Le Puzzle de l’intégration par Malika Sorel

Entretien avec Malika Sorel : «Avoir occulté aux migrants et à leurs descendants la réalité du contrat social et moral de la société française ne pouvait aboutir qu’à leur exclusion»

 

L’Observatoire du communautarisme propose ici un très long entretien avec Malika Sorel, auteur du Puzzle de l’intégration (Mille et une nuits, 2007). Sur des sujets délicats (victimisation, discrimination positive, questions identitaires, droit du sol), Malika Sorel apporte une analyse tonique et des réponses se moquant du politiquement correct.

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Observatoire du communautarisme : Le Puzzle de l’intégration dénonce avec fermeté l’idéologie de la victimisation qui fait de tout « immigré » ou « descendant d’immigré » une victime en puissance. Comment expliquer cette pente victimaire et en quoi produit-elle des effets réels sur les trajectoires des individus et pas seulement dans le petit monde parisien des « idées » ?

PuzzleMalika Sorel : Tout d’abord, je vous remercie de me donner l’opportunité d’évoquer les sujets que j’ai abordés dans mon livre. Je souhaite en premier lieu attirer l’attention de vos lecteurs sur le fait que je ne saurais résumer un livre en quelques pages, qui plus est sur un sujet aussi délicat. J’engage donc ceux qui le souhaitent à se reporter à mon livre, où ils trouveront un approfondissement du sujet de l’intégration qui constitue un problème majeur, non seulement en France, mais également dans tous les pays de culture européenne.

 

Pour répondre à votre question : il me semble nécessaire de prendre conscience que plusieurs facteurs ont concouru à la mise en place de cette idéologie de la victimisation, et de son corollaire, la repentance des Français, que je qualifie de stérile et contre-productive. Cette idéologie est non seulement injustifiée, mais elle constitue de surcroît un réel poison pour les enfants issus de l’immigration. Certains de ces facteurs sont imputables aux Français de souche, d’autres aux migrants eux-mêmes, d’autres enfin à notre classe politique.

La sombre période de la seconde guerre mondiale, avec le gouvernement de Pétain, a laissé sur les Français de souche des traces très profondes qui ont considérablement marqué leurs attitudes. D’autre part, n’oublions pas que la grande majorité des migrants des dernières vagues proviennent d’anciennes colonies ou d’anciens protectorats français. Là aussi, le remords d’avoir laissé s’installer des rapports dominants-dominés pendant cette page d’Histoire est encore très prégnant chez les Français de souche. Rappelons-nous également toutes les campagnes médiatiques sur la faim et les guerres civiles en Afrique, à grands renforts d’images-choc, qui ont profondément marqué les esprits. Si les migrants provenaient de pays européens, ou même d’Amérique du Sud, le comportement des Français de souche serait tout autre, et l’idéologie de la victimisation n’aurait pas connu une aussi large diffusion. Les Français de souche n’auraient en effet pas permis aux migrants de s’enfermer dans cette posture idéologique où tout immigré ou enfant d’immigré devient une victime en puissance. Enfin, un facteur qui me semble également jouer un rôle non négligeable est la facilité à culpabiliser qui habite les hommes et les femmes imprégnés d’une culture de sensibilité catholique. Ce caractère me semble beaucoup moins prononcé chez les peuples de sensibilité majoritairement protestante.

Enfin, concernant les Français de souche, cette pente victimaire n’aurait pas été aussi aisément suivie si les Français ne doutaient pas autant d’eux-mêmes et de leur propre identité. Cela se traduit par une grande propension du peuple français à l’autodénigrement, c’est assez frappant ! Si nos dirigeants politiques n’avaient pas eu cette tendance régulière à filtrer les pages de l’Histoire de France dans leurs choix commémoratifs, cela aurait très certainement aidé les Français à mieux assumer leur Histoire, aussi bien les pages d’ombre que les pages de lumière. Si vous observez ce qui s’est passé ces vingt-cinq dernières années, vous verrez que les dirigeants français se sont focalisés sur l’évocation ou la commémoration des pages sombres, quand dans le même temps ils refusaient de fêter les pages glorieuses de l’Histoire du peuple français, en dehors bien entendu du 14 juillet, qui est cependant devenu davantage un rituel auquel sont conviés les hôtes de marque étrangers, qu’une occasion pour le peuple français de se remémorer et de fêter son Histoire. Si vous n’évoquiez avec vos enfants que leurs échecs, sans dans le même temps souligner à leurs yeux leurs forces et leurs qualités, vous verriez rapidement se dégrader leur confiance en eux-mêmes.

En ce qui concerne les migrants et leurs enfants, lorsque l’on émigre dans un pays de culture très différente, on rencontre inéluctablement des difficultés d’adaptation. Ces difficultés sont d’autant plus conséquentes que ces migrants arrivent dans une société dont le référentiel culturel est profondément différent du leur. Si de plus, la société d’accueil ne leur précise ni les codes, ni les règles qui la régissent, ni les lignes blanches à ne pas franchir (socle de valeurs fondamentales), alors inévitablement leur insertion dans cette société deviendra conflictuelle, voire impossible. Ces codes et ces règles ne sont quasiment jamais les mêmes d’une société à l’autre, et diffèrent d’autant plus substantiellement que les cultures sous-jacentes sont éloignées l’une de l’autre. En outre, quand les migrants arrivent dans un pays étranger, beaucoup d’entre eux deviennent le siège de tensions identitaires extrêmement développées, dues à des conflits d’appartenance de groupe. Le désir de rejoindre les pays économiquement développés n’est en effet qu’exceptionnellement motivé par une proximité culturelle ou affective avec la communauté d’accueil. Ce sont, dans l’immense majorité des cas, des raisons de survie matérielle qui poussent les migrants à quitter leur vrai pays, et c’est au demeurant cet attachement au pays d’origine qu’ils vont transmettre à leurs descendants, même si ceux-ci sont détenteurs des papiers d’identité du pays d’accueil. Les enfants de ces migrants sont très souvent les otages d’un problème d’identité transmis et nourri par la mémoire familiale ; qui plus est, si ces migrants proviennent d’anciennes colonies ou de peuples ayant eu à souffrir de l’esclavage, alors qu’on leur demande de s’intégrer dans un pays qui a jadis malmené leurs ancêtres. Mon livre expose l’ensemble des facteurs qui sculptent le parcours d’intégration. Dans une situation aussi délicate, il est extrêmement confortable pour les migrants et leurs enfants, et c’est humain, d’adhérer à une idéologie qui postule que les difficultés rencontrées ne puisent aucunement leur source dans leurs parcours, mais sont intégralement imputables à la société qui les a accueillis.

