envisage de surtaxer les appels provenant de centres à l’étranger. La mesure fera pschitt. Et les Assises avec.

Le syndicat Sud de Teleperformance s’interroge sur cette annonce sans lendemain et renchérit : pourquoi Christian Estrosi, ministre de l’industrie jusqu’à peu, si prompt à s’émouvoir des pertes d’emplois liées aux délocalisations dans des groupes fortement bénéficiaires (88 millions d’euros dans le monde en 2009), n’a-t-il pas réagi à ces centaines de licenciements ?

Surtout, les salariés s’interrogent sur d’autres situations, notamment l’attribution de marchés publics. Pourquoi le ministère du travail a-t-il confié la gestion de la plateforme «Travail Info Service» à Teleperformance en décembre 2008 ? Jusque-là, c’est le concurrent B2S qui détenait le contrat. Le ministère du travail l’a transféré à Teleperformance, quitte à mettre des salariés sur la paille, alors même que Teleperformance venait de perdre le «label social» (mis en place par le gouvernement lui-même).

Le doute né des multiples activités de Philippe Dominati ne s’arrête pas là. Le rapport d’activité de Teleperformance énonce l’évidence : «Le développement de notre activité dépend également du succès de nos clients et des contrats qu’ils nous confient.»

Dès lors, comment imaginer que Philippe Dominati ne cherche pas à préserver la santé financière de ceux qui nourrissent son business ? Comment ne pas avoir des doutes sur son impartialité, en 2010, quand il participe, en tant que rapporteur de la loi sur le crédit à la consommation, à limiter le durcissement de la législation, alors que son groupe a comme activité le recouvrement de dettes, et comme client Sofinco ?

Comment lui faire confiance quand il dépose un amendement cavalier sur la fibre optique en plein examen d’une loi sur… le financement des PME ? Alors que l’opposition dénonce un amendement spécialement conçu pour avantager Free, et que quelques mois plus tard, en juin 2010, Free devient un client de Teleperformance en ouvrant un centre d’appels en Tunisie ?

Philippe Dominati n’apporte pas de réponses à ces questions : il ne voit pas où se situe le problème.

Mathilde MathieuMichaël Hajdenberg

2 commentaires sur Conflit d’intérêts : la triple vie du sénateur Dominati

  1. Jean Claude GENTY // 4 décembre 2010 à 18 h 53 min //

    Un seul mot (qui n’est pas de moi, mais de qui vous savez) :
    – Qu’on les chasse !
    C’est tout ce que ça mérite.

  2. Nous pourrons encore nous étonner longtemps avec cette pratique du cumul des mandats et des incidences en conflits d’intérêts.
    Pour remédier à ces situations insupportables aux yeux des citoyen(ne)s de base une seule solution :
    par la Loi interdire à un élu et par extension à tout fonctionnaire de cumuler les fonctions électives et une quelconque fonction à responsabilité dirigeante dans une entreprise privée, une association ou une organisation quelconque.
    Mais qui aura le courage de porter un tel projet de Loi devant le Parlement ?
    A une époque où tout est plus complexe à gérer et nécessite beaucoup de temps et d’attention de la part de nos élus ,exiger des parlementaires et des fonctionnaires une totale disponibilité à l’exercice d’un unique mandat et/ou de la fonction exercée apparaitraît comme une mesure de salut public.

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