Du côté de notre classe politique, le sujet de l’intégration a été exploité aussi bien par la gauche que par la droite. On a donc régulièrement oscillé entre le refus de reconnaître l’existence de problèmes spécifiques à l’intégration des dernières vagues d’immigration, et l’utilisation des thèmes liés à l’immigration comme épouvantail destiné à faire converger sur soi le vote d’électeurs affolés ; nous l’avons encore vérifié au cours de la dernière élection présidentielle. En dehors des périodes électorales cependant, nos hommes politiques ont constamment parié que d’une part le temps, d’autre part la résorption du chômage, entraîneraient de fait le règlement de la question de la non-intégration. Le « temps » signifiant que les Français finiraient bien un jour par changer de regard sur ces nouveaux venus qu’ils percevaient comme différents, car ils ne leur semblaient partager ni le même socle de fondamentaux, ni le même idéal de société, ni le même projet de société. Nos hommes politiques ne disposant pas toujours eux-mêmes du temps nécessaire à l’approfondissement des sujets à traiter, il n’est donc pas surprenant qu’ils aient été si prompts et si nombreux à s’approprier cette idéologie victimaire, dont ils n’ont probablement pas perçu les retombées redoutables pour les enfants issus de l’immigration, mais aussi pour la société dans son ensemble. Puisqu’il fallait que les Français changent leur regard, c’était donc d’eux qu’émanaient les difficultés. Ces derniers ont été petit à petit érigés en racistes potentiels, contre lesquels il fallait concentrer les efforts de lutte. C’est ainsi que la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) a fini par émerger dans notre paysage politique. Cette approche politique qui consiste à diviser la France en victimes et bourreaux potentiels va désormais s’amplifier, puisque le nouveau ministre de la justice, Rachida Dati, a annoncé qu’elle allait créer un pôle de magistrats au sein de chaque parquet pour traiter des discriminations. Non seulement notre personnel politique ne prend pas le temps de travailler sur la réalité d’un problème aussi lourd de conséquences que celui de l’intégration, mais de plus il ne semble pas réaliser que dresser sans cesse deux groupes l’un contre l’autre détruira toute possibilité de cohabitation sereine et pacifique ! Parce que j’ai eu l’opportunité de vivre parmi un autre peuple, je peux témoigner que c’est une grave injustice qui est faite au peuple français, qui a accueilli plusieurs millions de personnes en un laps de temps extrêmement court. À trop insister, cette injustice finira tôt ou tard par engendrer de fortes frustrations, susceptibles de provoquer des réactions vives et non maîtrisables.
À présent, quelles sont les conséquences de cette idéologie de la victimisation sur les parcours des immigrés et de leurs enfants ? Comme je l’ai évoqué, les migrants ne s’interrogent pas vraiment sur la société économiquement développée qui va les accueillir. Ils y émigrent car ils savent, souvent par des proches déjà installés à l’étranger, qu’ils y seront pris en charge et échapperont de ce fait à la misère. Ils sont les premiers surpris de s’apercevoir qu’ils vivent mal le fait que la société d’accueil ne partage ni leurs codes de valeurs, ni leurs traditions, ni leur projet de société. Leurs enfants vont alors très rapidement se trouver pris en étau entre le référentiel de valeurs qui leur est transmis par leurs familles, et celui qu’ils reçoivent à l’école, et qui est celui dont la société attend le respect de la part de tous ceux qui évoluent sur le territoire français. Cela entraîne de sérieux problèmes de positionnement identitaire, car ces enfants ne savent plus finalement quelles valeurs et quelles règles de vie adopter dans l’espace public.

Il était prévisible que des jeunes déjà déstabilisés et désorientés par de profonds problèmes de construction d’identité, ne pourraient que devenir des « écorchés vifs » quand on leur assène à tout bout de champ qu’ils sont en réalité des « victimes » de la société française. Cette victimisation n’a fait que les conforter dans leurs sentiments profonds, car ils sont en effet les victimes de la grande difficulté d’articulation entre leurs codes familiaux et les codes du peuple d’accueil. Lorsque l’on est inscrit dans un statut de victime, on se met généralement en position d’attendre des autres qu’ils agissent pour changer la donne. S’inscrire dans la quête perpétuelle de ce qu’on estime que les autres doivent nous apporter, au lieu de s’inscrire dans une démarche active de construction de sa propre vie, ne peut conduire qu’à l’échec. C’est ce qui est arrivé aux enfants de l’immigration, dont un grand nombre ne s’investit plus dans la construction de son propre avenir, et cela commence par une incapacité des élèves à saisir les innombrables perches que leur tend l’enseignement dispensé à l’école. De plus, en rejetant systématiquement la responsabilité sur les Français de souche, on a laissé croire, à tort, aux enfants de l’immigration, que les codes et valeurs fondamentaux de la société française pouvaient changer. Il n’est donc pas surprenant qu’ils les transgressent.

Le statut de victime déresponsabilise l’individu et le dépossède de tout esprit d’initiative. Aussi, il est logique que ces groupes de « victimes », qui sont au plus bas de l’échelle sociale en arrivant en France, sombrent peu à peu ou deviennent entièrement dépendants de la solidarité nationale. La réussite au sein de la société française requiert engagement, opiniâtreté, persévérance et respect des valeurs qui en constituent le socle. Il faut beaucoup de patience et d’énergie positive à un nouvel entrant pour qu’un groupe, quel qu’il soit, accepte de lui faire une place. Il est intéressant de relever que des élèves dotés du même profil, et qui évoluent encore dans leur pays d’origine, n’adoptent absolument pas le même comportement et continuent à s’investir à l’école, dans le respect des lois établies dans leur pays, alors qu’ils savent parfaitement qu’ils n’auront que très peu de chances de trouver un emploi dans leur contexte économique. Il me semble important de le préciser, car on n’a de cesse de répéter en France que ces jeunes se marginalisent parce qu’ils voient leurs parents ou leurs aînés au chômage, ce qui n’est pas la bonne explication.

Avoir occulté aux migrants et à leurs descendants la réalité du contrat social et moral qui lie l’ensemble des membres de la société française ne pouvait aboutir qu’à leur exclusion. Il faut également souligner que cette idéologie victimaire vient se greffer sur un terrain très propice, dans la mesure où la majorité des migrants proviennent de sociétés où le groupe a un ascendant très fort sur l’individu, et le dépossède déjà d’une grande partie de son esprit d’initiative. C’est cette culture de groupe, et non pas le respect de la liberté individuelle, qui est transmise aujourd’hui par un grand nombre de familles de migrants à leurs enfants. Le fossé ne fera que se creuser entre ces enfants et ceux qui sont éduqués dans les familles françaises de souche, où ces derniers acquièrent l’exigence absolue du respect de la liberté individuelle et de la liberté d’entreprendre, dans le respect évidemment des lois qui s’imposent à tous sur le territoire français. Les hommes politiques ont préféré s’en remettre au hasard du temps plutôt que d’admettre qu’il était nécessaire d’aider les familles issues de l’immigration à comprendre le fonctionnement réel de la société française.

La discrimination positive est une autre cible de votre essai. Comment répondre au sophisme expliquant que la discrimination positive est le seul moyen de régler la question (au choix) de l’intégration, des quartiers populaires, des banlieues, des violences urbaines ?

Si la discrimination positive était une solution, cela se saurait, car plusieurs pays l’ont déjà expérimentée, et je dirais même en ont fait les frais. Il est édifiant de constater que l’on cherche à l’imposer, par tous les moyens, y compris par la ruse et le contournement de nos lois, aux Français qui y sont majoritairement opposés, alors que des pays tentent, au même moment, d’en venir à bout. A ce jour, seuls quelques États américains ont réussi à l’abroger après de longues batailles judiciaires. On reconnaît aux Américains la qualité du pragmatisme, jamais ils n’abandonneraient une mesure politique qui aurait démontré son efficacité, c’est-à-dire sa capacité à atteindre les objectifs.

Les Français n’ont à ce jour pas encore pris conscience du poids de certains groupes de pression dans notre société. Ces groupes sont à présent très introduits dans le monde politique, et ont réussi à ériger cette idéologie de la victimisation en dogme quasi-intouchable. En tentant de persuader que la France et les Français sont responsables de l’actuelle mauvaise condition des migrants et de leurs descendants (discriminations ethniques et raciales), les partisans de l’idéologie victimaire s’estiment fondés à exiger de la France et des Français qu’ils assument la réparation des préjudices subis. À leurs yeux, les Français étant coupables, ils doivent payer, de la même manière que les Américains ont, avec la discrimination positive, espéré réparer les conséquences de leurs lois de ségrégation raciale. Nous voyons là que cette idéologie de la victimisation poursuit un but : introduire un traitement de faveur au bénéfice des populations issues de l’immigration. Elle est en passe de réussir, puisque le Président Nicolas Sarkozy veut mettre en œuvre en France la discrimination positive, qu’il rebaptise « à la française », mais qui est en réalité identique à l’« Affirmative Action » des États-Unis. Mon livre donne une longue liste d’euphémismes qui ont fleuri dans le monde politique pour maquiller une mesure qui n’est autre que celle qui a déjà montré sa nocivité dans les pays où elle a été mise en œuvre. Parmi les groupes influents dont le public entend parfois le nom, on peut citer le Club XXIème siècle de Rachida Dati, dont Rama Yade est la vice-présidente, « NPNS » de Fadéla Amara, le club Averroès qui opère dans le monde des médias, l’Institut Montaigne dont certains rapports écrits par Yazid Sabeg ont reçu un écho très positif de la part de l’ensemble de la classe politique, ou encore le CRAN.

Que s’est-il passé dans les pays où des mesures de discrimination positive ont été mises en œuvre ? À titre d’exemple, chaque fois qu’un État américain a abandonné les règles de faveur accordées aux membres de certains groupes identifiés sous le vocable de « minorités », cela a mis en évidence que ces mesures étaient artificielles et ne tarissaient jamais les sources des difficultés qui empêchaient la plupart du temps les membres de ces groupes de se hisser dans l’échelle sociale. Ainsi, dans le monde de l’enseignement supérieur, dès que la discrimination positive est abandonnée, le taux d’admission des étudiants favorisés par cette politique s’effondre, car ces élèves ne détiennent tout simplement pas les connaissances requises pour poursuivre leurs études à un tel niveau. Certaines universités américaines ont même instauré des règles imposant aux professeurs de ne jamais attribuer de note inférieure à la moyenne aux membres des minorités visées par la discrimination positive, car dans le cas contraire, une fois admis dans ces établissements, ils disparaissent en cours de cursus faute de disposer des capacités universitaires adéquates. Nous devons tirer les enseignements des échecs des autres pays et accepter d’analyser avec un peu plus de sérieux les causes réelles de l’échec de l’intégration des enfants de l’immigration, et elles sont multiples. Car la discrimination positive ne tarira pas leurs sources d’échec. Or, c’est justement cet échec qui, en partie, conduit à leur marginalisation qui effraie tant les Français ! La discrimination positive n’est qu’une politique élitiste appliquée à des groupes identifiés comme minoritaires. Elle ne vient jamais en aide à tous ceux, et ils constituent la majorité, qui ne disposeront jamais des moyens de profiter du favoritisme instauré par cette mesure politique. Dans les faits, elle aide ceux qui avaient déjà vocation à s’insérer dans la société par eux-mêmes ; l’expérience de Sciences Po en est une parfaite illustration.

Les gouvernements successifs ont tous accordé une attention particulière aux banlieues, et pourtant la situation s’est dégradée jusqu’à un début d’insurrection en novembre 2005. Le plan de rénovation urbaine de Jean-Louis Borloo est extrêmement coûteux et, comme je l’explique dans mon livre, il n’apportera aucune solution au problème qui nous est posé, car l’origine des difficultés d’intégration et des manifestations qui en découlent, notamment la violence, est ailleurs. La France ayant perdu trop de temps, ce problème devient de plus en plus difficile à régler. Il faut donc cesser de distraire le peuple français avec des mesures qui ne traitent aucunement l’origine des problèmes. Être pauvre ne signifie pas être destiné à l’échec scolaire et au basculement dans la délinquance. J’espère que l’on s’interrogera un jour sur ce qui fait que de nombreux élèves d’établissements classés ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire) n’étudient tout simplement pas, alors que les ZEP bénéficient de tant d’attentions et que les enseignants s’y investissent avec un sens de l’engagement qui devrait forcer le respect. Un élève peut-il réussir à l’école sans s’investir dans ses études ? Oui, mais de manière artificielle, car le ministre de l’éducation nationale est jugé sur le taux de réussite scolaire. Les entreprises le savent parfaitement et… en tiennent compte. J’espère que l’on cherchera un jour à comprendre pourquoi des enseignants sont pris pour cibles par leurs élèves. J’espère que l’on réalisera également que lors de l’insurrection de 2005, les émeutiers se sont attaqués à tout ce qui avait été construit pour les aider à s’en sortir : écoles, équipements sportifs… Est-ce donc réellement une insuffisance de moyens qui les conduit à détruire ou détériorer ce qui leur a déjà été accordé ?

Pour que les enfants de l’immigration empruntent la voie de la réussite dans la société française, encore faudra-t-il que leur entourage immédiat, ou le groupe auquel il s’identifie spontanément, accepte de les laisser s’y engager. C’est là que réside le plus gros défi que doit relever l’État, s’il souhaite que ses efforts et ses investissements ne soient pas vains. Les enfants de l’immigration n’ont nul besoin de condescendance, de misérabilisme, ou de passe-droit comme la discrimination positive. Pour réussir, ils ont besoin que l’on soit aussi exigeant avec eux, que le sont les parents français de souche avec leurs enfants. Il faut absolument éviter de les dédouaner ou de dédouaner leurs parents de la responsabilité de leurs actes, car il leur faut par-dessus tout apprendre à connaître et respecter les règles élémentaires de la société française. Il serait socialement plus juste de mobiliser nos énergies pour aider l’ensemble des élèves à acquérir les outils de la maîtrise des savoirs, les compétences comportementales et la connaissance de la sphère économique pour une orientation réussie. Il serait bien plus utile de les aider à surmonter nombre de leurs handicaps, dans des domaines tels que la capacité à s’investir, l’acquisition d’un niveau réel de connaissances scolaires et culturelles (et non pas un niveau factice), l’acquisition de méthodes de travail, la persévérance dans l’effort, et l’astreinte au respect des règles de la société, même si cette société ne leur convient pas toujours car elle leur semble trop éloignée de leur idéal. Ce dernier point est assurément celui qui conduit à ce qu’aujourd’hui de nombreux élèves ne s’investissent plus dans leurs études et dissuadent leurs camarades de s’y investir, car réussir signifie pour eux accepter de s’insérer dans la société française, alors qu’ils n’adhèrent pas toujours au socle des fondamentaux sur lequel s’est construite cette société, et qui se traduit par des règles du « bien vivre ensemble » qui leur sont étrangères.

Cette approche est véritablement la voie qui permettra à tous les enfants de disposer des mêmes outils pour se frayer un chemin dans la société afin d’y conquérir une place légitime. Cette exigence a déjà, en partie, connu un début de prise en compte dans le programme politique « Égalité des chances » porté par le Premier ministre Dominique de Villepin et son ministre Azouz Begag. Il sera nécessaire d’aller plus loin, en acceptant de traiter sans aucun tabou de tous les obstacles qui se dressent au travers de la réussite des enfants issus de l’immigration. Le summum de l’absurde serait d’instaurer des mesures qui, à l’instar de la discrimination positive, leur donnent intérêt à se réclamer d’une communauté d’origine étrangère, à un moment où l’on constate les menaces sérieuses que fait peser sur l’ensemble de la société française le problème de leur non-intégration.

Ce n’est pas parce que l’on aura effectué des nominations de personnes issues de l’immigration dans le monde de la politique ou des médias, que l’on aidera les jeunes des banlieues à s’engager dans la voie de la réussite. Penser que fabriquer quelques symboles issus des minorités fera pousser à tous les autres les ailes de la réussite, c’est terriblement sous-estimer les difficultés que rencontrent, dans leurs parcours, les enfants de l’immigration. De plus, promouvoir des personnalités, ou même des citoyens ordinaires, en raison de leur origine raciale ou ethnique, jette systématiquement la suspicion sur leurs réelles compétences. C’est ce qui s’est également produit aux États-Unis, et qui pousse les membres des minorités visibles qui ont accédé à une position sociale ou professionnelle élevée à devoir se justifier. Condoleezza Rice est, par exemple, une farouche opposante à la discrimination positive, qu’elle considère comme hautement néfaste.

Je souhaite également attirer l’attention sur un point qui me semble important pour la paix sociale. Alors qu’elle n’apportera aucune solution au problème de l’intégration, la discrimination positive produira des dégâts collatéraux sur les Français de souche européenne. Elle attisera donc les conflits et les crispations entre ceux qui seront favorisés et ceux qui seront lésés. Cela est-il bien nécessaire, vu le niveau élevé de tensions que connaît aujourd’hui la France ? Les Français de souche auront à en subir les conséquences aussi bien dans l’accès aux établissements d’enseignement, que lors des recrutements et des promotions dans le monde de l’entreprise. Ils seront également les premiers licenciés en cas de besoin, puisqu’ils sont déjà largement représentés dans les effectifs des entreprises, et pour cause : ils sont antérieurs sur le territoire national. En France, ce sont les familles françaises de souche situées au milieu et au bas de l’échelle sociale qui paieront le plus lourd tribut à la discrimination positive, car c’est contre elles que s’engagera la concurrence des familles issues de l’immigration, qui auront priorité pour les emplois et pour les places dans l’enseignement supérieur.

Rappelons-nous que l’égalité de traitement entre les citoyens est inscrite dans notre Constitution. Il faudra donc, théoriquement, passer par sa réforme pour autoriser officiellement le traitement inégalitaire des citoyens. La responsabilité de nos députés et de nos sénateurs sera centrale sur ce sujet. C’est à eux que reviendra la tâche de veiller à ce que ne soit pas, par « inadvertance », introduit dans le fruit de la cohésion nationale le ver qui la minera ; à moins que la discrimination positive ne soit déployée en France sans même passer par la voie parlementaire. Il me semble que le risque que nous glissions sur cette pente est aujourd’hui très élevé, et qu’il est favorisé par la « Charte de la diversité » de l’Institut Montaigne que de plus en plus d’entreprises sont amenées à signer après avoir été activement démarchées.

Vous consacrez un long passage de votre livre à distinguer l’insertion de l’intégration. Pouvez-vous nous expliquer ce qui distingue ces deux concepts pour vous ? Pourquoi ne pas avoir davantage utilisé le terme d’« assimilation » qui semble devenu un mot-tabou ?

Je ne souscris pas au tabou ni au « politiquement correct », qui ont conduit tous deux à ce que des questions essentielles pour le devenir de notre société soient frappées d’interdit, et qui nous ont empêchés de nous rendre à certaines évidences. Le tabou et le politiquement correct relèvent de l’hypocrisie et de la faiblesse, qui conduisent à une forme de lâcheté. Depuis vingt-cinq ans, on cache aux enfants issus de l’immigration ce que l’on ne cacherait jamais à ses propres enfants, et on les laisse ainsi se bercer d’illusions, illusions qui les placent irrémédiablement au ban de la société. Le réveil est terrible, aussi bien pour ces enfants que pour les Français de souche qui n’admettent pas les conséquences de cette non-insertion. On s’est enfoncé dans une situation ubuesque où les populations issues de l’immigration ne comprennent souvent même pas ce qui leur est reproché ! Le fait d’avoir occulté aux enfants issus de l’immigration, mais également à leurs parents, que la société française n’obéissait pas aux mêmes valeurs et codes que leurs pays d’origine, les a profondément desservis. C’est cette attitude qui les a menés vers une marginalisation croissante.

Je n’ai pas utilisé le terme d’assimilation, car il ne correspond à aucune réalité effective. Même les Français issus des précédentes vagues d’immigration qui se sont parfaitement intégrés, ont gardé des éléments de leur culture d’origine. L’assimilation sous-tend que les individus oublient tout ce qui a précédé leur arrivée sur le territoire national. Le penser, c’est méconnaître ce qu’est la réalité de l’être humain. On fait également l’hypothèse que les migrants ne transmettront absolument rien à leurs enfants de leur propre héritage. Tout ceci n’est qu’une vue de l’esprit. À moins que les individus ne soient frappés d’amnésie totale dès leur arrivée sur la terre d’immigration, ils conservent bien évidemment une partie de leur héritage ou de leur patrimoine culturel. Mais il y a, pour le migrant, et c’est inévitable et indispensable, des transformations de son mode de vie, de sa pensée, de sa vision des autres et de sa vision du monde qui vont s’opérer au cours de son évolution dans la société d’accueil. Il y a en effet, pour le migrant qui est habité de la volonté de s’intégrer, une appropriation progressive de sa part des éléments culturels qui sont considérés comme les plus importants par le peuple d’accueil, en l’occurrence le peuple français.

Pour les précédentes vagues d’immigration, la distinction entre insertion et intégration ne s’est pas imposée. C’est en étudiant ce sujet, mais également parce que j’ai vécu ces situations et les ai vu vivre autour de moi, que j’ai compris que nous vivions sur un terrible malentendu et que cette distinction s’imposait.

L’insertion signifie être en mesure d’évoluer dans une société, dans le respect du contexte juridique et culturel de cette société. Dans mes réponses à vos deux précédentes questions, vous aurez relevé l’insistance avec laquelle j’ai souligné qu’un migrant arrivant dans une nouvelle société était confronté au défi de la connaissance des règles qui régissent cette société. Ces règles, il n’a aucune raison de les connaître a priori, d’autant qu’il vient d’une société organisée différemment et dotée d’une culture différente de celle des Français. Dans toute société, ces règles de vie et d’organisation se sont construites au fil du temps, au travers des événements historiques et culturels qui ont contribué à la constitution d’un héritage. Lorsqu’on analyse l’héritage des peuples européens, on ne peut que constater qu’ils en partagent de nombreux éléments. C’est la raison pour laquelle les migrants issus de pays européens n’ont pas rencontré autant de difficultés que les migrants du Sud à se conformer aux règles du « bien vivre ensemble » propres à la société française. Ils les avaient en effet déjà en partie intériorisées dans leur pays d’origine, car elles faisaient déjà partie de leur propre héritage. Le défi d’insertion auquel ces migrants étaient confrontés en arrivant en France était bien moindre. Il est intéressant de relever que la France ne disposait alors nullement du niveau de solidarité nationale dont bénéficient les migrants des dernières vagues d’immigration. Nos hommes politiques se sont trop focalisés dans les trente dernières années sur la question économique, et ont de ce fait négligé tous les autres aspects.

Lorsque des migrants sont issus de sociétés qui ne partagent que très peu de règles de « bien vivre ensemble » avec la société française, il est indispensable de savoir consacrer le temps et l’énergie nécessaires pour veiller à ce que leurs enfants accèdent à la connaissance de tous les éléments, explicites et implicites, qui leur permettront de s’adapter à la société française en vue de s’y insérer. Pour les y aider, il faut prévoir un accompagnement destiné à leur fournir tous les enseignements qu’ils ne trouveront pas au sein de leurs familles, et pour cause, celles-ci ne connaissant parfois aucune des règles qui régissent la société dans laquelle leurs enfants sont appelés à évoluer. Pour le migrant, cette phase d’adaptation au respect de la définition du « bien vivre ensemble » du peuple d’accueil est incontournable, car elle conditionne son insertion dans la société qui l’accueille. Plus le migrant en enfreindra les règles, moins il aura de chances de s’insérer, c’est-à-dire d’être accepté dans l’espace public. Cela s’impose à tous ceux qui évoluent sur le territoire français. Lorsque des enfants de Français de souche ignorent les règles du « bien vivre ensemble » et les transgressent, le résultat est exactement le même : ils s’excluent de la société. Nombreux sont ceux, issus de l’immigration récente, qui n’ont toujours pas réussi cette phase d’adaptation ou d’insertion.

L’intégration est le processus qui mène une personne issue de l’immigration à faire partie de la même communauté que les membres de la communauté d’accueil. Pour que cela soit, il est incontournable que la personne ressente le besoin d’une communauté de destin avec le peuple du pays d’accueil. Ce besoin naît lorsque l’individu découvre qu’il se pense et se vit comme un enfant du pays d’accueil, et qu’il ressent alors un sentiment d’amour filial envers ce pays d’accueil, qu’il reconnaît comme étant son pays. Est-il utile de rappeler que les sentiments ne se décrètent pas ? Contrairement à l’insertion, l’intégration se joue entièrement sur le registre affectif et moral, et se produit lorsque le migrant perçoit que sa propre identité se rapproche davantage de celle du peuple qu’il souhaite rejoindre que de celle de son peuple d’origine. Il prend alors la décision de s’inscrire dans l’« arbre généalogique » du peuple d’accueil, ce qui le conduit à inscrire sa descendance dans cet arbre, et non dans celui de ses propres ancêtres. Cette reconnaissance entraîne une discontinuité de destin avec celui de sa propre ascendance. Ce ne peut être qu’un choix personnel et mûrement réfléchi, car il faut pouvoir assumer une telle rupture.

On comprend aisément que le plus souvent, l’intégration ne pourra se produire si l’insertion est déjà conflictuelle. En effet, l’individu qui souhaite s’intégrer a toujours été au préalable animé d’une grande volonté d’insertion, et a œuvré en ce sens. Il a, durant de longues années, accompli le processus d’insertion, qui est loin de n’être que théorique. Il est au contraire très pratique, car il permet de saisir et d’intérioriser la réalité de l’organisation, ainsi que les dimensions culturelles, de la société du peuple d’accueil. On l’oublie systématiquement, mais il est fondamental de souligner aussi que dans l’intégration, il y a deux « contractants » en présence : le postulant à l’intégration d’une part, et la communauté à laquelle il souhaite être intégré ou rattaché d’autre part. Pour que l’intégration réussisse, il est incontournable que cette communauté reconnaisse le postulant comme un de ses membres et l’admette en son sein. Il est évident qu’un migrant qui n’est déjà pas perçu comme inséré par les membres de la communauté nationale, n’a aucune chance d’en être reconnu et intégré. Encore une fois, nous voyons que cette décision est individuelle, et ne saurait s’appliquer à un groupe de migrants dans son ensemble.

À rebours d’une bonne partie de la pensée « républicaine » classique, vous ne rejetez pas le concept d’identité, mais vous en prenez acte : différentes identités (culturelles notamment) existeraient dans la société et il vaudrait mieux selon vous que l’État le reconnaisse. N’est-ce pas dangereux ? Jusqu’où faut-il « reconnaître » les identités ?

C’est une réalité et on ne peut, comme je l’ai précisé au sujet du concept d’intégration, imposer à quiconque une identité contre son propre gré. Certes, l’identité est dynamique. Elle s’enrichit continuellement au contact de l’environnement ; pour peu, bien entendu, que la liberté individuelle soit entièrement respectée, et que l’individu dispose de la latitude de se rendre perméable à tout ce qui l’entoure. Cette liberté individuelle, telle que nous l’entendons dans le triptyque républicain, est-elle une réalité dans les milieux issus de l’immigration ? L’individu est-il libre ou est-il la propriété de son groupe ? La question mériterait d’être posée.

De nombreux reportages et études ont été consacrés à l’intégration, et ont montré que les enfants issus de l’immigration n’éprouvent aucune difficulté à revendiquer une identité qui n’est pas celle du peuple français. Il n’y a de ma part aucune logique de hiérarchisation, il y a simplement la reconnaissance de l’existant. Notons que dès que certaines manifestations sportives ou culturelles en fournissent l’occasion, elles sont utilisées pour à nouveau exprimer cette appartenance identitaire.

J’évoque dans mon livre le fait que les sociétés qui n’ont pas subi l’influence des civilisations grecques et romaines, de la période de la Renaissance, du « Siècle des lumières », et qui n’ont donc pas été façonnées, sculptées et intimement travaillées par ces périodes et les événements qui les ont marquées, ont peu de chances de partager le même socle de fondamentaux que celles qui l’ont été. Ne pas partager le même socle de fondamentaux signifie par exemple, en ce qui concerne la France, ne pas attribuer le même contenu aux concepts de base que sont « Liberté », « Égalité », « Fraternité ». Comme je l’ai précisé au sujet des différences entre « insertion » et « intégration », le fait que le migrant ne partage pas les définitions d’éléments structurants de la société française ne l’exempte pas de les respecter, même si son identité le rend porteur d’un idéal et d’un projet de société différents. Réciproquement, il serait absolument impossible à une forte communauté de Français émigrant vers un autre pays, d’y déployer leurs fondamentaux dans l’espace public sans l’adhésion du peuple autochtone ! Cela vaut dans tous les pays du monde.

Les fondamentaux s’imposent à tous, car sans leur respect, il n’y a pas possibilité de cohabitation sereine. C’est parce qu’on l’a occulté aux enfants issus de l’immigration, qu’ils se trouvent à présent dans des situations d’échec et que les entreprises hésitent à les recruter, car beaucoup d’entre eux ne possèdent tout simplement pas les compétences comportementales qui découlent du respect de ces fondamentaux, et qui s’imposent à tous les salariés au sein d’une entreprise opérant sur le territoire français. Je vous renvoie à nouveau vers mon livre, où je détaille les conséquences sur les jeunes individus de la confrontation de deux schémas d’éducation très différents.

Jusqu’où faut-il reconnaître les identités ? Cette question, lorsqu’elle est posée à des « spécialistes », conduit à des réponses extrêmement compliquées, peu lisibles, parfois irréalistes ou défiant les règles élémentaires du bon sens. Mais si vous posez la question à un simple citoyen dans n’importe quel pays du monde, la réponse sera immédiate. À mon sens, pour définir les frontières à ne pas transgresser, il faut identifier tous les facteurs qui peuvent mettre un individu en position de s’insérer dans la société, et tous ceux qui au contraire peuvent le pousser à se marginaliser. À partir du moment où les déviances par rapport à ce qui est admissible sont telles qu’elles conduisent à un rejet ou à une exclusion de l’individu, il est nécessaire d’en tirer les conclusions qui s’imposent, car il n’est pas sain d’entretenir les sources d’une difficulté d’insertion qui produit une marginalisation génératrice de troubles récurrents à l’ordre public. Les lois françaises n’ont pas été faites pour ou contre les migrants et leurs descendants ; ces lois, qui illustrent le socle des valeurs fondamentales propres à la société française, existaient bien avant leur arrivée. Elles sont le fruit de l’immense héritage du peuple français. Aucun parent français de souche ne laisserait ses enfants se marginaliser comme on le laisse faire aux enfants issus de l’immigration. Encore une fois, il m’apparaît que cela est lié aux raisons qui ont facilité la large diffusion de l’idéologie victimaire en France.

Lorsque j’évoque la nécessité d’admettre que certains puissent être porteurs d’une identité autre que l’identité française, je ne sous-entends à aucun moment que cela doit conduire à leur reconnaître le droit d’évoluer, dans l’espace public français, dans des logiques qui ne sont pas celles de la société française. Si tel était le cas, cela signifierait que nous irions, dans la pratique, vers un système juridique dont les lois ne s’imposeraient pas à tous de la même manière, mais seraient déclinées selon l’identité de chaque individu. Pourrait-on alors continuer à parler d’un seul et même pays ? Pour ma part, je ne le pense pas. C’était leurrer les migrants et leurs descendants que de leur avoir fait croire que le peuple français y était prêt. Le peuple français de souche n’y est absolument pas disposé, car cela le conduirait, dans les faits, à renier une part de sa propre identité. Avoir laissé le doute ainsi s’installer a créé de terribles sources de malentendus, générateurs d’incompréhensions mutuelles. Ce qu’on observe dans certaines banlieues, c’est que les codes hérités de l’identité culturelle française y sont rejetés avec véhémence au sein même de l’espace public. Un processus d’insertion qui est rejeté ne peut jamais réussir. C’est à présent le principal défi qui est posé à la société française.

Vous vous livrez à une vigoureuse critique du droit du sol et de son « automaticité » précisément à partir de cette question des identités culturelles. Pouvez-vous développer votre position ?

La réponse à cette question découle de la signification de l’intégration au sein de la communauté française, qui diffère de l’insertion dans la société française. La méprise vient de ce qu’on a sans cesse confondu ces deux concepts, qui correspondent à des réalités qui ne coïncident pas nécessairement sur le terrain.

L’existence de différentes identités est un fait. C’est la France qui ne veut pas le reconnaître, et qui considère qu’il suffit de naître sur le territoire français pour se trouver nécessairement porteur de l’identité française, de faire sien son héritage historique, et d’être habité de la volonté d’en transmettre l’héritage à ses descendants. Or, cela est entièrement faux. Je fais le parallèle entre les conséquences du droit du sol et celles de la colonisation, car dans les deux cas il y a véritablement négation de l’existence d’une identité autre que l’identité française. Lorsqu’un enfant de famille française de souche naît sur le territoire d’un pays arabe ou en Chine, il ne se trouvera aucun Arabe, ni aucun Chinois un seul instant habité de la pensée que cet enfant soit Arabe ou Chinois. Un enfant de migrant qui naît sur le sol français peut devenir Français, comme il peut ne jamais le devenir. Cette question est strictement personnelle, aucune systématicité ne peut et ne doit être instituée. Il suffit pour s’en convaincre d’observer combien peuvent différer les parcours individuels au sein d’une même fratrie issue de l’immigration.

Certes, dans la mesure où l’on a confondu la protection matérielle avec l’obtention de papiers d’identité français, tous les descendants de migrants optent pour la détention de ces papiers, mais tandis que certains d’entre eux deviennent Français dans l’âme, d’autres sont simplement administrativement Français. C’est la raison pour laquelle de nombreux enfants issus de l’immigration ne supportent pas qu’on les dise Français, alors qu’eux-mêmes ne se vivent pas comme Français. Ils effectuent au demeurant la distinction, en précisant simplement « j’ai les papiers ». Cette situation leur devient souvent insupportable, et perturbe leur possibilité de construire une identité saine, et non pas brouillée. C’est la raison pour laquelle je fais référence dans mon livre à la dissonance identitaire, et à la violence que le droit du sol fait subir aux jeunes issus de l’immigration. C’est une véritable souffrance, qu’ils ressentent sans même savoir à quoi elle correspond. Cette violence, ils finissent par la retourner contre la France, en agressant tous ceux qui la symbolisent (enseignants, forces de l’ordre, etc.) Ce n’est réellement pas la faute des migrants si la France leur offre, par la naissance de leurs enfants sur son territoire ou par le truchement du mariage, la garantie d’être à jamais protégés de la vraie misère, celle que leurs cousins vivent encore dans leur pays. Aussi, il est évident qu’aucun migrant ni ses enfants ne refuseront jamais les papiers d’identité français. Les questions économiques doivent être définitivement décorrélées des questions identitaires.
L’obtention de la nationalité française doit devenir l’aboutissement du parcours d’intégration, et certainement pas le début d’un parcours à l’issue non déterministe. Nous éviterions ainsi de placer des descendants de migrants en porte-à-faux par rapport à leur identité réelle. Il me semble également essentiel de séparer la notion d’insertion de celle d’intégration, tout en reconnaissant que l’intégration est impossible pour qui n’a pas d’abord réussi à s’adapter à la société française. Il n’y a jamais aucune urgence à accorder une nationalité. Toute précipitation peut conduire à de terribles conséquences, aussi bien pour celui qu’on affuble d’une identité qu’il ne reconnaît pas comme étant la sienne, que pour les Français de souche au nom desquels on prend des décisions qu’ils ne cautionnent aucunement. La France, en accordant sa nationalité à un nombre considérable de personnes qui ne portaient pas son idéal, s’est rendue coupable de la création de deux classes de Français, les Français de souche et les autres. Cela compromet à présent l’intégration de ceux qui aspirent à devenir Français. Comme je vous l’ai dit, l’intégration ne peut se produire que si les membres de la communauté nationale acceptent de « coopter » le postulant. Les Français, ne disposant pas de grille de décryptage suffisamment élaborée, se protègent à présent en se crispant sur leur identité. Aussi, ils ont dorénavant tendance à rejeter, sans distinction, ceux qui sont originaires des pays d’émigration massive. Nous devons prendre conscience du fait qu’il faudra un certain temps avant que la situation ne se normalise. Elle ne le pourra qu’à condition que l’on accepte d’enfin évoquer et de traiter en profondeur le sujet de l’intégration, et que l’on prenne en compte l’ensemble des pièces de son puzzle, au lieu de le réduire à une seule de ses pièces, la dimension économique. Cela devra se faire sans tabou, dans le respect et avec esprit de responsabilité, car ces sujets sont douloureux aussi bien pour les Français de souche que pour les enfants issus de l’immigration. Nous y parviendrons d’autant plus facilement que les partis politiques comprendront que ce sujet concerne la cohésion nationale, et qu’à ce titre ils se doivent de sortir de la surenchère et des manœuvres politiciennes. Je considère en effet que la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons est largement imputable à notre classe politique, qui n’a pas su prendre ses responsabilités.

Ma conclusion est qu’en ce qui concerne l’insertion et l’intégration, il nous faut cesser de donner de faux espoirs aux Français avec des mesures qui ne sont pas des solutions, et qui transfèrent les problèmes aux générations futures. Retarder la prise de conscience et la mise en œuvre de solutions qui s’attaquent aux vraies sources du problème, cela concourt à créer un climat toujours plus tendu, qui rend de plus en plus difficile le traitement du sujet. Aussi, je désapprouve la création d’un ministère de l’identité nationale. Ce n’est pas un intitulé aussi blessant et provocateur qui contribuera à créer le climat de sérénité propice à ouvrir enfin le chantier de l’insertion et de l’intégration. Nous devons réaliser qu’il est dangereux d’attiser les tensions en blessant tour à tour les uns et les autres ; les pôles anti-discriminations au sein des parquets pour stigmatiser les Français de souche, et le ministère de l’identité nationale pour stigmatiser les immigrés. Notre société a atteint un tel point de crispation qu’il est de la responsabilité de chacun d’œuvrer à ce que, calmement mais avec détermination, le cœur des problèmes soit enfin abordé et traité. Mon vœu est que, sur ce sujet, on réussisse à dépasser le clivage droite-gauche, car il s’agit de l’affaire de tous.

 

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